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Projet Rivage : vers une justice à deux vitesses ? Les avocats toulousains alertent les citoyens

Justice. Hier, jeudi 4 décembre, les avocats du barreau de Toulouse se sont massés devant le palais de justice pour alerter les justiciables sur les conséquences du projet de décret Rivage, relatif au droit d’appel. Un rassemblement organisé alors qu’à Paris une première réunion de concertation se tenait entre les représentants de la profession et le garde des Sceaux pour aplanir les tensions.

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Le conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Toulouse, présidé par Maîtres Sophie Coq et Sylvain Laspalles (au premier rang), respectivement bâtonnier et vice-bâtonnier, s’oppose fermement à l’adoption du décret Rivage qui vise à restreindre la possibilité de faire appel. (©Gazette du Midi)

C’est un projet de décret qui fait grincer les dents des avocats, des magistrats et de bon nombre de fonctionnaires de justice. Son nom : Rivage, pour rationalisation des instances en voie d’appel pour en garantir l’efficience. Porté par le ministère de la Justice, celui-ci vise à désengorger les tribunaux en réduisant significativement les possibilités d’appel pour les réserver aux contentieux les plus importants.

Vent debout contre ce projet de réforme qu’ils considèrent comme « un recul sans précédent quant à l’accès à la Justice et au double degré de juridiction », les barreaux de France sont mobilisés depuis maintenant plusieurs semaines pour demander son retrait pur et simple. Hier, jeudi 4 décembre, à l’appel du Barreau de Toulouse, ils étaient encore une quarantaine d’avocats rassemblées sur les marches du palais de justice pour dénoncer et surtout alerter sur les conséquences de ce texte qui transformerait profondément – et « dangereusement » – la justice civile du quotidien alerte Sophie Coq, bâtonnier du barreau de Toulouse.

Une justice du quotidien dévaluée

Première inquiétude soulevée : la suppression de l’appel dans des dossiers particulièrement sensibles, notamment en matière de pensions alimentaires. « Une mère ou un père isolé ayant saisi le juge des affaires familiales pour fixer une pension alimentaire et obtenant une décision jugée insatisfaisante pour une raison x ou y ne pourrait par exemple plus interjeter appel », indique la présidente du Conseil de l’ordre de Toulouse. Cette impossibilité d’un second examen par une autre juridiction rompt selon elle avec un principe fondamental de la justice : le double degré de juridiction.

Autre volet majeur de la réforme : le relèvement du seuil d’appel à 10 000 €, contre 5 000 € actuellement. Concrètement, tous les litiges inférieurs à ce montant ne pourraient plus être soumis à une cour d’appel. Or, comme le rappelle Sophie Coq, il s’agit précisément d’une part importante des dossiers traités par les tribunaux. « Cela concerne aussi bien un salarié au Smic qui décide de faire un procès à son employeur pour obtenir un rappel de salaire, qu’un particulier qui a acheté un véhicule d’occasion présentant un vice caché ou encore un locataire qui réclame la restitution de son dépôt de garantie », énumère l’avocate. Autant d’affaires qui, demain, pourraient être définitivement tranchées en première instance, sans possibilité de contestation.

Une aberration pour la professionnelle du droit qui met en garde contre une « justice à deux vitesses » où seuls les litiges au-delà de 10 000 € seraient dignes d’intérêts. « C’est inadmissible, voilà pourquoi nous protestons aujourd’hui, non pas pour défendre notre activité », insiste l’intéressée, « mais pour préserver une justice accessible, protectrice et équitable ».

Le vrai problème : le manque de moyens

Alors que le gouvernement justifie la réforme par la nécessité de fluidifier le traitement des affaires devant les tribunaux, Sophie Coq réfute cette vision purement comptable : « La vraie question, c’est pourquoi c’est engorgé. Et la réponse est simple, nous manquons de moyens matériels et humains. » Selon elle, la justice souffre en effet d’un déficit structurel chronique (trop peu de magistrats, de greffiers…) qui se traduit sur le terrain par des délais trop longs et des tensions croissantes.

Si les moyens alloués à la justice ont bien augmenté ces dernières années - passant de 6,8 Md€ en 2017 à 10,1 Md€ en 2024 (soit plus de 40 % d’augmentation) - ils restent « très insuffisants au regard des besoins », martèle la bâtonnière qui signe et persiste : « Le vrai combat c’est de donner à la justice les moyens suffisants pour qu’elle puisse fonctionner normalement et ainsi remplir son rôle de pilier de la cohésion sociale ! »

Le début d’un long bras de fer ?

Loin d’être anodine, la date choisie pour ce rassemblement devant le palais de justice coïncide avec l’ouverture à Paris d’une concertation entre le garde des Sceaux Gérald Darmanin et les responsables de la profession, à savoir Mes Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux, Pierre Hoffman, bâtonnier de Paris, et Jean-Raphaël Fernandez, président de la Conférence des bâtonniers. Ce premier tour de table devrait être suivi de deux autres rencontres, une le 18 décembre prochain et une troisième prévue début 2026.

Ce cycle de réunions doit aussi permettre la réévaluation de réformes antérieures, notamment les décrets Magendie de 2011 qui avaient déjà pour vocation d’accélérer la procédure d’appel et aider à désengorger différentes juridictions. « Force est de constater qu’ils n’ont pas rempli leur office puisque les délais sont de plus en plus long. Il faudrait donc les retravailler pour trouver des solutions réellement efficaces », conclut Sophie Coq.