Indemnité d’occupation : vers un versement systématique pour les télétravailleurs ?
Jurisprudence. Effet du Covid, le télétravail, auparavant boudé par les entreprises, est devenu un argument pour recruter. Si une majorité des salariés se dit aujourd’hui favorable à cette pratique, sa démocratisation soulève encore des questions juridiques. Pour preuve, ce récent arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2025 au sujet du versement aux télétravailleurs d’une l’indemnisation d’occupation du domicile. Explications avec Me Mingaud, avocat à la cour, spécialiste en droit du travail.

Un récent arrêt de la Cour de cassation va-t-il changer la donne en matière de télétravail ? Marginal en 2019 avec seuls 4 % des salariés qui le pratiquaient de façon régulière, depuis la crise du Covid le télétravail s’est fortement déployé. Au premier semestre 2024, 22 % des salariés du privé exerçaient en distanciel au moins une fois par mois (source Insee).
Preuve de l’installation durable de cette tendance : selon une récente étude de la Dares publiée en novembre dernier, le nombre de télétravailleurs est passé de 2 à 6,1 millions entre 2019 et 2023. Parmi eux, 8 % le pratiquent deux jours par semaine. Autre enseignement, le télétravail s’inscrit progressivement dans les accords d’entreprise : en 2022, près de 4 % des accords d’entreprise abordaient cette thématique contre moins d’1 % en 2017. Un tiers des accords fixait sa durée à une journée maximum par semaine et un cinquième à trois jours ou plus (enquête de l’Insee publiée le 5 mars dernier).
6,1 millions de télétravailleurs
Si la pratique s’est donc généralisée, il reste cependant des zones d’ombre, notamment concernant les moyens alloués aux salariés télétravaillant. Ainsi, si les moyens matériels et logistiques (logiciels, abonnements, communications…) mis à leur disposition semblent à la hauteur des besoins, le sujet de l’indemnité d’occupation du domicile reste flou. Elle est destinée à compenser le désagrément lié à son utilisation à des fins professionnelles (matériel stocké, pièce dédiée…). La décision du 19 mars 2025 de la Haute juridiction met en évidence cette confusion et interroge les juristes.
Avocat au barreau de Toulouse, Me Daniel Mingaud revient sur cette affaire opposant un chef des ventes de la société Swinkels Family Brewers France à son employeur. À l’occasion de sa demande de résiliation judiciaire devant le conseil de prud’hommes, ce dernier avait entre autres sollicité le paiement d’une indemnité d’occupation.
En d’autres termes, explique l’avocat toulousain, « de par ses fonctions commerciales itinérantes par nature, le salarié n’exerçait pas factuellement une activité de télétravail. » La Cour de cassation, au visa de l’article L 1222-9 du code du travail relatif au télétravail, a cependant considéré que l’occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constituait « une immixtion dans sa vie privée », lui permettant de prétendre à cette indemnité, dès lors :
- qu’un local professionnel n’avait pas été mis à sa disposition ;
- ou qu’il avait été convenu que le travail s’effectue sous la forme du télétravail.
De lourdes conséquences pour l’employeur
« Ce principe, ainsi posé par la Haute Cour, est lourd de conséquences pour l’employeur puisqu’il tend à systématiser l’octroi d’une indemnité d’occupation pour toutes les tâches du salarié qui seraient exercées sous forme de télétravail », poursuit Me Mingaud. Et d’ajouter :
Cette décision laisse en suspens un certain nombre de questions auxquelles les magistrats devront rapidement répondre, à commencer par la détermination du calcul de cette indemnité d’occupation, notamment pour des tâches en télétravail qui peuvent ne prendre que quelques jours par mois si l’on reprend l’exemple du salarié itinérant… »
Compte tenu de l’impact financier que cette automaticité pourrait engendrer pour de nombreuses entreprises, la Cour de cassation sera certainement amenée à préciser sa position, que le télétravail soit exercé à temps complet ou de manière partielle. Au risque si cette décision fait jurisprudence, de mettre un coup d’arrêt au développement du travail à distance en France ?