L’Occitanie a accueilli le 25 février la première réunion du Conseil national de l’hydrogène. Un choix qui ne doit rien au hasard comme l’indique Stéphane Arnoux, le nouveau délégué régional de France Hydrogène, dont l’ambition est d’accélérer le déploiement des solutions d’hydrogène décarboné sur le territoire.
Le 11 février, France Hydrogène annonçait la création de 12 délégations régionales pour accompagner le développement de la filière hydrogène et accélérer le déploiement des projets au plus près des territoires. Directeur commercial de la société montpelliéraine Qair Premier Element et DG de la société Hyd’Occ, vous êtes le nouveau délégué régional pour l’Occitanie. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est France Hydrogène ?
France Hydrogène, ex-Afhypac, est une association professionnelle, créée il y a une vingtaine d’années. Son objectif était dans un premier temps de réunir les professionnels qui développaient des solutions hydrogène, soit en production, en usage, ou en distribution. En 2016, ayant lancé des appels à projets afin de mesurer l’intérêt pour le domaine de l’hydrogène, le gouvernement, qui pensait ne recevoir que deux ou trois projets, en a reçu plus d’une centaine. Preuve de l’accélération de la cause hydrogène dans l’Hexagone. Cette étape a conforté France Hydrogène dans son ouverture aux partenaires de la filière que sont les collectivités locales, les institutionnels et a permis à ces nouveaux acteurs du déploiement d’entrer dans l’aventure hydrogène.
Pour quelles raisons ?
Parce que pour développer de l’hydrogène, aujourd’hui, il faut résoudre ce genre d’équation : je produis, donc j’ai des consommateurs et des usages. Mais je ne développe des usages que si j’ai une production d’hydrogène... Pour y parvenir, on doit œuvrer sur tous les leviers : de la production de l’électron en passant par la production, la logistique et le transport, la distribution et les usages.
Qui plus est, il faut agir sur tous ces leviers en même temps. Les collectivités territoriales ont compris qu’elles avaient un rôle à jouer, et France Hydrogène également, pour fédérer les différents acteurs du territoire autour des usages de l’hydrogène. Ce qui a permis d’agréger les industriels, le monde académique, les centres de recherche. C’est cela aujourd’hui France Hydrogène : de la mise en relation, du développement en commun, essayer de mener un travail collaboratif.
Comment se positionne France Hydrogène par rapport à la stratégie du gouvernement de développement d’une filière hydrogène dans l’Hexagone ? En est-elle l’outil ?
Nous n’en sommes pas l’outil c’est plutôt l’Ademe, mais un acteur. Nous sommes l’acteur qui permet de construire des écosystèmes, des filières industrielles par territoire. Lorsque la France, à travers sa « Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné », veut devenir le champion de l’hydrogène vert en Europe, nous sommes des facilitateurs pour accéder à ces nouveaux enjeux. Notre rôle est de trouver des investisseurs, de mettre en relation ces investisseurs et les développeurs, afin de pouvoir répondre à cette question essentielle aujourd’hui : comment fait-on pour installer 6,5 GW d’électrolyseurs d’ici 2030 (l’objectif fixé par le gouvernement, NDLR).
Aujourd’hui, France hydrogène regroupe 270 membres et bientôt 300 : des grands groupes, des ETI, des PME, des start-up, des universités, des collectivités locales, tous les acteurs qui estiment pouvoir jouer un rôle dans le développement de l’hydrogène en France et à l’étranger. Nous sommes passés d’une association de professionnels à une association d’acteurs pour le développement de la révolution industrielle de l’hydrogène.
Que pensez-vous des 7 Mds€ mis sur la table par le gouvernement pour accélérer la construction de cette filière ? Est-ce suffisant ?
Il faut revenir un petit peu en arrière. En2018,il y a eu un plan Hulot à 100 M€... Parallèlement à cela, en 2019, la région Occitanie a déployé un plan Hydrogène vert de 150 M€ sur 10 ans... Aujourd’hui, on parle en milliards d’euros : on a changé d’unité de compte. Je pense que c’est un bel effort, mais ce ne sera pas suffisant. Pour lancer une filière, lancer des projets industriels, pour avoir une vision nationale et internationale, pour devenir un champion de l’hydrogène, c’est un minimum. À l’échelle de l’Europe, on doit en être à 50 ou 70 Mds€, cela commence à devenir cohérent.
L’État français a compris l’enjeu. France hydrogène y a contribué. Nous avons été souvent consultés sur le point de savoir si le développement d’une filière hydrogène faisait sens. Et puis la pandémie a accéléré le phénomène. Il y a eu également une accélération au niveau européen.
