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Tribunaux de commerce : un projet de réforme inquiète

Justice. Dans un contexte économique tendu, le président de la juridiction consulaire toulousaine, Laurent Granel, rappelle l’importance des dispositifs de prévention des difficultés.

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Tribunal de commerce
(Crédit : Pixabay)

Le tribunal de commerce de Toulouse vient de signer avec la direction régionale des finances publiques de la Haute-Garonne une convention qui vient « renforcer les liens et les synergies » entre les deux institutions en vue « d’assurer une prise en charge le plus en amont possible des difficultés dans le plus strict respect du secret professionnel et du secret des affaires ».

Deux notions : l’anticipation et la confidentialité, chères à Laurent Granel. « L’objectif est de mener des actions communes concertées avec les organisations qui oeuvrent en faveur des chefs d’entreprise en difficulté, explique le président du tribunal de commerce. La juridiction consulaire travaille également étroitement avec les services de l’Urssaf. Or, lorsque la DRFiP émet des inquiétudes à propos d’une entreprise, elle peut être amenée à nous interroger pour vérifier si nous avons reçu des signaux convergents ».

Auquel cas, le président du tribunal de commerce peut inciter le chef d’entreprise à se rendre au tribunal pour un entretien en vue de lui venir en aide. « Lorsque les dirigeants rencontrent des difficultés, ils n’ont pas toujours une vision objective de leur situation et certains peuvent parfois adopter une attitude de déni. Or, on ne peut les aider malgré eux ! Il est donc important qu’ils viennent suffisamment tôt au tribunal. Malheureusement, il n’est pas toujours facile de prendre conscience que l’on a besoin d’une aide extérieure ».

Au tribunal de commerce de Toulouse, le nombre de ces entretiens volontaires a progressé fortement entre 2021 et 2022, passant de 444 à 676. « Soit plus de 50% d’augmentation », pointe le président du tribunal qui explique cette progression notamment par « la hausse des coûts de l’énergie », mais aussi par les difficultés liées aux premières échéances de remboursement des PGE. « Lorsque ces prêts ont été attribués, seule la crise du Covid existait. Depuis, est survenue la guerre en Ukraine, avec les problèmes énergétiques. Les chefs d’entreprise sont souvent étranglés. »

Cet entretien de prévention avec un juge du tribunal de commerce permet au dirigeant de faire un bilan de situation et d’accéder éventuellement aux procédures amiables. « La plus utilisée est la conciliation/prévention qui ouvre à l’entreprise, si elle n’est pas en situation de cessation des paiements, la possibilité de renégocier non seulement son PGE mais aussi l’ensemble de l’endettement bancaire, sans perdre la garantie de l’État. »

Les conciliations ont augmenté de façon très importante : +171 % depuis le début de l’année 2023 comparé aux quatre premiers mois de l’année 2019. En parallèle, le nombre des procédures collectives a lui aussi évolué. On dénombre 90 redressements judiciaires de - puis le début de l’année 2023 contre 108 sur la même période de 2019, mais 284 liquidations judiciaires à fin avril2023 contre 193 en avril 2023, soit une augmentation de près de 50%.

Anticipation et bienveillance

« Notre objectif est de sauver les entreprises avant qu’elles ne basculent dans les procédures collectives, risquant ainsi de perdre la confiance de ses partenaires. » Si Laurent Granel a un message à faire passer, il est simple : il faut anticiper et ne pas attendre que la situation se dégrade de manière irrémédiable. Sachant, poursuit-il, qu’« au tribunal de commerce, ces dirigeants ont face à eux des juges consulaires bénévoles expérimentés, issus eux-mêmes du monde de l’entreprise. Ils appliquent le droit certes, mais avec le plus d’humanité possible : les dirigeants en difficulté ont déjà un énorme fardeau à porter. Il n’est pas question de rajouter du stress au stress déjà existant. »

Cette spécificité des juges consulaires à laquelle est très attaché le président Granel, pourrait bien être remise en cause par un projet de loi de la Chancellerie. Dans la foulée des États généraux de la justice, le garde des Sceaux a dévoilé son « plan d’action pour une justice plus rapide et plus efficace » dont l’une des dispositions concerne en effet les tribunaux de commerce. Il est projeté la création de tribunaux des activités économiques, à titre expérimental pour deux à quatre ans, dans neuf à douze tribunaux de commerce.

Ces tribunaux verraient leurs compétences étendues à certaines professions libérales et aux agriculteurs, non plus seulement aux artisans et chefs d’entreprise. « On craint que les audiences de ces tribunaux soient à terme gérées par un magistrat issu du tribunal judiciaire, avec peut-être à plus longue échéance, la possibilité d’installer à la présidence de ces tribunaux un magistrat de carrière. »

Ce qui serait, selon Laurent Granel, « une catastrophe pour les entreprises car ces magistrats n’ont pas une connaissance suffisante du monde de l’entreprise et ne sont pas rodés non plus à la prévention des difficultés des entreprises. Celle-ci est fondamentale si l’on souhaite venir en aide efficacement aux entrepreneurs en difficultés ». Le président du tribunal de commerce espère que la réforme instituant cet « échevinage déguisé » n’ira pas à son terme.

Alors que le président de la Conférence générale des juges consulaires de France est lui-même très actif sur le sujet, le président toulousain multiplie les contacts localement pour alerter les organisations professionnelles et les élus sur les dangers de ce projet de réforme qu’il juge « extrêmement dommageable pour le monde économique ».