Entreprises en difficulté : la conciliation, un bouclier en toute discrétion
Jurisprudence. Lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés juridiques (litige entre associés), économiques (perte de marché) ou financières (impayés clients), elle peut solliciter l’ouverture d’une procédure de conciliation auprès du tribunal de commerce (et dans certains cas, devant le tribunal judicaire). Cette procédure, entièrement confidentielle, a pour objectif de faciliter des négociations discrètes et efficaces entre les parties pour résoudre les problèmes rencontrés.
La confidentialité est essentielle pour protéger l’entreprise des conséquences négatives d’une divulgation, telles que la détérioration des relations avec les créanciers, les fournisseurs ou les partenaires commerciaux. Une fuite d’informations sensibles pourrait compromettre la santé financière de l’entreprise et affecter ses relations d’affaires.
Dans son arrêt du 3 juillet 2024 (Cass. Com. 03/07/2024 – N° 22-24.068 PB), la Cour de cassation a rappelé que toute violation de cette confidentialité constitue une atteinte aux droits de l’entreprise. Cet arrêt, qui concernait la portée de la confidentialité dans le cadre d’une déclaration de défaut dite « bâloise » par un établissement financier auprès de la Banque de France (FIBEN), est particulièrement significatif.
La Cour a clarifié l’application simultanée des articles L. 611-15 du code de commerce et 873 du code de procédure civile en matière de confidentialité des procédures de conciliation. Elle a également souligné que de telles violations constituent des troubles manifestement illicites pour l’entreprise, renforçant ainsi sa protection juridique.
Une violation de la confidentialité sanctionnée par la Cour de cassation
La société O, leader européen dans la location de voitures de golf réindustrialisées, a racheté le fonds de commerce d’une autre société, spécialisée dans la location de véhicules électriques, lors d’une liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Toulouse, le 7 juillet 2017.
En décembre 2019, la société O a obtenu l’ouverture d’une procédure de conciliation afin de mener des négociations en toute sérénité, sous le sceau de la confidentialité. La Banque S.G., en tant que partenaire financier, a été informée de cette procédure.
Cependant, en mai 2020, malgré la confidentialité en vigueur, la Banque S.G. a déclaré la société O. en défaut « bâlois » auprès de la Banque de France, entraînant une dégradation sévère de sa cotation (de 5+ à 6), compromettant sa capacité à obtenir des financements externes, notamment en pleine crise liée à la pandémie mondiale.
Face à cette situation, la société O. a assigné la Banque S.G. en référé devant le tribunal de commerce de Paris, demandant la mainlevée de l’inscription de défaut et la réparation de son préjudice. Elle soutenait que la Banque S.G ne pouvait utiliser cette information confidentielle pour justifier cette inscription.
Le 15 septembre 2021, le tribunal a rejeté les demandes de la société O. et l’a condamnée à verser 2 500 € à la Banque S.G. La société O. a interjeté appel, mais la cour d’appel de Paris a également rejeté ses demandes le 12 mai 2022. La société O. a alors formé un pourvoi en cassation.
Une protection renforcée des entreprises opposable aux banques
La Cour de cassation devait répondre à une question clé : la Banque S.G. avait-elle violé la confidentialité de la procédure de conciliation en déclarant un défaut auprès de la Banque de France sur cette base ? Cette action constituait-elle un trouble manifestement illicite devant cesser immédiatement, conformément à l’article 873 du code de procédure civile ?
Dans sa décision, la Cour de cassation a donné raison à la société O. en cassant l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Elle a jugé que la déclaration de défaut, fondée sur une information confidentielle relative à la procédure de conciliation, constituait un trouble manifestement illicite nécessitant une cessation immédiate dans le cadre du référé.
La Cour a fermement rappelé que la confidentialité d’une procédure de conciliation s’étend à la décision d’ouverture, à son existence et à son contenu. Cette confidentialité s’impose à toutes les parties, y compris les établissements financiers.
Qu’est-ce que cela change pour les dirigeants de PME ?
La décision de la Cour de cassation renforce le caractère impératif de la confidentialité des procédures de conciliation, s’appliquant à toute personne en ayant connaissance, même indirectement. Cette décision est essentielle pour encourager les entreprises à utiliser ce dispositif en toute sécurité, sans risquer une inscription injustifiée en défaut par un établissement financier. Un tel défaut pourrait non seulement compromettre la procédure de conciliation, mais aussi créer des difficultés majeures pour l’entreprise concernée.
La Cour de cassation a publié cet arrêt pour assurer une large diffusion, notamment auprès des établissements bancaires. Ceux-ci devront désormais réviser leurs instructions et procédures internes pour s’assurer qu’aucune information confidentielle ne soit utilisée ou divulguée de manière inappropriée, sous peine de sanctions.
Une bouffée d’oxygène pour les entreprises
Cette décision, obtenue par notre cabinet, avec le concours de notre avocat à la Cour de cassation, Maître Nicolas Boullez, représente une avancée majeure dans la protection des entreprises, leur permettant de négocier en toute sérénité. Désormais, les établissements financiers devront redoubler de vigilance avant d’utiliser des informations obtenues lors d’une procédure de conciliation, sous peine de sanctions.
En sanctionnant la Banque S.G. pour cette violation de confidentialité, la Cour envoie un signal fort sur l’importance de respecter ces règles, essentielles au bon déroulement des conciliations. Les répercussions de cet arrêt seront considérables, tant pour la pratique des conciliations que pour la révision des politiques internes des institutions financières.