L’hydrogène est désormais considéré comme une énergie du futur, une des solutions pour décarboner toutes les activités de transport, de production d’énergie électrique, pour tous les usages où l’on peut remplacer les énergies fossiles par de l’hydrogène, avec par exemple des injections d’hydrogène dans le gaz naturel pour en réduire l’empreinte carbone. Toutes ces solutions peuvent être mises en place. Ces 7 Mds€ nous permettent vraiment de démarrer à l’échelle industrielle la construction de ces écosystèmes locaux.
La stratégie du gouvernement est axée sur la production d’hydrogène vert. Pourriez-vous nous rappeler de quoi il s’agit ?
Il s’agit d’hydrogène bas carbone. Sachant que 95 % de l’hydrogène consommé aujourd’hui dans l’industrie est issu du vaporeformage du gaz naturel, une énergie fossile. Or, pour produire 1 kg d’hydrogène, on produit 10 kg de CO2. Ce n’est donc pas la meilleure solution pour produire de l’hydrogène. On peut essayer de capturer ce CO2 pour lui donner une seconde vie, c’est ce qu’on appelle l’hydrogène bleu. L’hydrogène vert, lui, est issu des énergies renouvelables.
L’État français, comme l’Europe, a fait le choix fort de produire de l’hydrogène par l’électrolyse. Un électrolyseur, c’est de l’électricité et de l’eau et à partir de ça, on produit de l’hydrogène, de l’oxygène et de la chaleur. On peut donc faire de l’hydrogène bas carbone à partir du mix énergétique français, nucléaire et renouvelable. Et puis d’autres industriels comme Qair Premier Element, ont choisi de ne produire de l’hydrogène qu’à partir d’énergie renouvelable.
Comment l’Occitanie se positionne-t-elle par rapport aux autres régions ?
Avant de rejoindre Qair Premier Element, j’ai travaillé dans un grand groupe ce qui m’a permis d’être en contact avec plusieurs régions et j’ai toujours été surpris par le dynamisme de l’Occitanie. C’est la seule région qui n’a pas d’hydrogène process sur son territoire mais qui a compris que l’hydrogène devait faire partie de son mix énergétique, parce qu’elle a des sources d’énergie renouvelable importantes.
Dans le cadre de la stratégie « Repos » de la Région (région à énergie positive), il fallait réfléchir au moyen de stockage de cette énergie renouvelable, par définition intermittente, et l’hydrogène peut être cette solution de stockage. De fil en aiguille, la Région s’est aussi aperçue que cela pouvait permettre de décarboner les usages, notamment dans le domaine des transports. L’Occitanie est l’une des régions les plus dynamiques dans ce domaine. Elle a compris que l’hydrogène permettait d’avoir une certaine autonomie énergétique, et une relative indépendance dans la gestion de son énergie. Aujourd’hui, d’autres régions cherchent à s’inspirer de ce qui se fait ici.
Quels sont les projets phares qui ont permis d’amorcer la structuration de la filière en Occitanie ?
On peut citer le circuit d’Albi qui a développé le premier une station-service à hydrogène. Il faut aussi citer la société Trifyl, également dans le Tarn, qui s’est attachée très tôt à produire de l’hydrogène à partir de la biomasse, c’est-à-dire de déchets. Et puis plus récemment, il y a eu le projet HyPort, mené par Engie-Cofely et l’Agence régionale Énergie Climat (Arec). Il s’agit de produire de l’hydrogène à proximité d’un aéroport (de Toulouse et Tarbes, NDLR) pour alimenter les usages des navettes passagers et répondre à des besoins aéronautiques développés par Safran. C’était pour le coup un écosystème très local.
Et puis aujourd’hui, il y a deux projets phares de taille plus importante : la ville de Montpellier qui veut basculer une partie de sa flotte vers des bus à hydrogène et ensuite le projet porté par Hyd’Occ, une société cofondée par Qair Premier Element (65 %) et l’Arec, (35 %). Nous avons l’ambition de produire massivement de l’hydrogène, de l’ordre de 6 000 tonnes par an d’ici une dizaine d’années, à Port-la-Nouvelle et d’alimenter tous les usages du territoire, dans un rayon de 150 à 200 km.
Il s’agit d’usages maritimes, à savoir fournir du courant à quai et alimenter la future drague hybride diesel-hydrogène du port de Sète, mais aussi d’alimenter, dans le cadre du programme Corridor H2, des stations-service qui seront déployées le long des autoroutes A61 et A9 pour ravitailler les camions de transports lourds également en cours de développement en remplacement du diesel.
Cette infrastructure permettra également d’alimenter d’autres territoires telles des communautés d’agglomération qui n’ont pas les mêmes moyens mais veulent accéder à l’hydrogène pour alimenter des flottes de véhicules professionnels captives. C’est cet ensemble de projets qui permet de développer un écosystème à la taille d’un territoire. D’autres unités de production par électrolyse viendront compléter le maillage territorial, par exemple à Tarbes.
