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« La formation est un moment tout à fait essentiel »

Interview. Thierry Carrere, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Toulouse, a pris il y a quelques semaines la présidence de l’École des Avocats Sud-Ouest Pyrénées (Edasop) pour un mandat de trois ans.

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Formation
(Crédit : Freepik)

Avant de prendre récemment la présidence de l’Edasop, quels étaient vos liens avec l’école ?

Outre le fait d’y avoir régulièrement enseigné, j’ai beaucoup travaillé pour l’école durant mon bâtonnat.

Cela correspondait à la période où ont été créés les trois cycles de formation successifs que sont la formation initiale, le stage de six mois, puis le projet pédagogique individuel (PPI).

À ce moment-là, la direction de l’école s’interrogeait beaucoup sur la façon dont elle allait nourrir cette notion de PPI. Pour ma part, je pensais qu’à Toulouse, nous avions tout pour alimenter cette période.

J’ai donc pris mon bâton de pèlerin et je suis allé voir le PDG d’Airbus qui a accepté très gentiment de prendre une dizaine d’élèves !

J’ai fait de même avec d’autres, je suis également allé voir les administrations, le Trésor public, les magistrats qui n’étaient pas encore habitués à nous recevoir… Bref je m’étais beaucoup investi.

De fait, je pense que la formation est un moment tout à fait essentiel et que, s’il y a un levier très utile à la profession d’avocat, c’est bien celuilà : à la fois pour former les confrères qui seront amenés à travailler avec nous, mais audelà, dans une dimension prospective de développement de la profession, tout en conservant des valeurs très fortes qu’il faut savoir expliquer.

Car si elles sont désincarnées, si elles ne répondent pas aux besoins de l’époque et si on n’explique pas pourquoi elles répondent à ces besoins, les jeunes ne vont pas les faire leurs, les investir suffisamment. Or cette jeunesse a très envie de comprendre dans quel monde elle met les pieds. Elle a une soif d’apprendre et de comprendre extraordinaire.

Combien d’élèves intègrent chaque année l’école ? Cela vous paraît-il suffisant ?

L’école accueille chaque année entre 100 et 150 élèves. Actuellement, nous sommes plus proches de la centaine. Les derniers examens d’entrée, à l’échelle nationale, ont été particulièrement sélectifs. Ce faisant, peut-être se privet- on de jeunes gens que l’on aurait pu recruter et former. À une époque, notamment à Toulouse, on disait : « il y a trop d’avocats ».

Aujourd’hui, les cabinets cherchent des collaborateurs et n’en trouvent plus. Certes, il y a beaucoup plus de mobilité : parmi les jeunes qui s’inscrivent certains le font en effet pour compléter leur formation, pour avoir une ligne de plus sur leur CV. Il ne faut pas s’étonner qu’après le Capa, ceux-là choisissent une autre voie.

Dans une ville comme Toulouse, on peut former plus d’avocats et trouver des débouchés pour tout le monde.

En revanche, il faut veiller à remplir l’ensemble du spectre professionnel, c’est-à-dire, au-delà du droit pénal et du droit de la famille.

Aujourd’hui, tous les cabinets d’affaires cherchent à recruter et n’y arrivent pas.

La profession a dans ses cartons depuis plusieurs années un projet de réforme de la formation initiale dont l’une des propositions vise à porter le niveau de recrutement au master 2. Qu’en pensez-vous ?

Dans la pratique, c’est déjà le cas. Cela affiche simplement l’exigence de la profession de recruter à un certain niveau d’étude. Il faut savoir que pas plus de 10 à 20 % des candidats à l’examen d’entrée sont reçus, sachant qu’ils ont suivi un parcours universitaire jusqu’au master 2 pour la plupart. La sélection est déjà très rigoureuse et cette nouvelle disposition ne changera pas grand-chose.

On compte en France 11 écoles d’avocat. Les conditions d’accès sont-elles aujourd’hui les mêmes partout, sachant qu’à une époque certains examens d’entrée étaient réputés plus faciles que d’autres ?

Photo de Thierry Carrere
Thierry Carrere, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Toulouse et président de l’Edasop. (Crédit : DR)

Désormais, les sujets d’examen sont partout les mêmes, des grilles de corrections sont adressées aux correcteurs, mais ce sont les jurys d’examen des IEJ qui délivrent les notes et donc délivrent l’examen d’entrée à l’école. Il peut y avoir des différences, parfois sensibles, ce qui est perturbant sur le plan du raisonnement. L’uniformisation est encore insuffisante.

Plus globalement, cet examen d’entrée, qui est actuellement très porté sur les connaissances universitaires, gagnerait à évoluer. Il doit en effet permettre de dégager les qualités qui feront de la personne recrutée un excellent professionnel.

Or, cela ne dépend pas exclusivement des connaissances. Si on fait le parallèle avec le recrutement en master 2, on recrute là sur la base d’un parcours universitaire, d’un CV, d’une lettre de motivation et d’un entretien au cours duquel on peut poser toutes sortes de questions.

Or, de tout cela, nous sommes privés : nous recrutons sur la base d’un strict examen de con - naissances. Même le grand oral, épreuve très importante de l’examen d’entrée, prévu à l’origine pour apprécier les qualités du candidat à l’expression orale, a évolué pour être aujourd’hui un grand oral de connaissances précises sur des questions, parfois très pointues, sur le terrain des libertés publiques.

