Andrea Inglés
Invités / Entretiens

Andrea Inglés

Ingénieure en (r)évolution.

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Photo d'Andrea Inglés
(Crédit : DR)

Une dose de soleil et de vitalité dans la voix, un français parfaitement maîtrisé, dans un accent aux douces sonorités espagnoles, et de la suite dans les idées… c’est ce qui ressort de l’entretien qui jouera les prolongations avec Andrea Inglés. Pourtant, cette trentenaire n’a pas de temps à perdre. Cette native de Barcelone, aujourd’hui, Toulousaine de coeur, est à la tête de la pépite Illumo Robotics.

Une performance qui ne tient pas d’un miracle ni d’une cooptation, mais bien d’une ténacité à toute épreuve. Petite fille, elle voyait déjà la vie à travers le prisme du pragmatisme. Cela n’a pas changé. « Je voyais déjà les choses d’une manière lucide. J’aimais aussi créer des jeux, des cabanes, que je réalisais pour mon frère cadet. En revanche, jouer ne m’intéressait pas. J’étais très persévérante, d’une façon qui m’a plus ou moins servi », se souvient-elle.

Il faut croire que cela a payé. Le travail est une valeur forte au sein de la famille d’Andrea Inglés, notamment avec un grand-père qui « s’est fait seul en tant qu’agriculteur et inventeur ». « Je ne connais aucun autre profil aussi épuisant mais gratifiant que celui d’agriculteur. » Ce n’est pourtant pas un grand-père plutôt discret sur les difficultés de son métier qui jouera le rôle de déclencheur mais une conversation avec sa mère autour des nouvelles technologies. « Elle m’a dit : « si tu veux voir ça, dans ton quotidien, il faut que tu le fasses ».

Je me suis dit qu’elle avait raison. J’étais alors adolescente, devenir ingénieure m’est apparu comme une évidence », détaille t- elle. Tout comme de créer une entreprise, quelques années plus tard, pour ancrer ses idées dans la réalité. Un choix de vie qui a effrayé ses parents (tous deux fonctionnaires), il y a quatre ans lors des prémices du projet Illumo Robotics.

Aucun regret cependant pour cette trentenaire qui a des idées plein la tête et toujours l’envie d’atteindre l’impossible… La start-up, spécialisée dans les solutions robotiques intelligentes pour la préparation de commandes à destination d’ e-commerçants et de la grande distribution, est sur une pente ascendante.

La pépite, qui a vu le jour en 2021, est sur le point de passer le cap de l’industrialisation. « En mars 2020, quand le Covid est arrivé, il y avait trois semaines d’attente pour obtenir ses courses au drive, se souvient Andrea Inglés. Nous avons engagé des discussions avec les patrons de grandes chaînes de supermarchés et c’est comme ça que nous avons commencé à développer notre solution. L’équipe conçoit l’ensemble de la cellule robotique mais notre valeur ajoutée réside dans le logiciel. Parce que pour qu’un robot soit capable d’identifier et de manipuler des objets très différents en conditionnement, dimensions et poids, c’est un véritable défi technologique ! Depuis quelques années des entreprises, comme la nôtre, travaillent sur le sujet, pour apporter une flexibilité au robot qui n’existait pas jusqu’à présent. On ne fabrique cependant pas de robot. Passer à l’échelle signifie que nous nous basons sur des partenaires locaux », détaille-telle.

Il y a un an, à l’occasion de l’événement Time to scale together de la French Tech Toulouse, Illumo Robotics a ainsi dévoilé un nouveau prototype. « Notre solution fait du pick and place (prélèvement et dépose), c’est-à- dire que le robot est ainsi capable d’identifier les produits et de les déplacer suivant différentes configurations. Le cas d’usage le plus courant est celui où le préparateur collecte les produits pour différentes commandes. Le robot trie ensuite les produits pour les placer dans des bacs individuels. »

Depuis un joli contrat a été signé avec le groupe Brico Privé et les cofondateurs lorgnent déjà le marché européen, la start-up étant accompagnée par un incubateur logistique basé à Barcelone. Cette idée de produit, l’ancienne ingénieure aéronautique, devenue experte en robotique, l’a mûrie en parallèle de son activité de consultante en robotique visuelle, pendant un an. Installée alors à Clermont-Ferrand, elle décide de se rapprocher d’un bassin économique plus dynamique dans la robotique.

