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Prud’hommes : la preuve déloyale ou illicite désormais admise sous condition

Droit social. Influencés par la jurisprudence européenne (consacrant la primauté du droit à la preuve sur les autres droits), les juges de la Cour de cassation viennent de décider, par un revirement aussi fracassant qu’attendu, que la preuve illicite ou déloyale est désormais recevable en contentieux prud’homal.

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Photo d'une caméra dans une ville
La Cour de cassation vient de décider qu’en matière prud’homale, la preuve d’une faute, issue d’une vidéosurveillance illicite, pouvait être recevable si elle était indispensable au droit à la preuve et limitée dans le temps (©Pixabay).

Est considérée comme déloyale, une preuve recueillie à l’insu de la personne que l’on met en cause dans le cadre d’une procédure, ou encore une preuve obtenue par une manœuvre ou un stratagème. Admise en matière pénale, elle est en principe prohibée en contentieux prud’homal, au motif qu’elle peut porter atteinte à la vie privée du salarié « piégé ».

En d’autres termes, si un employeur souhaite, dans le cadre de son pouvoir de direction, recourir à un enregistrement (vidéo et/ou audio) de ses salariés pour en contrôler l’activité, il doit, au préalable les en avoir informés, et avoir consulté, s’il existe, son comité social et économique (CSE) sur la mise en place de ce dispositif.

À défaut de respecter ces formalités, ces enregistrements sont illicites et ne peuvent être produits en justice pour justifier un licenciement.

Revirement de jurisprudence

Et pourtant, dans deux affaires récentes, ces garde-fous ont volé en éclat. Fin 2023, l’assemblée plénière de la Cour de cassation opère un premier revirement de jurisprudence, en permettant à un employeur de produire un enregistrement audio capté à l’insu du salarié pour justifier son licenciement pour faute grave (Cass. ass. plén. 22-12-2023 n° 20-20.648 BR), étant entendu que :

  • La preuve apportée était « la seule possible » pour établir la vérité ;
  • L’atteinte au respect de la vie privée du salarié était « proportionnelle au but recherché ».

Dans un deuxième temps, en février 2024, la Cour de cassation confirme cette tendance jurisprudentielle en tranchant sur le fait que la preuve d’une faute, issue d’une vidéosurveillance illicite, pouvait être recevable si elle était « indispensable au droit à la preuve » et « limitée dans le temps » (Cass. soc. 14-2-2024 n° 22-23.073 F-B, B. c/ Sté Pharmacie mahoraise).

Photo de Daniel Mingaud
Daniel Mingaud Daniel Mingaud, avocat à la cour, spécialiste en droit du travail (© cabinet Mingaud).

La Cour de cassation a repris la position que notre cabinet avait soutenue devant la cour d’appel. Dans cette affaire, notre cliente, une pharmacie, avait mis en place un système de vidéosurveillance destiné à la protection des personnes et des biens dans les locaux de l’officine, sans toutefois en avoir informé les salariés. Après avoir constaté des anomalies dans ses stocks, le pharmacien avait envisagé l’hypothèse de vols par des clients. Il avait donc visionné les enregistrements issus de son système de vidéosurveillance. Ce visionnage ayant permis d’écarter cette piste, il a alors décidé de suivre les produits lors de leur passage en caisse et de croiser les séquences vidéo sur lesquelles apparaissaient les ventes de la journée avec les relevés des journaux informatiques de vente.

Ce contrôle, réalisé sur deux semaines, avait permis de révéler 19 anomalies graves sur la caisse d’une salariée (saisie d’une quantité de produits inférieure à ceux réellement vendus, vente de produits à des prix inférieurs au prix de vente, absence d’enregistrement de vente de produits délivrés au client, etc.). À l’appui de ces preuves, la salariée s’était vue notifier un licenciement pour faute grave, licenciement contesté en vain devant la juridiction prud’homale.

Exercice du droit à la preuve

Pour la Haute Cour, la cour d’appel de renvoi, en reprenant notre argumentation, avait, à bon droit, pu déduire que la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et qu’elle était bien proportionnée au but poursuivi, de sorte que les pièces litigieuses étaient donc recevables.

En substance, selon la Cour de cassation, et sous certaines conditions, « la fin justifie désormais les moyens » dans le procès prud’homal.

Que l’employeur ne s’y trompe pas, cette évolution jurisprudentielle du droit de la preuve n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour lui : elle est de nature à créer une atmosphère délétère d’espionnite aigüe et de défiance mutuelle, en ouvrant la possibilité au salarié (aussi) de l’enregistrer à son insu lors d’échanges individuels. « Big Brother is watching you » !