Europe

« Les entrepreneurs ont toujours foi en l’Europe »

Politique. Le Medef Territoires Franc-Comtois a organisé un temps d’échanges avec les entreprises comtoises autour des grands enjeux européens, à Grandvillars, dans les locaux de Lisi, en compagnie de Fabrice Le Saché, vice-président du Medef en charge de l’Europe et du député européen Christophe Grudler.

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Christophe Grudler, député européen, Fabrice Le Saché, vice-président du Medef, en charge de l’Europe et Emmanuel Viellard, directeur du Medef Territoires Franc-Comtois. (Crédit : JDP.)

Pourquoi avoir choisi la Bourgogne Franche-Comté pour échanger sur l’Europe ?
Fabrice Le Saché, vice-président du Medef, en charge de l’Europe et fondateur d’AeraGroup (34 M€ de CA en 2024). Cela ne doit rien au hasard. Venir dans ce territoire carrefour de l’Europe, c’est envoyer un signal vis-à-vis de l’industrie, qui est prédominante ici et un sujet de préoccupation vis à vis notamment de la concurrence suisse. Aujourd’hui, le contexte mondial est turbulent. Torturé. Les crises se multiplient, elles deviennent la norme.

L’Europe a t-elle un rôle a jouer dans la résolution de ces crises ?

Fabrice Le Saché. Le Medef est très attaché à l’échelon européen, convaincu que nous avons besoin de l’Europe pour surmonter les défis de la concurrence internationale exacerbée, du risque de décrochage avec les USA et la Chine, des transitions écologique et numérique qui sont des synonymes de mur d’investissements, du choc démographique… Si le levier européen est absolument nécessaire pour nos entreprises - un marché intérieur de 450 millions d’habitants, un espace inégalé de libertés (libre circulation des biens, personnes, services, capitaux), une balance commerciale excédentaire vis à vis du reste du monde, une réponse efficace aux crises (plan de relance NextGen, eurobonds,..), un pôle d’attractivité (plus de 10 pays veulent rejoindre l’UE et le Brexit n’est pas un succès économique) - il n’en demeure pas moins que le contexte mondial a profondément changé et nécessite un nouveau cap, il faut adapter nos outils et nos façons d’agir.

Christophe Grudler, député au Parlement européen, président de l’intergroupe parlementaire pour le nucléaire et coordinateur de la commission industrie et énergie. Aujourd’hui l’industrie et l’économie européenne en général est à la croisée des chemins et quand on est à la croisée des chemins, il faut s’arranger pour ne pas aller dans un cul de sac. Il faut pouvoir trouver là, où demain, va se profiler l’autoroute, tracer un chemin pour que l’Europe reste le premier marché du monde. Sur la question des coûts de l’énergie pour les entreprises, lesquelles demeurent deux fois plus élevés dans l’Union européenne qu’aux Etats-Unis et sur la décarbonation, un texte d’importance est attendu pour le dernier trimestre de l’année qui doit permettre d’accélérer la décarbonation de l’industrie.

D’ici là, il faudra se bagarrer sur les questions d’énergie et ça c’est un grand combat européen.Nous avons les armes pour cela comme la réforme du marché de l’électricité qu’on a engagé avec ces contrats de long terme qui vont permettre de stabiliser un peu les prix sur le marché. Il y a aussi la révision du REPowerEU qui exclut, cette fois-ci, le gaz et le nucléaire russes et ouvre enfin la porte des financements de la décarbonation à l’hydrogène bas carbone issu du nucléaire, alors que jusqu’ici on ne reconnaissait que l’hydrogène provenant des énergies renouvelables. La Commission prévoit désormais le développement de 20 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable, pour moitié produit en Europe et pour moitié importé. Pour cela, on devrait également entendre parler de préférence européenne et de production ici chez nous. Les lignes sont en train de bouger dans le sens du renforcement de notre résilience européenne. Ce qui devrait renforcer la compétitivé de nos entreprises parce qu’il est clair que si l’on arrive à produire localement sans dépendre des aléas et des besoins de matière critique venu d’autres continents et bien on aura un vrai avenir pour nos industries.