« J’ai analysé différents scénarios, j’ai pensé à Berlin et à Barcelone qui commençait à bouger davantage du côté des start-up. Les professionnels me conseillaient d’aller à Paris ou Lyon, la ville robotique par excellence en France, mais je cherchais en même temps un équilibre personnel et professionnel. Un de mes meilleurs amis m’a invitée à Toulouse, ville que j’ai immédiatement adorée. J’avais déjà beaucoup travaillé la langue française, la façon de négocier, et tisser mon réseau… M’installer à Berlin signifiait tout recommencer à zéro. J’avais un contact au sein d’Invest in Toulouse qui m’a organisé des rencontres professionnelles afin de m’ouvrir des portes. L’agence m’a aussi aidée à m’installer ».

À peine sa valise posée dans la Ville rose en juin 2019, tout s’enchaîne. Elle fait très rapidement la connaissance de son futur associé Rémy Saintobert, au sein de l’IoT Valley. « Ça a été un vrai coup de foudre professionnel », souligne t- elle. En septembre de cette même année, celui qui a accumulé 15 ans d’expérience dans le développement logiciel, spécialiste des systèmes critiques, l’a rejoint à temps plein sur le projet pour lequel il partage une même vision.

« Mon binôme a connu des boîtes qui ont beaucoup grossi, ce qui sur le plan managérial, n’apporte pas toujours que des choses bénéfiques. De mon côté, je souhaite orienter l’organisation vers une entreprise libérée. Nous voulons nous inspirer de ce process, afin de permettre à nos collaborateurs d’avoir un fonctionnement responsable et autonome, sans s’appuyer sur une hiérarchie pyramidale », avance la présidente qui donne notamment de l’importance aux soft skills, et à l’attitude de chacun au sein d’une équipe.

« La personne peut être excellente dans son domaine de compétences mais si elle ne se sent pas bien, le résultat in fine ne sera pas bon ». La jeune femme sait où elle va. En témoigne son parcours sans faute. Après l’obtention d’un Bac technologique, elle intègre l’université polytechnique de Catalogne, où elle touche à tout : d’abord aux systèmes électroniques, électriques, à la programmation, puis à la mécanique, et à la physique. « J’ai adoré tous ces univers et plus c’est compliqué, mieux c’est », souligne-t-elle.

Andrea Inglés réalise un premier stage au sein de l’institut des sciences photoniques de Barcelone (ICFO) où, assure-t-elle, « j’ai eu beaucoup de chance d’être choisie ». La découverte de l’innovation, de la science poussée la conforte dans son choix d’intégrer le monde de la recherche. Puis, elle fait un deuxième stage, cette fois, dans le domaine spatial, travaillant sur la programmation des calculs d’orbite, en lien avec l’Agence spatiale européenne. « Je me suis dit que c’est par là que la société peut changer, c’est la dernière frontière. Aller toujours plus loin m’a plu. »

« J’ai un autre souhait : celui d’encourager les femmes à devenir ingénieure et entrepreneuse, et trouver un équilibre entre le pro et le perso, ce qui n’est pas incompatible. Pendant mes études en Espagne, on était dix filles sur 100 et en France, trois sur 100. C’est trop peu… Il est temps que ça évolue ! »

Elle fait sa dernière année d’études à l’École supérieure des techniques aéronautiques et de construction automobile (Estaca) à Laval plus Paris avant de s’envoler vers Bruxelles en vue de plancher sur des calculs de structure pour Ariane 6. Double challenge pour cette Barcelonaise qui suit les cours (techniques) uniquement en Français. « Je me suis dit que cela allait être difficile. J’ai appris au fur et à mesure car j’étais tout le temps avec les gens de ma promo et j’étais comme un enfant qui écoutait tout. »

