Invités / Entretiens

François Hollande

« Il n’y a pas de démocratie sans partis politiques »

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Interview. En visite à Montpellier, François Hollande a été accueilli par le maire de Montpellier et président de la Métropole, Michaël Delafosse. Il a rencontré les élèves de 4e et 3e du collège Simone-Veil qui avaient préparé des questions pour l’ancien président. De nombreuses thématiques ont été abordées à cette occasion : son engagement en politique, ses fonctions politiques préférées, la Constitution de 1958 et les éventuelles modifications qu’il faudrait y apporter, les réalisations de son quinquennat dont il est le plus fier, les difficultés qu’il a rencontrées, la laïcité, le vote...

Le président Hollande a incité les élèves à s’exprimer avec franchise devant lui. « N’hésitez pas dans vos questions, démontrez-moi que vous êtes des collégiens exemplaires », les a-t-il enjoints.

Pourquoi vous êtes-vous engagé en politique ?

François Hollande : « Je m’étais forgé des convictions. J’ai été élevé par un père de droite et une mère de gauche ; j’ai étudié leurs opinions pour faire mon propre choix. Je me suis engagé en politique au début des années 1980, avant l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Il s’agissait d’une aventure collective. J’ai souhaité consacrer une partie de mon temps au service de la collectivité pour changer les choses, la vie des gens. La politique est indispensable pour permettre l’égalité, la promotion et l’émancipation. Il s’agit là d’être utile aux autres.
Il n’y a pas de démocratie sans partis politiques. Un parti politique donne une caution, une étiquette ; il donne aux électeurs une clarté dans vos engagements. Aujourd’hui, les gens ont besoin de retrouver une confiance dans les grands partis qui ont structuré la vie publique. Il est crucial de donner une espérance aux citoyens. On sort d’une crise très pénible, il faut donner de l’espoir dans des chemins possibles, se projeter vers l’avenir.

Je conseille aux jeunes de comprendre la situation de notre pays et du monde. Lisez la presse, allez au-delà des réseaux sociaux ! Renseignez-vous sur ce qu’il se passe entre Israéliens et Palestiniens, en Biélorussie… Demandez-vous ce que l’on peut changer ; engagez-vous ».

Quelles ont été les fonctions les plus intéressantes que vous ayez exercées, vous qui avez été tout sauf sénateur ?

François Hollande : « La présidence de la République est la fonction qui m’a donné le plus de responsabilités. J’ai dû intervenir sur le plan international, envoyer des forces militaires dans des pays étrangers, vivre une période d’attentats terroristes extrêmement graves. Le mandat de maire est celui qui m’a donné le plus de satisfactions. Sur un mandat de six ans, quand on décide un projet, on a le temps de voir sa réalisation concrète. Alors que lorsqu’on est président, entre le moment où l’on prend la décision et le moment où l’on voit le résultat, il s’écoule bien plus de temps. Être président de Conseil général m’a également apporté beaucoup de satisfaction, car à ce poste, on aide toutes les communes. Cela permet une solidarité, d’avoir des contrats avec les villes, de reconnaître la diversité de nos territoires. Selon moi, chaque mandat donne des satisfactions, à condition de travailler en équipe. à chaque fois on peut se demander : si je n’avais pas été là, que se serait-il passé ? Qu’ai-je apporté ? »

La Constitution de 1958 donne-t-elle trop de pouvoir au président de la République ?

François Hollande : « La Constitution devait donner de la stabilité aux institutions ; elle en a procuré. Elle a instauré le suffrage universel pour l’élection du président de la République. Le quinquennat a concentré beaucoup de pouvoirs dans les mains du président de la République à partir de 2002. On constate aujourd’hui un déséquilibre entre le Parlement et un exécutif renforcé. Il y a une ambiguïté : sur le papier, notre Constitution est à la fois présidentielle et parlementaire (puisque le Premier ministre peut être renversé par le Parlement). Mais dans les faits, le chef du gouvernement ne procède plus de l’Assemblée nationale, puisqu’il est choisi par le président de la République. Selon moi, il faudra faire évoluer nos institutions : soit on opte pour un vrai président et un vrai Parlement qui peut contrebalancer son pouvoir, comme aux USA avec la procédure d’empêchement, soit on opte pour un régime parlementaire comme en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Espagne ;mais les Français sont attachés au droit d’élire leur président de la République au suffrage universel, et il me semble difficile de revenir là-dessus… »

Faut-il améliorer la Constitution ?