Je rappelle un unique chiffre : l’Europe importe 62 % de son énergie, soit entre 350 et 360 Mds€ d’importation d’énergie fossiles. Si on veut que l’Europe continue à peser dans le monde, il faut que ce marché européen soit le plus intégré possible. Une étude récente a montré que l’on pouvait gagner jusqu’à trois points de PIB dans le cadre d’une meilleure intégration du marché commun. Alors, bien-sur, il y a des difficultés, des points à améliorer, mais moi je revendique une sorte d’intelligence collective entre les parlementaires que nous sommes et l’ensemble des parties prenantes et le Medef est clairement pour moi une partie prenante importante. Par ailleurs, je crois qu’il faut aujourd’hui accompagner la demande, construire des incitations financières, pour baisser les prix. Et pour financer cette politique, il ne faut pas hésiter à recourir à l’emprunt. Je crois en la capacité d’endettement de l’Europe car ses finances sont saines. Cet emprunt commun doit toutefois être remboursé par des ressources propres.

Fabrice Le Saché. L’urgence c’est aussi une meilleure reconnaissance de la neutralité technologique. C’est pourquoi le Medef a lancé ce 12 février à Paris l’Alliance patronale pour le nucléaire (14 patronats européens présents, 19 nationalités représentées, +150 participants) et souhaite en faire une instance de dialogue et d’échange avec toutes les parties prenantes pour soutenir une contribution forte de l’énergie nucléaire aux objectifs européens. Une stratégie qui porte ses fruits. Récemment, le nouveau gouvernement allemand se montre beaucoup plus réceptif et a assuré qu’il ne bloquerait plus les textes européens visant à reconnaître le nucléaire comme une part fondamentale du mix énergétique européen.

Parmi les freins également évoqués par les entreprises la réglementation excessive revient souvent ? qu’en est-il ?

Fabrice Le Saché. Le Medef est à la manoeuvre pour rendre l’objectif de simplification présenté par la Commission européenne le plus ambitieux possible. D’après le rapport Draghi, entre 2019 et 2024, l’UE a adopté 13.000 actes contre seulement 3.500 lois fédérales et 2.000 résolutions aux États-Unis. En outre, les pays européens ont produit bien plus de réglementations que les US, compliquant un marché déjà fragmenté. Les chefs d’entreprise demandent instamment une révision complète des lois et actes délégués existants pour réduire les coûts inutiles, une application systématique des outils d’amélioration réglementaire (tests PME, évaluations d’impact), des objectifs clairs pour diminuer les coûts de conformité, une simplification des processus pour les projets verts.

Emmanuel Viellard, directeur général du groupe Lisi et président du Medef Territoires Franc-Comtois. Il y a certes les directives européennes mais il y a aussi la surinterprétation française. Vous savez que la France est le phare du monde. On éclaire loin. Le problème c’est que nous industriel au pied du phare on est dans l’obscurité et donc on subit toutes les conséquences. Je prends l’exemple de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D) : c’est d’une complication inouie. Je vous épargne le nombre de points à suivre, à publier, à analyser... Regardez sur internet notre rapport. Vous verrez qu’il y a 185 pages pour une petite boîte comme la nôtre.

Comment le Medef porte-il la voix des entreprises en Europe ?

Fabrice Le Saché. Nous avons inauguré avec le président Patrick Martin en février une maison du Medef à Bruxelles qui vise à accueillir les fédérations, les syndicats, les entreprises et recréer une sorte d’action du secteur privé français à Bruxelles (là où 60 à 80 % des réglementations se font) pour défendre nos points de vue, nos positions et les spécificités de l’économie française. Mais nous devons être également présents dans toutes les autres capitales européennes parce qu’avec l’élargissement on est passé à 27 pays et la France n’a pas vraiment pris peut-être la conscience de cet élargissement. Donc c’est très important pour nous d’être à Taline, d’être à Lisbonne, d’être dans toutes ces villes-là parce que aujourd’hui quand on a un rapporteur au Parlement, ça peut être un eurodéputé roumain ou bulgare et donc c’est très important en terme d’influence, de diplomatie économique, d’être présent aussi dans les pays plus petits qui ont un pouvoir démultiplié grâce à l’Europe. Nous voulons montrer que la France peut se glisser dans d’autres projets portés par d’autres... Cela n’empêche pas de faire également le travail auprès de l’Allemagne, de l’Italie... On a des forums bilatéraux et donc cette diplomatie économique, elle est très active et elle se thématise.

Emmanuel Viellard. Ici, avec la filière automobile, la proximité avec la Suisse nous sommes très exposés. Nous souhaitons donc que notre voix, nos intérêts soient portés au niveau européen. Après, l’acte de foi des entrepreneurs vis-à-vis de l’Europe reste toujours là : les entrepreneurs sont fondamentalement européens.