Harcèlement moral et dégradation de l’état de santé du salarié, nouvelle lecture de la Cour de cassation
Jurisprudence. Un arrêt de la Cour de cassation du 11 mars 2025 précise que ni la dégradation des conditions de travail, ni la dégradation effective de l’état de santé ne sont des conditions exclusives ou indispensables pour qualifier une situation de harcèlement moral. L’avocat toulousain Daniel Mingaud, spécialiste en droit du travail, fait le point sur cette nouvelle décision.

Avec la libération de la parole, la multiplication des signalements, le harcèlement au travail n’est plus une question marginale mais un problème majeur que les entreprises ne peuvent plus ignorer. À tort ou à raison, et à l’instar des rappels d’heures supplémentaires, la question du harcèlement est aujourd’hui au cœur de presque tous les litiges prud’homaux. D’où la nécessité pour les directions des ressources humaines, placées en première ligne, de se préparer en amont.
Toutefois, la tâche est ardue car la qualification juridique des faits est rendue complexe par une jurisprudence en perpétuelle évolution. Selon l’article L.1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral, qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Au cœur de nombreux les contentieux prud’homaux
Aujourd’hui, s’appuyer sur cette définition légale du harcèlement n’est cependant plus un gage de sécurité, comme un employeur vient d’en faire l’amère expérience… (Cass. Soc. 11 Mars 2025, n° 23-16.415). Dans cette affaire, une salariée, gardienne pour le compte d’un syndicat de copropriétaires, prétend subir un accroissement de ses tâches, des avertissements injustifiés. Elle prétend également avoir été empêchée par son employeur de prendre ses congés payés.
S’estimant victime d’un harcèlement moral, elle saisit la juridiction prud’homale et demande le paiement de diverses sommes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail. Le conseil de prud’hommes la déboute de ses demandes, au même titre que la cour d’appel de Paris.
À l’appui de l’article L.1152-1 du code du travail précité, les juges parisiens estiment en effet que les faits rapportés par la salariée n’ont pas eu pour conséquence de dégrader ses conditions de travail ni d’altérer son état de santé, et ne peuvent donc pas être qualifiés de harcèlement. Selon les juges du fond, cette dégradation effective constituait donc une condition sine qua non de la qualification de harcèlement moral.

La Cour de cassation, saisie de ce litige par la salariée, ne sera pas de cet avis. Pour la haute cour, la reconnaissance du harcèlement moral n’est pas réduite à la constatation d’une dégradation avérée des conditions de travail de la salariée. Selon elle, le simple fait que la cour d’appel reconnaisse que la salariée établissait des faits précis qui laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral et qu’il était également constaté la défaillance de l’employeur à prouver le contraire, suffisait à reconnaitre le harcèlement.
Plus précisément, toujours selon la Cour de cassation, la cour d’appel ne pouvait pas écarter la reconnaissance du harcèlement moral dès lors qu’elle avait constaté que l’avertissement notifié à la salariée était injustifié, et que l’employeur ne fournissait aucune explication sur l’absence de sollicitation de ladite salariée quant à la fixation de ses congés.
Insécurité juridique
En remettant en cause la définition légale du harcèlement, la Cour de cassation laisse entendre clairement qu’en la matière, seul son constat caractérise le harcèlement, peu important son impact sur la relation de travail du salarié ou son état de santé.
Notons enfin que la chambre criminelle de la Cour de cassation, après avoir consacré le harcèlement moral institutionnel, vient de reconnaître à son tour la notion de harcèlement d’ambiance à caractère sexuel, et ce, après la cour de Paris, comme évoqué dans ces colonnes.
Face à une telle insécurité juridique, et afin surtout de mener des actions préventives, le DRH pourra peut-être trouver des réponses dans le vademecum publié le 5 février 2025 par la Défenseure des droits, Claire Hédon, proposant 49 recommandations pour mieux traiter la discrimination et le harcèlement en entreprise (Décision cadre : Discrimination et harcèlement sexuel dans l’emploi privé et public : recueil du signalement et enquête interne, février 2025).