François Hollande : « Le Parlement ne prend pas tous les pouvoirs qui pourraient être les siens pour contrôler les actes du gouvernement, évaluer son action, mener des commissions d’enquête. C’est un premier axe d’amélioration. Deuxième axe d’amélioration : il faudrait transférer davantage de compétences vers les collectivités locales. Notre Etat est très centralisé. Auparavant, l’Etat disposait des moyens de la force publique et de ressources très importantes. Maintenant, il centralise des compétences qu’il n’a pas les moyens de mettre en œuvre. On l’a vu lors de la crise du Covid, les fermetures d’établissements auraient pu être décidées par les Départements ou les maires au cas par cas, en s’adaptant à leur spécificités. Les collectivités locales auraient pu distribuer les masques et les vaccins. L’Etat veut tout décider comme si le territoire était uniforme. Or, tous les territoires ne vivent pas de la même manière, selon qu’ils se trouvent en Ile-de-France ou en province. Donc pour résumer, il faudrait donner plus de pouvoir au Parlement et aux collectivités locales, avec les ressources correspondantes. »

De quelles réalisations de votre quinquennat êtes-vous le plus fier ?

François Hollande : « Je suis fier de ce que j’ai fait pour l’école. L’Education nationale a été le sujet le plus important de mon mandat après l’emploi – on a fait beaucoup pour réduire le – chômage. Ma priorité a été de donner toutes les chances de réussite à la jeunesse, en lui donnant accès à des filières de grande qualification, en augmentant les bourses. Les jeunes sont la meilleure ressource pour notre économie, notre développement, notre République. J’ai également été très fier de la réaction du peuple français après les attentats de Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre 2015. Nous aurions pu nous diviser, nous quereller ; ça n’a pas été le cas. Des millions de personnes ont défilé dans les rues et des chefs d’Etat sont venus à Paris pour soutenir la France, pays de la liberté. J’ai été très fier de ce moment-là… Je ressens de la fierté d’avoir mis en place le mariage pour tous, malgré toutes les manifestations, les débats que cela a engendré… Je n’ai pas cédé à la pression, car c’était un progrès d’avoir cette loi. Je constate d’ailleurs que le mariage pour tous n’a pas été abrogé quand j’ai quitté la présidence. Les personnes homosexuelles doivent pouvoir se marier et adopter, selon moi. »

Quelles ont été les plus dures épreuves que vous ayez traversées lors de votre mandat de président de la République ?

François Hollande : « Les attaques terroristes. Il fallait faire face à la guerre qui nous était faite. L’Etat ne pouvait malheureusement pas empêcher tous les attentas de se produire. J’ai rencontré les parents, de toutes confessions et origines, qui avaient perdu un proche, leur compagnon… Ce furent des moments terribles. Les familles de victimes réunies au lendemain des attentats du 13 novembre n’étaient pas dans un esprit de revanche, mais cherchaient à comprendre pourquoi on nous avait attaqués.
Prendre la décision d’envoyer des soldats français en Syrie, en Irak et au Mali a également été difficile. Ces hommes et cette femme seraient vivants si je n’avais pas lancé d’interventions ; ils sont morts pour soutenir des peuples menacés par le fanatisme. »

Regrettez-vous certaines décisions que vous avez prises durant votre présidence ?

François Hollande : « On doit distinguer regret et remords. Le regret fait avancer dans la vie, alors que le remords vous hante… Je ne regrette pas d’avoir aidé les entreprises durant ma présidence ; l’aide était d’ailleurs modeste par rapport à maintenant.
Mais il aurait fallu conditionner les aides à l’emploi et à l’écologie. »

Pourquoi la laïcité est-elle présentée par l’Etat comme un avantage pour les citoyens ?

