Hommes et chiffres

Expert-comptable : partenaire augmenté du dirigeant

Profession. Pascal Castanet est le nouveau président du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables d’Occitanie. Entre facturation électronique, guichet unique des formalités et crise énergétique, il prend ses fonctions à un moment où la profession est fortement sollicitée.

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Expert-comptable : Pascal Castanet
Pascal Castanet, nouveau président du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables Occitanie. (Crédit : DR)

La facture électronique qui approche à grand pas est l’un des grands enjeux de votre mandat. Quelles entreprises seront concernées et à quelle échéance ?

Cela va concerner toutes les entreprises qui sont soumises à la TVA, des TPE aux grandes entreprises mais également les micro-entreprises, et ce de manière échelonnée. Toutes les entreprises vont devoir réceptionner les factures électroniques à partir du 1er juillet 2024 et émettre des factures électroniques, dès le 1er juillet 2024 pour les grandes entreprises, dès le 1er janvier 2025 pour les PME et à partir du 1er janvier 2026 pour les TPE.

Il ne s’agit pas simplement de transformer une facture en PDF et de l’envoyer par mail…

Pour les entreprises qui utilisent un logiciel de facturation, cela sera assez transparent, puisque c’est en principe le logiciel qui va intégrer cette transformation. Il s’agit d’un PDF auquel est attaché un fichier électronique comprenant un certain nombre de champs de données. Ce sera, en revanche, un peu plus compliqué pour les entreprises qui n’utilisent pas de logiciel de facturation. Elles auront l’obligation de recourir à un logiciel capable d’émettre ces factures.

Tous les logiciels actuellement sur le marché ont-ils déjà cette fonctionnalité ?

Pas encore, parce que l’obligation n’est pas encore effective, même si certaines grandes entreprises émettent déjà des factures électroniques. Cela va s’étaler dans le temps, de nouveaux opérateurs vont émerger, mais tous se préparent pour pouvoir intégrer la facture électronique. En tout cas, tous les confrères pourront proposer ou conseiller à leurs clients tels logiciels de facturation conformes.

Qu’est-ce que cela va changer pour les experts-comptables ?

Dans un premier temps, nous aurons à accompagner nos clients dans cette transformation car certains font encore leurs factures sur papier, sous Excel ou sous Word. Ce sera un challenge de les faire basculer vers l’informatique ! Il y en a plus qu’on ne croit. L’autre enjeu, c’est la réorganisation des cabinets puisque la facture électronique va transformer notre façon de réceptionner les flux de factures.

En effet, chaque client devra être affilié à une PDP, plateforme de dématérialisation partenaire. Les cabinets devront aller piocher les informations dans ces plateformes, ce qui signifie pour nous une organisation différente. Il devrait y avoir ainsi moins de factures perdues. Notre rôle sera également de conseiller nos clients pour choisir la PDP la plus efficiente en fonction de leur système informatique.

Cette affiliation représentera-t-elle un coût supplémentaire pour l’entreprise ?

L’offre sera multiple, avec une plateforme publique et des plateformes privées émanant de banques, d’éditeurs de logiciels, etc. L’Ordre des experts-comptables est lui-même en train de créer sa propre PDP. Il y aura donc un annuaire des PDP. Puisque, de fait, lorsqu’un fournisseur émettra une facture pour l’un de ses clients, il devra vérifier à quelle plateforme ce dernier est affilié pour envoyer la facture à la bonne PDP.

Nous ne connaîtrons la liste des PDP que fin 2023. Pour le moment, on se prépare. Ce que l’on sait, c’est que la plateforme publique sera gratuite, mais n’offrira aucune fonctionnalité. En revanche, les plateformes privées seront certainement payantes, à la facture, à des tarifs libres et avec des fonctionnalités qui vont varier.

Vos clients sont-ils inquiets à ce sujet ?

Aujourd’hui non, même si nous essayons de les sensibiliser à ce sujet. Nous avons déjà fait des réunions. L’État, en fait, n’a pas encore lancé de campagne de communication importante à ce propos. Elle devrait intervenir courant 2023.

L’obligation d’utiliser, depuis le 1er janvier, le guichet unique (formalites. entreprises.gouv.fr) pour les formalités des entreprises constitue un autre sujet de préoccupation, plus actuel celui-ci. Rencontrez-vous encore des couacs dans son utilisation ?

