Hommes et chiffres

Françoise Baraquin : « Les femmes ont un double plafond de verre : l’âge et le genre »

Emploi. Présente à Toulouse, Albi et Montpellier, l’association Action Femmes Grand Sud accompagne depuis 11 ans les femmes de plus de 45 ans vers le retour à l’emploi. Elle vient d’éditer un fascicule pour sensibiliser les entreprises et lever le tabou de l’âgisme professionnel féminin. Les explications de sa cofondatrice et présidente, Françoise Baraquin.

Lecture 11 min
Photo d'Action Femmes Grand Sud
Action Femmes Grand Sud a fêté ses 11 ans en décembre dernier. (Crédit : ACTION FEMMES GRAND SUD)

En décembre2011, avec Michèle Tisseyre et Nathalie David vous avez créé à Toulouse l’association Action Femmes Grand Sud qui depuis s’est déployée à Montpellier et Albi. Quelle est sa vocation ?

Nous nous adressons à un public de femmes, de plus de 45 ans, inscrites à Pôle emploi, qui cherchent à retrouver un emploi ou veulent créer leur entreprise. Nous les accompagnons de deux manières. Elles sont suivies par un bénévole qui va les assister de manière individuelle et autant que de besoin.

Cela signifie que cet accompagnement n’est pas normé : il est fonction des besoins de la personne. Elles peuvent ensuite participer à des ateliers collectifs sur la confiance en soi et l’estime de soi notamment parce que lorsque ces femmes arrivent chez nous elles ne sont pas du tout confiantes.

Nous proposons également des ateliers de psychologie positive, d’art-thérapie, de réflexologie, etc. Nous avons d’autres ateliers plus directement liés au positionnement sur le marché du travail, relatifs par exemple à l’entretien d’embauche, à l’utilisation de LinkedIn… Tout est gratuit.

Rien n’est obligatoire, à l’exception d’un atelier de dynamisation auquel on les incite à participer tous les 15 jours. Il leur permet de se rencontrer, d’échanger de préparer leur pitch et de se soutenir moralement. Une recherche d’emploi n’est pas un processus linéaire : il y a beaucoup de hauts et de bas et quand elles sont au plus bas, il est important qu’elles viennent et bénéficient du soutien des autres.

Quels problèmes rencontrent plus spécifiquement ces femmes ?

Elles rencontrent des difficultés particulières en raison de leur âge. Elles entendent partout : « à ton âge », « tu n’as pas le diplôme », etc. On leur dit tout le temps qu’elles sont trop vieilles. On ne les encourage pas. À l’opposé, lorsqu’elles arrivent chez nous, on leur demande ce qu’elles veulent faire et on leur dit : « allez-y, essayez ! »

Il n’y a pas de raison que cela ne marche pas. Nous avons 80% de sorties positives, qu’il s’agisse d’un emploi, d’une création d’entreprise ou d’une formation qualifiante.

Il n’en va pas de même pour les hommes seniors ?

Je pense que cela se passe un peu plus tard : un homme de 55 ans doit certainement être confronté à ce type de réponse. Mais de manière globale, on a moins tendance à critiquer les hommes. Les femmes ont un double plafond de verre : l’âge et le genre.

Quel est le profil des femmes que vous accompagnez ?

À Toulouse, nous avons essentiellement des Bac + 2 minimum. À Albi et Montpellier, les profils ne sont pas tout à fait identiques, sans doute parce que les bassins d’emploi sont différents. Et ce n’est pas parce qu’on est diplômée qu’on trouve forcément un travail.

Ce n’est pas parce qu’on est diplômée qu’on ne fait pas de burn-out, peut-être même au contraire. Ce n’est pas parce qu’on est diplômée qu’on n’est pas victime d’un accident de la vie, un mari qui disparaît ou qui divorce, une maladie, etc.

Ce sont ces profils que vous rencontrez ?

Oui des femmes qui ont fait un burnout ; des femmes qui se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants et ceux-ci faisant des études, ont besoin d’un deuxième salaire ; des femmes qui ayant décidé d’arrêter de travailler et dont le mari part, sont bien obligées de ramener des sous à la maison pour élever leurs enfants…

Les diplômes ne protègent pas des aléas de la vie. Combien de femmes accompagnez-vous chaque année ?

