Disparité des revenus des micro-entrepreneurs : du mirage à la réalité
Stratégie. Démarches simplifiées, régime fiscal allégé : l’auto-entrepreneuriat attire un public très diversifié. Mais qu’en est-il réellement des revenus tirés de cette activité ? Pascal Ferron, président de Walter France, réseau de cabinets d’expertise comptable et d’audit, décrypte les enseignements clés de la dernière étude de l’Insee sur les revenus des indépendants.

La France comptait en 2022 plus de quatre millions de travailleurs indépendants, qu’ils soient exploitants agricoles, commerçants, artisans ou professionnels libéraux. Un nombre en forte hausse puisque, hors agriculture, les effectifs des non-salariés ont augmenté de 72 % entre 2008 et 2022, preuve de l’engouement des Français pour l’entrepreneuriat, surtout quand il est exercé en autonomie, sans salariés à encadrer.
Selon l’Insee, près de la moitié de ces non-salariés (soit 1,8 million de personnes) étaient, en 2022, des micro-entrepreneurs actifs, démonstration là aussi du succès remporté par ce statut simplifié créé en 2009 sous le nom d’auto‑entrepreneur puis requalifié en micro‑entrepreneur en 2014. Succès qui s’amplifie d’année en année malgré les coups de griffes successifs porté par le gouvernement à ce statut.
Des revenus modestes mais en progression
Exercer une activité indépendante n’est pas toujours synonyme de gros revenus. C’est ce que révèle crûment l’étude de l’Insee. Ainsi, si les non‑salariés « classiques » gagnent en moyenne 4 030 € par mois, le revenu moyen d’un micro-entrepreneur actif s’élève à 670 € par mois en 2022, un montant toutefois en nette hausse par rapport aux années précédentes (+43,7 % depuis 2013 en euros constants). Cette moyenne, qui prend en compte ceux qui sont très proches de l’inactivité, au moins temporaire, cache cependant de fortes disparités sectorielles et individuelles.
Dans certains secteurs, le revenu mensuel moyen dépasse ainsi les 900 €. C’est le cas notamment dans la construction (920 €), les activités immobilières, ou encore l’ingénierie et les services financiers (plus de 1 000 €). À l’inverse, dans les domaines de la livraison à domicile, des services artistiques ou de l’enseignement, les micro-entrepreneurs tirent en général moins de 500 € mensuels de leur activité.

Pour rappel, la loi impose un plafond de revenus pour l’octroi du statut de micro-entrepreneur fixé à 77 700 € HT pour les prestations de service et à 188 700 € HT pour les activités commerciales, permettant à nombre d’auto-entrepreneurs qui exercent leur activité à temps plein de se rémunérer tout à fait correctement. Le projet de rabaissement de ces seuils qui avait été envisagé en début d’année est pour l’instant, fort heureusement, reporté sine die.
À ce propos, Pascal Ferron, président de Walter France, réseau de cabinets d’expertise comptable et d’audit et fondateur du site dédié aux auto-entrepreneurs, MonEntrepriZ, met en garde : « Certes, ce statut connaît un réel succès, jamais démenti depuis son origine, mais c’est un équilibre fragile que les politiques ne doivent pas bousculer, surtout par incompréhension. »
Des écarts frappants
L’étude de l’Insee révèle un niveau d’inégalité très élevé chez les micro-entrepreneurs : les 10 % les mieux rémunérés gagnent plus de 1 750 € par mois, tandis que les 10 % les moins rémunérés ne dépassent pas 20 €.
Cette dispersion extrême s’explique par la diversité des profils. En effet, de nombreux auto-entrepreneurs exercent leur activité en complément d’un emploi salarié, pour pouvoir tirer des revenus de leur hobby. Il peut s’agir également d’étudiants qui exercent à temps partiel, de retraités qui complètent ainsi la faiblesse de leur pension, ou de salariés qui monétisent une partie de leur temps libre grâce à une activité passion. Le statut de micro-entrepreneur s’analysant alors comme un tremplin vers une activité non-salariée.
Beaucoup d’auto-entrepreneurs exercent ainsi à temps très partiel, voire de manière plus qu’occasionnelle, ou ponctuelle. Les moyennes de rémunération sont, pour cette raison, peu significatives. Difficile dans ces conditions d’extrapoler ou même de comparer ces revenus avec les niveaux de rémunération des salariés.
Enseignement, culture, activités précaires
La fraction d’auto-entrepreneurs qui se rémunèrent le mieux travaille le plus souvent à temps complet et a opté pour ce statut pour sa simplicité administrative. En fonction de la technicité du métier exercé, leur rémunération annuelle peut alors atteindre de 50 à 65 000 €, frisant pour certains le dépassement de seuils.
Certains secteurs concentrent un grand nombre de micro-entrepreneurs sans pour autant générer des revenus conséquents. Dans l’enseignement, par exemple, les revenus médians sont de 350 € par mois. Dans les arts et spectacles, une part importante des actifs touche moins de 500 € mensuels. Ces domaines attirent souvent des professionnels passionnés ou en reconversion, qui exercent leur activité en marge d’un autre emploi.
Un statut tremplin...
L’analyse des données de l’Insee met également en lumière un usage différencié du statut de micro-entrepreneur. S’il constitue un excellent tremplin vers l’entrepreneuriat pour les jeunes, les actifs en reconversion ou les retraités en activité partielle, il montre ses limites dès lors que l’activité se professionnalise. Au-delà d’un certain volume d’affaires, les seuils de chiffre d’affaires et la fiscalité forfaitaire peuvent devenir contre-productifs.
Il devient indispensable dans cette situation de mener une réflexion stratégique sur le changement de statut, notamment vers l’entreprise individuelle classique ou la création de société (EURL, SASU), afin d’optimiser à la fois la fiscalité et les revenus.
Mais pas adapté à toutes les ambitions
En 2022, trois micro-entrepreneurs sur dix sont pluriactifs, ce qui démontre que le statut est souvent utilisé comme complément de revenu. Pourtant, dans certains secteurs à faible investissement de départ (comme les services numériques ou le conseil), des revenus stables et durables peuvent être atteints.
Le statut de micro-entrepreneur reste une formidable porte d’entrée dans l’activité indépendante, mais il doit être envisagé comme une étape et non une finalité, en particulier pour ceux qui ambitionnent de vivre pleinement de leur activité.
« Pour les professionnels qui souhaitent aller plus loin, ils auront tout intérêt à faire appel à des experts qui pourront les conseiller sur le meilleur statut juridique pour prendre la relève du statut de micro-entrepreneur, établir des projections de chiffre d’affaires, de rentabilité et de revenus, et pour une optimisation fiscale et sociale », conclut Pascal Ferron.