Oui, le président national de l’Ordre des experts-comptables a même écrit au ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, pour évoquer les difficultés rencontrées et demander un délai supplémentaire pour sa mise en oeuvre, le temps que ces problèmes soient résolus. Mais nous n’avons pas été entendus pour le moment. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à alerter : nous faisons front commun avec les avocats sur ce sujet car ce sont nos clients qui sont pénalisés.

Quel genre de difficultés rencontrez-vous ?

Le guichet est en test depuis un an. Or, certaines fonctionnalités marchent, d’autres non. Pour vous donner un exemple, une formalité que l’on pouvait effectuer en ligne en 48 heures auparavant, telle que récupérer un extrait Kbis dont nous recevions une copie électronique, aujourd’hui sur le site opéré par l’Inpi, une fois la création de l’entreprise effectuée en ligne, l’extrait Kbis est envoyé par courrier au client, et malheureusement nous ne recevons plus de copie électronique. Or, le temps que cela redescende jusqu’au registre, pour obtenir une copie, il y en a pour deux mois…

Par ailleurs, certaines formalités ne peuvent toujours pas être effectuées sur le site de l’Inpi, comme la transformation d’une SARL en SAS. Au fur et à mesure que nous constatons des bugs, nous les faisons remonter et l’Inpi rectifie, mais cela prend du temps. Autre problématique : pour certaines formalités, notre signature électronique, en tant qu’expert-comptable, n’est plus reconnue, l’Inpi ayant opté pour le niveau d’habilitation le plus haut en Europe. Enfin pour certaines formalités, il faudra passer par l’interlocuteur antérieur et non par l’Inpi. Bref, le site n’est pas encore opérationnel.

Et cela vous inquiète beaucoup…

Oui parce que cela pénalise nos clients, avec des risques d’incidences économiques importants. Ils ne comprennent pas et n’imaginent pas que nous faisons face à une problématique qui nous échappe. Nous devons là aussi les accompagner, un travail supplémentaire que nous allons devoir gérer dans les cabinets en plus de l’accompagnement que nous devons faire en urgence concernant le bouclier tarifaire sur l’électricité et le gaz.

Vous avez aussi un rôle à jouer dans ce cadre ?

Oui, l’État veut que nous soyons un interlocuteur privilégié pour accompagner nos clients sur cette problématique. De fait, on entend beaucoup de chose au sujet des aides mises en place, mais peu de gens connaissent dans le détail l’ensemble des dispositifs et notamment qu’il existe, sur le site impots.gouv.fr, un simulateur qui permet d’évaluer à quelle aide une entreprise peut prétendre.

Notre rôle est de les accompagner dans ces démarches pour qu’ils obtiennent toutes les aides auxquelles ils peuvent prétendre. Différents critères s’appliquent en effet en fonction de la taille de l’entreprise, de la puissance du compteur, etc. Notre travail est également de faire remonter les difficultés rencontrées en préfecture lorsque tel dispositif n’est pas adapté.

Vos clients sont inquiets à ce sujet ?

C’est l’incertitude dans laquelle se trouvent les chefs d’entreprise qui est, pour eux, le plus compliqué à gérer. Ils n’ont pas de visibilité. Difficile dans ce cas d’adapter sa stratégie. Nos clients sont inquiets en raison de ce qu’ils entendent, de l’ambiance, mais dans les faits, ce n’est que maintenant qu’ils commencent à voir les factures d’énergie arriver ou qu’ils renégocient leurs contrats et qu’ils se rendent compte des nouvelles tarifications.

Votre métier d’expert-comptable évolue fortement, on le voit, vers un rôle de conseil extrêmement large ce que vous appelez le partenaire augmenté du chef d’entreprise…

On nous cantonne effectivement trop souvent encore aux tâches de comptabilité et à l’établissement des bulletins de paie. Pourtant, aujourd’hui, la part la plus significative de notre activité est l’accompagnement à 360° que l’on peut proposer à nos clients. Nous faisons en effet beaucoup de droit, d’accompagnement stratégique et sociétal. Nous voulons être le partenaire privilégié des chefs d’entreprise pour toutes sortes de problématiques sur lesquelles nous ne sommes pas habituellement attendus, telle la gestion de patrimoine.

Nous avons aussi toutes les données pour accompagner les entreprises dans leur démarche RSE. C’est ce qui permet d’ailleurs de donner aux jeunes qui s’engagent dans ce métier du sens à leur travail. Pour améliorer l’attractivité de nos cabinets, nous faisons beaucoup d’interventions dans les écoles et lorsqu’on explique aux étudiants la palette de nos activités, ils sont très surpris. C’est le message que nous voulons faire passer : il y a vraiment du sens à venir travailler dans nos métiers.