François Hollande : « En France, il n’y a aucune religion d’Etat, contrairement à certains pays. En France, on reconnaît la liberté de croire ou non, la liberté de culte, mais l’Etat est séparé des religions ; il ne favorise aucune religion ni ne les empêche. Nous avons voulu une neutralité de l’Etat, voilà pourquoi les fonctionnaires ne doivent pas afficher une conviction ou une religion. Quant au fait de montrer sa religion dans l’espace public… oui, c’est possible : tout le monde s’habille comme il l’entend a priori. Mais il est interdit de se cacher complètement (car la burka rend invisible), comme il est interdit de se déshabiller complètement, d’ailleurs, car cela peut constituer un risque pour l’ordre public.
Dans les établissements scolaires de l’enseignement public, un professeur ne peut pas afficher ses convictions ou sa religion. Les élèves sont autorisés à porter des signes discrets, mais pas à afficher leur religion. L’enseignant pourrait être troublé et la vie dans l’établissement pourrait être troublée. En faculté, en revanche, on peut afficher ses convictions ou sa religion. La laïcité nous protège tous et garantit la liberté. »

La laïcité est-elle instrumentalisée ?

François Hollande : « La laïcité est un concept bien plus difficile à comprendre que la liberté, l’égalité ou la fraternité. Certaines personnes très accommodantes avec la religion catholique sont devenus intransigeantes à l’égard des musulmans. Les règles imposées aux musulmans sont les mêmes que celles imposées aux catholiques. Il ne faut pas dénaturer la laïcité. Tout le monde doit avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs. En France, les églises ont été bâties avant la séparation de l’Eglise et de l’Etat. La question se pose au sujet des mosquées. Du fait de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, les collectivités n’ont pas le droit de construire des édifices religieux. Cela ne peut pas se faire avec l’argent public, car cela signerait l’abandon de la laïcité. »

Que pensez-vous du vote obligatoire ? Y êtes-vous favorable pour lutter contre l’abstention ?

François Hollande : « Je ne suis pas pour le vote obligatoire. Il s’agirait d’un contrôle administratif épouvantable à supporter. Selon moi, l’abstention a quelquefois une signification. Elle peut signifier que l’on ne se reconnait pas dans les partis politiques. En cela, elle est un acte révélateur. Je suis pour la reconnaissance du vote blanc et nul. Dans ce cas, les gens se sont déplacés pour voter. Les propositions des partis ne leur convenant pas, ils le signalent. La reconnaissance du vote blanc devrait être actée. »

Pensez-vous qu’il faut accorder le droit de vote aux étrangers vivant en France, pour les élections locales ?

François Hollande : « J’y suis favorable, mais c’est très difficile, car pour changer le droit de vote, il faut modifier la Constitution. Pour changer la Constitution, il faut soit faire un référendum, soit obtenir un vote du Parlement à la majorité des trois cinquièmes. Or, lorsque le moment a été venu, le Sénat a bloqué, donc on n’a pas fait la réforme constitutionnelle. C’est un problème, parce que les Européens qui vivent en France ont le droit de vote aux élections locales, alors que les non-Européens, même s’ils vivent en France depuis longtemps, ne peuvent pas voter. Un jour ou l’autre, il faudra que l’on puisse convaincre. »

Au sujet de la colonisation de l’Algérie, pourquoi ne pas avoir formulé d’excuses ?

François Hollande : « La France a été un pays colonial. Elle doit condamner la colonisation. La colonisation a été une entrave au développement des pays colonisés, une entrave à leur liberté, et a retardé leurs choix démocratiques. Avant même de formuler des excuses, il faut d’abord reconnaître les faits. Le Parlement l’a fait pour l’esclavage et la traite des esclaves. Nous avons une part de responsabilité, il faut le reconnaître. J’ai étudié une partie d’une année universitaire en Algérie. Selon moi, il s’agit plus d’apporter une reconnaissance que des excuses. La mémoire donne un regard sur notre histoire. La France a aussi eu des actes tout à son honneur en faveur de la liberté, des droits de l’homme… »

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes ?

François Hollande : « Je veux les inciter à voter et à s’engager dans la citoyenneté et la politique. Selon moi, le premier engagement est d’aller voter. Si vous ne votez pas, d’autres vont le faire à votre place, et il ne faudra pas vous plaindre si un dirigeant dont vous n’approuvez pas la politique arrive au pouvoir. Il existe de nombreux partis. Si aucun ne vous plaît, créez votre propre parti. Intéressez-vous à la vie de votre pays ! »

Avez-vous des recommandations pour la prochaine élection présidentielle ?

François Hollande : « La France est un pays qui compte sur la scène mondiale. Le chef de l’Etat prend des décisions pour agir dans le monde. Tous les pays n’ont pas nécessairement cette responsabilité ni cette vocation. Voilà pourquoi il faut réfléchir quand on élit un président. C’est une responsabilité qui nous élève… »

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