Expert-comptable : quels sont les gros dossiers qui attendent le nouveau président régional ?
Entretien. Le 3 décembre 2024, Éric Gillis a été élu pour deux ans à la tête du conseil régional de l’Ordre des experts-comptables d’Occitanie, une structure qui représente 1 950 experts-comptables et plus de 550 stagiaires experts-comptables. Pour le nouveau président, de nombreux défis attendent les professionnels, depuis l’arrivée de la facturation électronique jusqu’à la défense de la profession, en passant par l’intégration de l’intelligence artificielle.
« IA, réglementation… Expert-comptable, un métier menacé ? » titrait en octobre 2024 le magazine Le Point. Un titre volontiers provocateur qui pointait quelques-uns des enjeux auxquels les professionnels du chiffre se trouvent confrontés. D’ailleurs, le conseil national et les conseils régionaux de l’Ordre des experts-comptables se mobilisent déjà depuis plusieurs mois sur ces sujets comme le confirme Éric Gillis.
Élu le 3 décembre 2024 pour un mandat de deux ans à la tête du conseil régional de l’Ordre des experts-comptables (CROEC) d’Occitanie, une institution qui représente 1 950 experts-comptables et de plus de 550 stagiaires experts-comptables, ce dernier a en effet sur son bureau plusieurs gros dossiers à traiter. « Plus que jamais, notre défi est de valoriser notre métier et nos missions en lui permettant de prendre le virage du numérique, des nouvelles missions et en rendant notre métier plus attractif envers les jeunes », a expliqué le nouvel président du CROEC à l’issue de son élection.
La fin programmée de la tenue comptable
Le premier de ces dossiers est d’ordre technologique avec notamment l’arrivée de la facturation électronique. Pour rappel, plusieurs fois reporté, son déploiement doit se faire de manière progressive avec deux échéances majeures : le 1er septembre 2026, avec l’obligation pour toutes les entreprises de pouvoir réceptionner des factures dématérialisées et pour les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire l’obligation d’émettre des factures dématérialisées. La seconde échéance est le 1er septembre 2027, avec l’obligation pour les petites et moyennes entreprises, et les microentreprises d’émettre des factures dématérialisées.
« Dans nos cabinets, l’arrivée de la facture électronique va se traduire par une disparition progressive de la tenue (NDLR, la tenue consiste à enregistrer toutes les pièces comptables telles que factures d’achat ou de vente, reçus, quittances, notes de frais…). Et cette disparition va nécessairement avoir des conséquences sur le plan de l’organisation des cabinets », confirme Éric Gillis.
Face au risque de suppressions de postes au sein des cabinets, la profession s’attèle à « faire évoluer les compétences de nos collaborateurs pour les amener sur un autre terrain », comme la gestion ou l’exploitation de la donnée. « C’est un des enjeux de la mandature : accompagner les cabinets et les collaborateurs par des formations aux métiers de demain. »
Compte tenu de l’ampleur de la tâche, le conseil national de l’Ordre a lancé un vaste plan de formation, Profession comptable 2030, ouvert aux 170 000 collaborateurs que compte la profession sur le territoire national.
