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Le Barreau de Toulouse vent debout face à une possible restriction du droit d’appel

Justice. Alors que les délais de traitement des affaires devant les juridictions de second degré s’allongent, le ministère de la Justice planche sur un projet de décret dénommé Rivage qui vise à réduire sensiblement le droit de faire appel pour le réserver aux contentieux les plus importants. Une réforme qui provoque l’ire des avocats.

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Le conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Toulouse, présidé par Maîtres Sophie Coq et Sylvain Laspalles, respectivement bâtonnier et vice-bâtonnier, s’oppose fermement à l’adoption du décret Rivage qui vise à restreindre la possibilité de faire appel. (©Barreau de Toulouse)

Selon l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, « toute personne a le droit d’être jugée (…) dans un délai raisonnable ». Une exigence que la France ne respecte pas toujours, en témoignent les nombreuses saisines de la Cour européenne des droits de l’Homme sur ce fondement. De fait, 86 % des Français estiment que la justice est trop lente (source Infostat Justice, octobre 2025). Malheureusement les chiffres du ministère leur donnent raison. Selon l’édition 2024 de Références Statistiques Justice, publiée par la Chancellerie, le délai moyen de traitement des affaires par les cours d’appel est actuellement de l’ordre de 14 mois (contre 11,6 pour la cour d’appel de Toulouse).

Un chiffre bien trop élevé selon la Chancellerie qui prépare un projet de décret, dit RIVAGE, de « rationalisation des instances en voie d’appel pour en garantir l’efficience ». Objectif : désengorger les 34 cours d’appel que compte l’Hexagone, en réduisant, selon nos confrères de Monde du droit, « de 7 % le flux de nouvelles affaires en appel, soit environ 12 400 dossiers par an ».

Réserver l’appel aux litiges les plus importants

Pour y parvenir, le garde des Sceaux a trouvé une parade radicale : réduire significativement les possibilités d’appel, notamment en relevant de 5 000 € à 10 000 € le seuil pour pouvoir interjeter appel d’une décision de première instance, et ce en matière civile, commerciale comme prud’homale.

Face à ce que beaucoup considèrent comme « un recul sans précédent quant à l’accès à la Justice et au double degré de juridiction », les avocats sont vent debout contre le projet de réforme. De fait, depuis le Conseil national des barreaux, organe représentatif de la profession, jusqu’aux barreaux de province, le rejet est en effet unanime. À l’image de la motion adoptée le 29 octobre dernier par le conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Toulouse présidé par Maîtres Sophie Coq et Sylvain Laspalles, respectivement bâtonnier et vice-bâtonnier, qui s’oppose vertement à ce projet de décret qu’il juge « inacceptable ».

D’autant que ce dernier prévoit d’autres restrictions à la possibilité de saisir le juge du second degré. Serait ainsi supprimer purement et simplement le droit d’appel dans certaines matières notamment « les pensions et contributions alimentaires, les contributions aux charges du mariage, du PACS ou à l’entretien des enfants », énumère le barreau toulousain.

Le texte prévoit également de rendre obligatoire la tentative de règlement amiable (conciliation, médiation ou procédure participative) notamment pour les actions en paiement n’excédant pas 10 000 €, contre 5 000 € aujourd’hui. Il envisage enfin d’instaurer un filtrage des appels au profit des présidents de chambre des cours d’appel, en leur confiant le pouvoir d’écarter les appels “manifestement irrecevables”.

Une réforme qui pénalisera les plus fragiles

Et cela « sans débat contradictoire préalable c’est-à-dire sans que les parties concernées soient entendues et sans recours de droit commun », précisent dans un communiqué commun daté du 28 octobre 2025, plusieurs syndicats professionnels dont la Fédération nationale des Unions de jeunes avocats (FNUJA), la Confédération nationale des avocats (CNA), le Syndicat des avocats de France (SAF), l’ACE (Avocats conseils d’entreprises) et Avenir des Barreaux de France (ABF).

Les cinq oragnisations dénoncent « une réforme menée sans concertation réelle (…) et sans étude d’impact ou statistique sur les causes du non-respect des délais raisonnables ». Un projet d’autant plus dommageable qu’il « pénalisera les plus fragiles, celles et ceux pour qui un litige de quelques milliers d’euros représente souvent des enjeux vitaux : un loyer, un salaire, une dette, une réparation… », précisent les signataires.

Malgré une hausse significative du budget du ministère de la Justice, passé de 6,8 Md€ en 2017 à 10,1 Md€ en 2024 (soit plus de 40 % d’augmentation), les acteurs continuent d’alerter «  sur l’asphyxie de la justice civile et le manque de moyens criant pour répondre aux besoins des justiciables ». Une situation que dénoncent les professionnels toulousains depuis plusieurs années déjà, avec en point d’orgue, une mobilisation sans précédent il y a deux ans.

On se souvient que le 8 février 2023, face au manque criant de magistrats et de greffiers au sein au palais de justice de la Ville rose, les bâtonniers d’alors, Mes Caroline Marty-Daudibertières et Thomas Neckebroeck, avaient en effet eu l’idée d’organiser un procès fictif intitulé « Tentative de meurtre de la justice », estimant qu’« un point de non-retour » avait été franchi.

Ouverture d’une concertation approfondie

Les professionnels toulousains, qui déplorent ainsi une vision purement « comptable » de la Justice, exigent un abandon immédiat de ces mesures et appellent eux aussi à une véritable concertation « pour parvenir à une justice civile à la hauteur des enjeux et digne de notre État de droit ».

Le garde des Sceaux Gérald Darmanin parait avoir entendu la demande des professionnels. À l’issue d’une entrevue avec les responsables de la profession, à savoir Mes Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux, Pierre Hoffman, bâtonnier de Paris, et Jean-Raphaël Fernandez, président de la Conférence des bâtonniers, le 29 octobre dernier place Vendôme, le ministre a annoncé l’ouverture d’une concertation approfondie.

Mené avec les avocats et les juridictions, durant les deux mois à venir, ce travail collectif permettra, selon le CNB, à la profession de faire entendre sa position, « afin de trouver les solutions les plus pertinentes ».