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Simplification du bulletin de salaire : une réforme avortée ?

Ressources humaines. Le bulletin de salaires a fait l’objet de multiples réformes depuis 2018. La dernière en date introduit au 1er janvier 2024 une mention supplémentaire - le montant net social (MNS) - dans un document qui en compte déjà une cinquantaine. Bercy souhaite toutefois l’alléger dans le cadre du Projet de loi de simplification de la vie économique dont l’examen au parlement a été suspendu depuis l’annonce de la dissolution.

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Photo de graphiques représentant un bulletin de salaire
La France est championne du monde du bulletin de salaires le plus complexe selon le cabinet Alight, qui a développé l’Indice Mondial de Complexité de la Paie. (©Pixabay)

Il est des premières places dont on n’a pas toujours lieu d’être fier. La France est par exemple championne du monde du bulletin de salaires le plus complexe selon le cabinet Alight, qui publie chaque année l’Indice Mondial de Complexité de la Paie. Sur une quarantaine de pays, la France occupe la pôle position devant l’Allemagne et la Suisse. De fait, les quelque 300 millions de fiches de paie émises chaque année dans l’Hexagone comprennent en moyenne une cinquantaine de lignes contre 12 au Japon, au point qu’il est difficilement lisible et compréhensible.

Malgré cela, depuis janvier 2024, une nouvelle ligne a fait son apparition sur nos bulletins : le montant net social (MNS). Il correspond aux revenus professionnels pris en compte pour le calcul de la prime d’activité et du RSA. Il doit être déclaré par les allocataires tous les trois mois à la CAF pour permettre les versements. Le montant net social est défini à l’article R 844-1 du code de sécurité sociale.

Le modèle temporaire prorogé

L’obligation de mentionner le montant net social a conduit à modifier le modèle officiel de bulletin de paie dans un but de simplification et de clarification (libellés, ordre et regroupement des informations). Il était prévu que la mise en œuvre du nouveau bulletin de paie s’effectue en deux temps. Un modèle temporaire de bulletin de paie a d’abord été défini pour s’appliquer du 1er juillet 2023 au 31 décembre 2024, modèle sur lequel seul le montant net social est ajouté.

Dans un deuxième temps, un modèle pérenne de bulletin de paie, intégrant l’ensemble des modifications, devait s’appliquer obligatoirement à compter du 1er janvier 2025. Un arrêté [1] vient de prolonger d’un an, jusqu’au 31 décembre 2025, la possibilité pour les employeurs d’utiliser le modèle de bulletin de paie temporaire. Le modèle pérenne officiel ne sera obligatoire qu’à compter du 1er janvier 2026.

Ce report de délai est justifié par l’aménagement du modèle pérenne qui devrait tenir du compte de la simplification du bulletin de paie prévue par le projet de loi de simplification de la vie économique, voté au Sénat mais désormais en suspend. Pour alléger la tâche des entreprises, le gouvernement, par la voix du ministre de l’Économie, a en effet présenté en avril 2024 un projet de simplification qui prévoyait, à compter de 2027, de réduire à une quinzaine le nombre de lignes figurant sur le bulletin de salaire.

Un décret devait déterminer les mentions obligatoires sur le bulletin de paye lui-même et les informations qui pourraient figurer à part. Ce nouveau bulletin de paie pourrait ainsi ne plus mentionner le détail des prélèvement sociaux qui pourrait être mis à la disposition des salariés de façon dématérialisée. Il ne fait pas l’unanimité notamment auprès des partenaires sociaux.

Les syndicats opposés à cette version simplifiée

Les syndicats de salariés sont, de leur côté, hostiles à cette version édulcorée du bulletin de salaire. « Les rares lignes qui restent ne mentionnent plus que la rémunération brute et la rémunération nette ainsi que le montant net social et les cotisations employeurs et salariés. Au milieu d’une page quasi blanche, ce bulletin allégé trouve néanmoins la place de mentionner la notion de "coût du travail" pour l’employeur, histoire que le salarié se rende compte à quel point "il coûte cher" », s’insurge FO dans un communiqué du 24 avril 2024. Et d’ajouter :

Mais d’un autre côté, exit le détail des cotisations. Le salarié ne saura plus pourquoi lui et son employeur cotisent et combien. Exit l’assurance maladie, l’assurance chômage, les retraites de base et complémentaire, la formation professionnelle, la couverture accidents du travail et maladies professionnelles, la participation à Action logement… Exit encore les titres restaurant pour ceux qui en bénéficient, exit la complémentaire santé, exit la prévoyance… »

« La poussière sous le tapis »

À l’occasion d’une audition devant la commission spéciale du Sénat en mai dernier, Aurélie Seigne, responsable du service économie et société à la CFDT, a également exprimé ses craintes. Selon elle, il induirait pour les salariés « une complexification de l’accès à l’information qui les concernent », ainsi qu’ « une moindre compréhension des mécanismes de protection sociale ».

Du côté des organisations patronales, on n’est guère plus favorable à cette nouvelle présentation du bulletin de salaire qui n’allège en rien le travail des services RH. Devant cette même commission sénatoriale, Thierry Mallet, membre du comité exécutif du Medef, a, pour sa part, rappelé que « le bulletin de paie est le résultat des normes qui se sont accumulées les unes aux autres. Le fait de vouloir simplifier en faisant disparaître des lignes, c’est quelque part mettre la poussière sous le tapis ». Et d’ajouter :

Il vaudrait mieux se poser la question de toutes les taxes qui existent sur le bulletin de salaire. Est-ce qu’on peut les unifier, les simplifier ? Est-ce qu’on peut rendre le système plus efficace ? »

Le 5 juin 2024, le Sénat a achevé l’examen en séance publique du projet de loi. Mais en raison de la suspension des travaux du Sénat le 10 juin suite à la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, le vote solennel sur le projet de loi de simplification de la vie économique a été ajourné.

[1Arrêté du 25 juin 2024, ECOS2417548A