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Avocat : une profession singulière

Juridique. Aujourd’hui le droit est partout et les avocats sont partout. Profession juridique, aux champs de compétences extrêmement larges, l’avocature est un humanisme. Nous ne pouvons ici en faire une description exhaustive mais simplement en livrer quelques illustrations.

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Photo d'avocats
« Les avocats ont traversé les régimes autoritaires en luttant pour conserver une parole libre. » (Crédit : DR)

Devenir un avocat, c’est recevoir un héritage

Il est impossible de réfléchir sur la dimension de cette profession sans percevoir ce capital historique considérable fait de traditions, de culture, de valeurs, de combats, d’épreuves et de gestes…

L’avocat place toujours ses pas dans les pas de ceux qui l’ont précédé. Il sera confronté à des difficultés similaires, à des échecs, des réussites et des bonheurs comparables. Il puisera dans cet immense capital culturel, constitué au fil des siècles. Impossible d’inventer et de créer ce qui n’aurait jamais existé.

Toujours un acquis, toujours une souche pour servir de base et réinventer des solutions à des problèmes qui se reformulent sans cesse. Ortega y Gasset écrivait : « L’homme n’est jamais un premier homme. Il ne peut commencer à vivre qu’à un certain niveau de passé accumulé. » L’avocat n’est jamais un premier avocat…

Les avocats construisent leur profession au coeur de l’écoute, de la confidence et du secret

L’écoute est le premier devoir de l’avocat. Il doit se mettre en situation d’entendre, dans son rôle de confident, tout ce qu’un homme ne dira jamais, pour des raisons évidentes ou dissimulées, à une autorité quelle qu’elle soit.

Il connaît la valeur de ces confidences et il veille à en conserver le secret. Il scelle ainsi les bases d’une confiance sans laquelle il lui serait impossible de conseiller ou de défendre utilement.

Aucun pouvoir, sous aucune latitude, n’apprécie la LIBERTÉ des avocats. Napoléon quand il supervisait l’organisation de notre profession affirmait qu’il voulait pouvoir couper la langue d’un avocat qui s’en servirait contre le gouvernement. Les avocats ont traversé les régimes autoritaires en luttant pour conserver une parole libre.

Aujourd’hui, ils doivent faire face aux pouvoirs technocratiques qui tentent d’imposer aux professions indépendantes l’obligation de dénonciation. La profession d’avocat est une des rares à résister culturellement, c’est-à-dire efficacement, à cette prétention.

Avec une incroyable constance, les règles qui régissent la profession d’avocat ont conservé, parmi les obligations à la charge du professionnel, celle du DÉSINTÉRESSEMENT. Que signifie aujourd’hui encore ce terme si éloigné de nos contraintes économiques et des valeurs dominantes du marché ?

Coquetterie, précepte éthique, principe fondateur d’une identité en péril ? Il faut pour l’expliquer rapprocher cette notion de celle d’INDÉPENDANCE plus aisément comprise et admise. Cette règle n’est pas énoncée pour interdire à l’avocat de vivre de son métier.

Il est souhaitable que cette fonction soit assurée pour donner les moyens d’une indépendance effective et d’un désintéressement authentique.

Si nous considérons que la valeur ajoutée de l’avocat réside dans la confiance qu’il peut inspirer, celle-ci doit se nourrir d’une particularité éthique qui assure, au-delà de la simple loyauté, que l’avocat ne poursuit pas une finalité personnelle et qu’il restera sourd aux entreprises de séduction qui pourraient être celles du monde économique ou des différentes figures du pouvoir.

Cette singularité est vitale. Dans les pays dans lesquels l’avocat se confond avec le marché ou à l’opposé avec l’État, la profession tombe dans une forme de néant social parfois argenté mais jamais libre.

« Je jure comme avocat d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité »

La première vertu mise en exergue par ce serment est celle de DIGNITÉ. Faut-il voir simplement dans le mot dignité, le respect et la gravité que nous pouvons attendre d’un personnage investi d’un rôle social éminent ? C’est certainement cela la dignité. Elle ne saurait cependant être enfermée dans une clôture formelle, étouffée entre componction bourgeoise et artifice du bon goût.

Si cette notion est importante, peut-elle varier dans le temps au gré de l’évolution des modes et des moeurs ? Le plus sage serait de l’ancrer dans la temporalité des grands auteurs.

« Dans le règne des fins tout a un prix ou une dignité. Ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre à titre d’équivalent ; au contraire ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent c’est ce qui a une dignité. » Emmanuel Kant, Fondement de la métaphysique des moeurs.

Entre autres devoirs, il revient à l’avocat la mission si particulière de défendre les vaincus.

Dans un grand nombre de cas, la justice est amenée à juger des vaincus. Justiciables vaincus avant de rentrer dans le prétoire, soit que cette qualité colle tristement à leur vie, soit qu’elle fut le fruit amer d’une déchéance personnelle, affective, sociale, économique… La philosophe Simone Weil affirmait que la justice était « une fugitive du camp des vainqueurs ».

Ce constat est conforté dans sa pertinence par l’étude de toutes les périodes troublées de l’Histoire. La justice du quotidien doit, elle aussi, se rappeler qu’elle juge des vaincus. L’exercice ne peut s’accompagner d’une forme de mépris, d’arrogance ou de suffisance.

Il est bien assez d’avoir le pouvoir de juger pour ne pas céder à la tentation d’humilier. Nous recevons dans nos cabinets ces destins brisés, orphelins d’une dignité qu’il faudra recouvrer. Il y a, dans le regard singulier que portent les avocats sur les vaincus, une grande part de leur vocation et de leur identité.

« Tant qu’il y aura des torts et des injustices à redresser il faudra se battre. » Le travail des avocats n’est parfois pas si éloigné de la quête du Don Quichotte de Cervantes.

Certains, courageux et chevaleresques, vivent le sentiment diffus de lutter contre un adversaire insaisissable, dissimulé derrière le cynisme et l’indifférence du monde.

À la manière de ces hidalgos désargentés, hissés sur une vieille carne fatiguée, ils portent la gloire intérieure des combats sans solde et sans postérité. Que serait notre société sans l’engagement improbable, mais toujours renouvelé, de ces chevaliers du droit au profit des meilleures et des pires des causes ?

Un monde totalitaire dans lequel nous n’aurions aucune chance de croiser ces personnages qui incarnent, jusqu’à la bizarrerie, les DROITS DE LA DÉFENSE…