On parle aussi de la création d’un Technocampus Hydrogène à Francazal à l’horizon 2024... Il y a effectivement le souhait de développer une unité de R & D pour la mobilité, autour du développement notamment de drones et de taxis volants, avec la création d’un électrolyseur de forte puissance pour alimenter tout cet écosystème. C’est ce vers quoi nous poussons, à France Hydrogène : avoir autour d’une usine de production de l’académique, des industriels, du développement, des usages, de la formation, bref un écosystème assez riche pour pouvoir acculturer toute une société à l’hydrogène.
Il y a aussi en Occitanie des projets de trains à hydrogène ?
Le projet a été lancé il y a quelques années, et la Région s’est positionnée pour avoir ses premiers trains à hydrogène dont les piles à combustible sont développées à Tarbes. Il y a des lignes test, telle celle de Luchon-Montréjeau. L’idée est de montrer qu’on peut utiliser des trains à hydrogène sur des lignes non électrifiées. Selon nos calculs, il est intéressant d’utiliser cette technologie plutôt que des motrices diesel, puisqu’elle permet d’aller à la même vitesse tout en décarbonant. Et il est aussi économiquement plus intéressant de développer des trains à hydrogène que d’électrifier les lignes qui nécessitent de gros investissements et coûtent très cher à entretenir. C’est toute cette équation économique qui est intéressante.
Pour résumer, quelle est la mission de la délégation que vous conduisez ?
Elle porte à la fois sur la massification des usages, l’acceptabilité sociale et sociétale de l’hydrogène et l’accessibilité des territoires à l’hydrogène.
Vous parlez d’acceptabilité. Est-ce quelque chose qui freine le développement des solutions encore aujourd’hui ?
Je ne dirais pas que cela le freine, mais il faut être vigilant, continuer à expliquer, à être pédagogique, à aller dans les territoires, dans les réunions publiques, à discuter avec toutes les parties prenantes, pour démystifier. Il y a encore de fausses idées sur l’hydrogène. On sent que l’image de l’hydrogène comme énergie du futur fait son chemin, se diffuse dans la société.
Ce qui nous aide beaucoup c’est que depuis le plan hydrogène français et européen, au journal de 20 heures de TF1 et France 2, on parle quasiment toutes les semaines d’hydrogène. Ce sont des choses qu’on ne voyait pas il y a quelques années. Cela contribue à faire en sorte que tout un chacun comprenne que l’hydrogène peut devenir une des solutions pour décarboner les activités humaines dans les années à venir, voir le prochain siècle.
Quel sera le rôle du conseil national de l’hydrogène dont la première réunion s’est tenue dans les locaux de Safra, cette entreprise d’Albi qui développe un bus à hydrogène ?
Son rôle sera de mettre en face des ambitions de vrais investissements et de vrais projets. France Hydrogène est d’ailleurs membre du Conseil national de l’hydrogène et à ce titre, nous allons porter la voix de tous les acteurs de la filière et contribuer pleinement à la bonne mise en œuvre de la stratégie Hydrogène.
Nous demandions aussi depuis de nombreuses années, au sein de France Hydrogène, la désignation d’un représentant qui soit la porte d’entrée des services de l’État, qui puisse aussi mettre en relation les porteurs de projets, les industriels, les universités, etc. C’est chose faite avec la nomination de Hoang Bui, représentant interministériel, dont le rôle sera de mettre en contact, d’expliquer aussi, d’être le point relais entre les porteurs de projets industriels, la réglementation, les services de l’État, de façon à fluidifier les aides, les supports, les changements de réglementation.
Par ailleurs c’est un constat que nous faisons depuis de nombreuses années il y a plusieurs guichets et c’est difficile pour les PME ou les start-up de s’y retrouver. Quand vous voyez la multitude de projets de développement portés par l’Europe, l’Ademe et les territoires, il y a de quoi se perdre. Certains, du fait de cette complexité, n’osaient pas y aller. C’est le rôle du Conseil national de l’hydrogène mais aussi le nôtre, d’accompagner, d’orienter les porteurs de projet vers le bon guichet, de leur servir modestement de boussole.
Avez-vous déjà établi votre feuille de route ?
La délégation s’étant constituée il y a tout juste un mois, nous travaillons encore à l’établissement de notre feuille de route. Mais elle tourne essentiellement autour de ces points : comment aider l’Occitanie à augmenter sa capacité de production d’hydrogène par électrolyse ?
Travailler sur le transport, sachant qu’on imagine à l’échelle européenne le déploiement d’une dorsale hydrogène, c’est-à-dire un réseau de communication par hydrogénoduc à travers tout le continent. Dans ce schéma, on pense que l’Occitanie a un rôle à jouer. Comment aussi massifier les usages en discutant avec les porteurs de projet, les collectivités territoriales, les agglomérations, les industriels. On sait que si on se regroupe, il sera plus facile de négocier des prix, de faire venir des industriels, de montrer des perspectives de développement de marché... Tout cela fait partie de notre feuille de route pour les prochaines années.