De l’ordre de 80 par an. Depuis que nous avons commencé, nous avons accompagné près de 500 candidates. En moyenne, l’accompagnement dure cinq mois.

Comment êtes-vous financés ?

C’est notre problème principal ! Nous sommes tous bénévoles, à l’exception d’une salariée. Nous organisons des manifestations chaque année pour recueillir des dons : ventes aux enchères, pièces de théâtre, concerts.

À Toulouse, nous sommes hébergés par la Mairie qui nous donne des subventions. Et puis nous sollicitons des fonds auprès de différentes fondations. Enfin, nous sollicitons les dons individuels qui, comme nous sommes une association reconnue d’intérêt général, peuvent être défiscalisés.

Combien de bénévoles comptez-vous et quel profil ont-ils ?

Nous sommes 65 sur les trois sites. La plupart viennent des ressources humaines, un petit tiers n’étant plus en activité : DRH, personnes issues de cabinets de recrutement, d’agences de travail temporaire qui, en offrant un peu de leur temps, veulent donner plus de sens à leur travail.

C’est pour cela qu’ils ou elles s’engagent, car nos bénévoles sont des femmes et des hommes.

Quelle est l’ambition du livret intitulé Et si les femmes de plus de 45 ans étaient un atout gagnant pour votre entreprise ? Que vous venez d’élaborer ?

Il a pour objectif de sensibiliser les entreprises à l’emploi des femmes seniors en leur montrant tous leurs atouts. Il contient également des témoignages d’employeurs qui ont franchi le pas et osé employer des femmes des plus de 45 ans, mais aussi des témoignages de femmes qui expliquent comment elles ont réussi à s’intégrer dans les entreprises. L’autre objectif est de recueillir des dons.

Photo de Françoise Baraquin
Françoise Baraquin préside Action Femmes Grand Sud. (Crédit : LYDIE CARPENTIER)

Quelques entreprises nous soutiennent chaque année financièrement, mais elles ne sont pas assez nombreuses à notre goût.

Y a-t-il un profil d’entreprises où ce type de blocage est plus fréquent ?

Nous n’avons pas de statistique là-dessus. Ce qu’on constate, c’est qu’il y a de plus en plus de cabinets de recrutement qui, dans les quelques candidats présentés, glissent un profil de femme senior alors que l’entreprise avait ouvertement exclu ces profils et qui ont finalement recruté la personne et en sont très contentes.

C’est tout même très choquant ! Que reprochent ces entreprises aux femmes de plus de 45 ans ? La maternité est derrière elles, elles sont généralement plus disponibles… Qu’est-ce qui cloche ?

C’est exactement ce qu’on leur dit : il n’y a plus de « risque » de maternité, plus d’enfant en bas âge… Une des personnes que nous avons accompagnée a une fois été questionnée par une jeune responsable RH en entreprise sur sa fatigabilité, allait-elle tenir le choc ?

Elle avait très justement répondu que quand elle rentrait chez elle, elle mettait les doigts de pied en éventail, n’ayant plus de devoirs ou de leçons et que quand elle ne dormait pas la nuit, c’était parce qu’elle l’avait décidé… Il y a plein d’idées reçues au sein des entreprises. Or, si vous embauchez quelqu’un de 55 ans en entreprise, il ne va pas changer au bout de six mois.

En général, si elles ont le bon profil, elles vont rester, seront fidèles, et ne voudront pas être calife à la place du calife. Ça aussi, c’est important.

Ce qui ne sera pas toujours le cas des hommes ?

Eux n’ont peur de rien ! Nous disons à ces femmes : « Osez ! Allez-y, qu’est-ce que vous risquez ». Mais ce n’est pas facile parce qu’on n’est pas faites comme ça. Je lisais récemment une interview de Christine Lagarde, présidente du FMI, qui disait qu’elle n’avait pas confiance en elle…

Ce qui m’avait choqué. Nous avons ainsi des dossiers archi-bordés, parce qu’il y a intrinsèquement cette confiance qui manque en chaque femme. En revanche, quand elles osent, elles déplacent des montagnes. C’est un problème d’éducation sans doute : peut-être nos petites-filles oseront-elles !