Intégration de l’IA dans les métiers du chiffre
L’autre révolution attendue est celle de l’intelligence artificielle (IA). « L’enjeu est de savoir en quoi l’IA va nous être utile ? Pour faire quelles tâches ? Et avec quelles conséquences pour les cabinets ? poursuit le président du CROEC. Ce que nous devons éviter, c’est que l’IA ne soit pas maîtrisée. C’est le principal danger. Je suis très confiant à son sujet à condition que l’on soit en capacité de la dompter. »
Alors, l’IA est-elle une opportunité ou une menace ? Éric Gillis a choisi son camp. « L’objectif est de garder la maîtrise de la qualité. Et pour ce faire, l’enjeu fondamental est de conserver un esprit critique vis-à-vis de l’IA. Si c’est le cas, elle peut être un outil formidable qui va nous permettre d’automatiser certaines tâches souvent à faible valeur ajoutée et donc de dégager du temps pour faire plus de conseil auprès de nos clients. »
Une nouvelle fois, face à l’importance de l’enjeu, l’élu pointe le poids du conseil régional. « C’est le rôle de notre institution d’accompagner les cabinets dans la pénétration de l’IA. Pour cela, nous allons travailler avec des acteurs locaux. C’est ce que nous avons fait il y a trois ans avec des formations organisées à Montpellier par LaborIA pour essayer d’imaginer quels sont les secteurs de pénétration de l’IA dans nos cabinets et comment nous y préparer, et faire, là aussi, évoluer le profil de nos collaborateurs. »
Sécurité numérique
À l’échelon national, le nouveau président du conseil national de l’Ordre, Damien Charrier, élu le 17 décembre, rappelle, de son côté, la volonté de la profession « de développer une IA générative dédiée », à la fois « souveraine, fermée et sécurisée ».
Ce virage numérique revêt encore un autre aspect, et pas des moindres, celui de la cybersécurité. « Elle n’est plus le "privilège" des grandes entreprises », assure Eric Gillis. Dès lors, ajoute-t-il, la question pour les PME n’est pas de savoir si elles vont être attaquées mais plutôt quand. « Il y a des formations à mettre en place et tout un travail à faire avec nos partenaires pour acculturer les experts-comptables et leurs salariés aux bonnes pratiques », ajoute-t-il.
Des enjeux RH
Confrontée à ces évolutions majeures, la profession doit en même temps œuvrer pour maintenir et développer son attractivité. « Il y a du turnover au sein de nos cabinets et comme dans de nombreuses professions, nous avons du mal à fidéliser nos collaborateurs, reconnaît Eric Gillis. Nous devons nous poser des questions. »
Une commission va d’ailleurs être créée au sein du conseil régional sur le management des cabinets. « Le management est une véritable préoccupation pour arriver à bâtir une équipe solide et stable. L’idée à travers la création de cette commission est d’aider les confrères à mettre en place des politiques de management actuelles et qui tiennent compte des attentes des collaborateurs. »
Et peut-être plus particulièrement des collaboratrices, sachant que 28 % seulement des experts-comptables sont des femmes. « Au cours des études, la parité est quasi parfaite entre les femmes et les hommes, mais dès le diplôme obtenu, de nombreuses jeunes femmes décident d’embrasser d’autres professions que celle d’expert-comptable inscrit à l’ordre en libéral », confesse Éric Gillis.
Avant de s’interroger : « Nos modèles actuels de cabinet ne sont-ils pas à revoir ? Sont-ils adaptés aux exigences des femmes et à la conciliation avec une vie de famille ? Nous avons des questions à nous poser sur la place des femmes au sein de notre profession de manière à être plus attractifs vis-à-vis du personnel féminin et de nos consœurs. » Le nouveau président du CROEC imagine des solutions comme le mentorat « pour accompagner les jeunes femmes dans la création des modèles de demain dans lesquels elles se sentiront mieux ».
Gagner en influence
Parmi les grands chantiers auxquels Éric Gillis veut s’atteler figure aussi « le rayonnement de la marque expert-comptable ». Dans ce cadre, le président du CROEC veut initier des rencontres avec le monde politique : parlementaires, conseillers régionaux, départementaux ou maires de grandes agglomérations afin, explique-t-il, « de faire remonter du terrain ce que nous vivons auprès des chefs d’entreprise. Je pense en effet que hommes et femmes politiques sont friands de ce que nous pouvons leur donner, à savoir une vision qu’ils n’ont pas forcément, une fois qu’une mesure a été prise, de ses impacts sur le terrain. »
Au-delà du partage d’expérience sur « ce qui marche ou ne marche pas », l’idée à travers ces rencontres est également de « faire connaître la profession, l’étendue de nos interventions mais aussi faire toucher du doigt l’importance de nos missions dans l’écosystème. C’est une profession qu’il faut défendre et je m’y emploierai », conclut-il.