Travail en prison : depuis 27 ans le toulousain Aréa, qui réalise 12 M€ de CA, s’érige en modèle avec succès
Insertion. Le créateur toulousain de mobilier urbain a reçu l’an dernier le label Pep.s pour produit en prison(s). Il vise à valoriser les produits réalisés en détention mais également à mettre en lumière les entreprises qui pratiquent le travail pénitentiaire. Une reconnaissance pour Aréa qui compte trois ateliers de métallerie au sein de la prison de Muret, en Haute-Garonne.
Jusqu’aux évolutions législatives récentes, le travail en prison était sinon un sujet tabou, du moins un fait méconnu. Que le détenu soit recruté par le service général de la prison ou par une entreprise extérieure, le travail en détention avait en effet mauvaise presse. Accusées de profiter d’une main-d’œuvre bon marché, peu d’entreprises reconnaissaient faire travailler des détenus.
Selon l’Observatoire international des prisons, en France, 22 000 détenus travaillent soit 31 % de la population carcérale. L’ONG, qui a longtemps dénoncé la « situation archaïque du travail en prison », salue cependant les améliorations – même si elles ne les jugent pas suffisantes – apportées par la loi du 22 décembre 2021.
Lutte contre la récidive
Le texte institue un contrat d’emploi pénitentiaire qui garantit les droits des détenus travailleurs en matière de rémunération, de conditions de travail, de licenciement et de protection sociale. Convaincu que le travail en détention facilite la réinsertion des personnes à l’issue de leur peine et permet de lutter contre la récidive, le ministère de la Justice veut faire en sorte que 50% au moins des personnes détenues puissent exercer une activité professionnelle rémunérée.
Un objectif ambitieux sachant qu’aujourd’hui, en France, seules 350 entreprises ont fait le choix d’installer tout ou partie de leur activité en détention. Pour inciter un plus grand nombre à franchir le pas, le garde des Sceaux d’alors Eric Dupont-Moretti s’est lancé en 2023 dans une grande tournée de promotion du travail en prison. En parallèle, le ministère a décidé de réactiver le label « PePs » - produit en prison(s) - opérationnel depuis 2020 et visant à valoriser les produits réalisés en détention « dans des conditions éthiques et responsables ». Ce label permet aussi de donner un coup de projecteur sur les entreprises qui intègrent le travail pénitentiaire dans leur projet. 22 entreprises sont labellisées à ce jour.
Parmi elles, deux sont installées en Occitanie : Populère, une jeune marque toulousaine de vêtements créée en 2023 par Mathilde Cervières, ancienne conseillère pénitentiaire, et l’entreprise Aréa. Créée en 1987 par Michel Boudou, la PME basée à Flourens, en Haute-Garonne, emploie 55 salariés et réalise 12 M€ de chiffre d’affaires. Elle conçoit et fabrique sur plusieurs sites autour de Toulouse du mobilier urbain en acier et bois : grilles d’arbres, bacs d’orangerie, barrières et garde-corps, corbeilles de rue, bancs, parcours de fitness, etc.
L’insertion et la réinsertion pour ADN
Aréa n’a pas attendu la nouvelle législation pour s’intéresser au travail en prison. Elle a ouvert son premier atelier au centre pénitentiaire de Muret en 1997. Aujourd’hui, elle dispose au sein de l’établissement de trois ateliers de métallerie qui emploient 45 personnes détenues. L’entreprise compte également deux autres ateliers de métallerie en Ariège au sein d’un établissement et services d’aide par le travail (Esat) Envol ainsi qu’au cœur de l’entreprise adaptée Usi9 où travaillent 40 personnes en situation de handicap.
« En fait, nous avons démarré l’entreprise dès 1987 avec des ateliers qui faisaient travailler des personnes handicapées. Le fondement d’Aréa vient de là », détaille Laure Boudou, la fille du fondateur, qui depuis 2022 dirige seule l’entreprise. Et de rappeler : « Avant de créer sa société, mon père, au cours de ces différentes expériences professionnelles, avait travaillé avec un Esat et avait beaucoup aimé cette collaboration. De sorte qu’au moment de fonder Aréa, il a décidé de travailler avec l’Adapei Ariège qui avait déjà un atelier de soudure. » En 1995, une nouvelle collaboration naîtra avec Usi9 pour le montage de lames de bois.
En 1997, grâce à un de ses sous-traitants, Michel Boudou découvre le travail en détention au sein de la prison de Muret et décide de créer à son tour un premier atelier. Et ce malgré les contraintes liées au travail en détention : important effort de formation, absentéisme, turnover, accès aux ateliers moins fluides pour les livraisons et les enlèvements de marchandises. « Mon père n’a jamais été freiné par le handicap ou l’absence de compétence. Il était convaincu que tout le monde peut apprendre et il a eu raison. »
Quid de la rémunération ? Depuis la réforme de 2021, la relation de travail repose sur « un contrat tripartite entre les entreprises concessionnaires, l’administration pénitentiaire et le détenu. Nous ne le rémunérons pas directement mais payons une facture en fonction de la rémunération qui a été fixée. C’est ensuite l’administration qui verse les salaires aux détenus après avoir éventuellement retenu une somme pour le paiement des condamnations financières », détaille la dirigeante.
La parole se libère
Le contrat d’emploi pénitentiaire prévoit un seuil minimal de rémunération (SMR). Il représente 45% du Smic horaire brut pour les activités de production. « À ce salaire, nous ajoutons différentes primes liées à l’assiduité, à la production, mais aussi des primes d’ancienneté, d’encouragement et enfin des primes de libération. Elles permettent d’atteindre environ 70 % du Smic. »
Si le label Pep.s est une « reconnaissance de son engagement », il a aussi pour Aréa une vertu inattendue. Et Laure Boudou d’ajouter :
Il y a 35 ans lorsque mon père a décidé de travailler en Esat, dans une entreprise adaptée puis en détention, ce n’était pas forcement bien perçu. Les gens avaient une vision assez négative de ce travail. Depuis les mentalités ont changé et avec le développement de la RSE, ce label nous libère de ce silence qu’on a gardé pendant des années. »
Fournisseur des collectivités
L’entreprise, qui travaille pour les collectivités, vend ses produits partout dans l’Hexagone et depuis peu également en Europe, notamment en Allemagne, « qui avec la France, représente le plus gros marché européen », précise Laure Boudou. La PME, qui prévoit 12 % de croissance en 2024, connaît une activité cyclique liée aux scrutins municipaux. « Comme les élections auront lieu en mars 2026, nous sommes sur la fin du mandat, au moment où les projets sont livrés. D’où cette hausse d’activité. »
Alors que les collectivités se débattent dans un contexte budgétaire très tendu, la dirigeante se veut rassurante. « Depuis la crise du Covid, on n’a jamais autant parlé de l’aménagement urbain. On fait également aujourd’hui la part belle au vélo, une place qu’il n’avait pas auparavant. Certes, il y a des restrictions budgétaires d’un côté, mais de l’autre aussi une volonté d’aménagement de l’espace urbain pour améliorer le quotidien. Alors oui, ces difficultés nous les entendons mais pour l’instant nous ne sommes pas inquiets », conclut Laure Boudou.