Diplôme en poche, il faut peu de temps à la jeune femme pour obtenir un poste en tant que 3e ingénieure dans le bureau d’études du constructeur d’avions légers, Issoire Aviation. « C’était un gros challenge mais un job de rêve. J’ai touché à tout. J’ai eu deux gros projets, pendant ma courte période passée avec eux, dont un en tant que chef d’innovation avec le groupe Safran, puis un projet d’innovation pour Airbus Hélicoptère (qui a reçu un prix en 2019). J’ai été jetée dans le bain mais c’était incroyable ! » sourit-elle.

Un an et demi après, elle a une épiphanie, selon ses propres mots. « Je devais améliorer un process de fabrication, mais je n’avais pas d’expérience. Je travaillais avec l’équipe de la production qui était complément démotivée. J’ai fini par trouver une manière de la challenger, pour que les collaborateurs s’intègrent vraiment dans le projet et une manière aussi de les traiter d’égal à égal. L’équipe a commencé à faire avancer le projet et a été autonome. Dans le monde de l’aéronautique, et notamment du côté de la production, on donne rarement aux équipes la possibilité de s’exprimer… », pointe-t-elle.

Ce qui déclenche chez l’ingénieure un déclic : créer du travail et impulser cette motivation. Elle n’a que 25 ans. « Pour cette PME, j’entendais parler de gros budgets et je trouvais ça fou car si ça tournait mal, cela mettait en danger la société. J’ai voulu joindre les deux : apporter une solution avec de la valeur ajoutée et trouver un moyen d’investir sans se mettre trop en danger ».

Et pourquoi attendre pour entreprendre ? Ilumo Robotics est née. Pendant la période du premier confinement, la start-up intègre un incubateur américain. « Il nous a proposé d’investir et de nous former, le tout à distance. Ce que j’ai apprécié, c’est un tutoriel pas à pas, à suivre à la lettre, et ça fonctionne ! Nous ne sommes pas si pratiques en Europe et c’est un détail qui fait toute la différence. Le mentoring est aussi très fortement développé. Il est important de se poser la question : qu’est ce que je ne sais pas, à laquelle il est difficile de répondre mais sans elle, on n’avance pas. »

Le mentoring, c’est aussi une pièce du puzzle entrepreneurial qu’elle souhaite apporter aux autres, au sein de la French Tech Toulouse, après avoir elle-même été suivie de près par la communauté du coq rouge. « Si ma société en est là, c’est grâce à certaines de ses initiatives. C’est important pour moi de m’investir et de soutenir cette association pour faire avancer les start-up françaises. » Deux missions lui tiennent particulièrement à coeur.

« Actuellement deux représentants soutiennent la deeptech mais je veux aussi faire bouger les lignes. Beaucoup définissent la deeptech comme une start-up en lien uniquement avec des laboratoires mais il existe d’autres profils qui font aussi de la R & D. La deeptech rencontre une problématique qui concerne le transfert scientifique et de fait, celle de trouver des investisseurs. La licence de transfert d’un laboratoire coûte cher. Un gros pourcentage est pris sur la start-up, ce qui empêche d’autres investisseurs de se positionner. L’objectif est donc de trouver des raccourcis pour faire autrement mais aujourd’hui cela reste un sujet sensible. Il faut que ça change si la France veut devenir une référence de ce côté. Autre objectif crucial : les jeunes pousses, comme la mienne, qui ont été confrontées aux problématiques d’amorçage doivent faire entendre leur voix, car les choses ont beaucoup évolué depuis quelques années. »

De l’ambition, cette sportive n’en manque pas. « J’ai un autre souhait : celui d’encourager les femmes à devenir ingénieure et entrepreneuse, et trouver un équilibre entre le pro et le perso, ce qui n’est pas incompatible. Pendant mes études en Espagne, on était dix filles sur 100 et en France, trois sur 100. C’est trop peu… Il est temps que ça évolue ! », conclut-elle.