« L’examen d’entrée, qui est actuellement très porté sur les connaissances universitaires, gagnerait à évoluer. »

Même si elles sont au coeur des valeurs de l’avocat, ce n’est pas là-dessus que l’on doit être sélectionné. Au final, cela laisse très peu d’espace pour distinguer ce qui relève de la motivation des candidats, leur capacité à se projeter dans le métier, et c’est dommage. Quelle école d’application peut se satisfaire de recevoir des jeunes gens qui ont dans l’idée de ne jamais exercer le métier pour lequel ils se forment ?

Il faut dès lors qu’on évolue, qu’on se pose les bonnes questions et qu’on définisse des outils pour évaluer cette motivation. Pour autant, encore une fois, la profession a besoin de ressources et de renouveler sa sociologie. C’est une profession qui respire, qui a toujours été ouverte à la différence d’autres professions libérales. Elle a tout à gagner à recruter les meilleurs à la sortie de l’université.

Comment souhaitez vous faire évoluer l’Edasop ?

Dès mon arrivée à la présidence, il y a quelques semaines, j’ai décidé de mettre un terme aux cours magistraux. Je veux en effet que les élèves s’investissent fortement dans leur formation.

Ainsi, suivant le principe de la pédagogie inversée, ils préparent en amont la question et présentent leurs recherches en cours. Même la déontologie, qui une matière pourtant nouvelle pour eux, doit être abordée par le biais d’exercices pratiques, de jeux de rôle et d’un investissement personnel de l’élève.

L’idée est de faire en sorte que la façon d’apprendre au sein de l’école se rapproche le plus possible de ce qu’ils feront tous les jours lorsqu’ils exerceront la profession, c’està- dire aller chercher des éléments de droit ou de fait et livrer une synthèse intelligente et crédible de la matière, à l’écrit ou à l’oral.

« Il faut qu’on évolue, qu’on se pose les bonnes questions et qu’on définisse des outils pour évaluer cette motivation. »

Au sein de l’école, nous travaillons dans le but de former ces jeunes gens tout en respectant leur personnalité, en leur donnant tous les moyens de réussir, de s’épanouir et de se développer. Nous ne formons pas des clones.

Rien ne serait pire : nous avons besoin de gens qui viennent enrichir le métier. La seule chose sur laquelle on ne peut pas transiger c’est la confiance : il faut que tous ceux qui sortent d’ici soient des professionnels de con fiance.

Quelles autres évolutions souhaitez vous apporter ?

Au-delà des savoir-faire et des savoir-être professionnels, nous voulons absolument faire comprendre à nos élèves qu’on construit son avenir professionnel dans la cité, pas dans une bibliothèque ou dans son bureau, mais avec les autres.

Cela va se traduire par un certain nombre d’actions, de rencontres avec tous les acteurs de la cité, qui sauront parler de leur relation avec les avocats, ce qui va aider nos élèves à comprendre que le besoin de droit est partout et qu’au moment de se construire un avenir professionnel, il est intéressant de se tourner aussi vers le tissu économique.

« Nous travaillons dans le but de former ces jeunes gens tout en respectant leur personnalité, en leur donnant tous les moyens de réussir, de s’épanouir et de se développer. »

Dans le même esprit, je souhaite que les élèves avocats apprennent à travailler avec les élèves ingénieurs, les étudiants en école de commerce.

L’idée étant de créer des passerelles d’échanges, des outils de travail en commun, car c’est avec eux qu’ils travailleront plus tard.

Je vais de mon côté rendre visite aux directeurs de ces écoles mais les élèves devront également proposer des actions. Lorsque j’étais bâtonnier j’avais déjà initié ce type de rapprochement avec les élèves experts-comptables.

Je pense aussi qu’on a trop longtemps négligé les relations internationales des écoles d’avocats. Nous formons des générations très mobiles. Je souhaite donc créer des partenariats avec des écoles d’avocats ailleurs dans le monde.

Notre barreau est jumelé avec celui de Montréal, j’aimerais dès lors tisser des liens avec l’école des avocats du Québec ce qui permettrait d’avoir des échanges dans le cadre des PPI.

S’agissant également des PPI, nous voulons tisser des liens plus étroits avec les entreprises qui accueillent nos jeunes, nouer une relation plus partenariale et afficher ce partenariat. Il faut que les jeunes qui nous rejoignent sachent qu’ils ont ces possibilités.

Toulouse est classée par le magazine L’étudiant meilleure ville étudiante de France, je souhaite qu’on ait la plus belle école d’avocats de France. C’est raisonnable comme ambition !

Parmi les propositions de réforme de la formation, figure également l’idée d’un rapprochement accru avec la formation des magistrats. Qu’en pensez-vous ?

Nous avons avec les magistrats un bagage culturel commun considérable mais aussi des valeurs communes autour de l’idée que l’on se fait de la justice. Et donc nous donner des occasions, dans le cadre de la formation initiale ou continue, d’apprendre ensemble, j’y suis très favorable.

Je ferai tout, à ma modeste place, pour que cela prenne corps le plus souvent possible. Plus il y aura de passerelles, plus ce sera profitable pour le justiciable.