« Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un jour de ta vie », écrivait Confucius. Quelque peu caricaturale, voire carrément simpliste, cette citation a le mérite d’énoncer une évidence : aimer ce que l’on fait est un moteur puissant pour avancer.
Et ce n’est pas Anne- Laure Charbonnier qui pourra le démentir. À 53 ans, la directrice de l’incubateur Nubbo et présidente de la société d’investissement Ocseedreste profondément passionnée par son travail.
Après 18 ans de carrière en tant que cadre dans la fonction publique et 11 années passées dans l’écosystème des start-up, « le sentiment d’utilité sociale et économique me guide encore aujourd’hui », assure la Toulousaine d’adoption.
Une expérience enrichissante
Ce sentiment d’utilité a en effet marqué tout son parcours professionnel commencé en 1993 sur le Territoire de Belfort. Originaire d’Arcachon et étudiante à Bordeaux puis Paris, cette première expérience loin de ses repères est exigeante mais très formatrice.
« Je venais à peine d’obtenir le concours d’administrateur territorial. Je suis arrivée dans un contexte particulier. Franchement, c’était un peu le Far West ! Les régions n’étaient devenues des collectivités territoriales de plein exercice que depuis 1986. Conséquence, chaque année elles récupéraient de nouvelles compétences. Problème, il n’y avait pas la ressource humaine suffisante pour les exécuter. Il y a donc eu de grosses vagues de recrutement mais ce n’était pas aussi bien encadré qu’aujourd’hui », se souvient Anne-Laure Charbonnier qui s’est retrouvée jetée dans le grand bain sur un territoire avec un enjeu de réindustrialisation après la faillite en 1992 de l’entreprise Bull, premier employeur sur le département.
Changement total de décor en 1996. Elle rejoint les Yvelines et devient cheffe du service administratif et comptable au sein de la direction des bâtiments.
« Je suis passée d’un petit territoire, et donc d’une petite administration, au deuxième plus gros département de France. Le tout dans un contexte tendu avec les affaires liées aux procédures de passation des marchés publics au conseil régional d’Ile-de-France, sans parler des lois Rocard sur la régulation du financement des partis politiques. Il y a eu un grand jeu des chaises musicales », se remémore la directrice de Nubbo.
C’est finalement en 1999 qu’elle débarque à Toulouse pour occuper le poste de directrice du service économie et recherche au sein de la Région Midi-Pyrénées. Anne-Laure Charbonnier s’épanouit vite dans sa nouvelle vie professionnelle et pour cause.
« Les collectivités ont connu à cette période une très forte croissance avec le transfert de blocs entiers de compétences. Et si l’économie faisait partie des compétences historiques des régions, il y a une modification très substantielle du paysage. On est passé d’une politique conjointe État- Régions où tout était contractualisé à une autonomie totale pour définir les régimes d’aides et pour décider de l’octroi de ces aides aux entreprises du territoire. Les budgets et la taille des équipes dont j’avais la responsabilité ont donc plus que triplé. C’était vraiment un défi excitant à relever », affirme Anne-Laure Charbonnier qui travaille alors au quotidien au côté de Martin Malvy.
Un président de région « très investi sur les grands enjeux de la collectivité », avec une appétence pour les sujets économiques qui permet à Anne-Laure Charbonnier de jouir de moyens conséquents pour mettre en place la politique d’investissement de la Région.
« C’est d’ailleurs Martin Malvy qui a vu le potentiel de l’incubateur Midi-Pyrénées, aujourd’hui connu sous le nom de Nubbo. »
Il fait partie des 35 structures qui ont vu le jour dans les années 2000 sous l’impulsion du ministère de la Recherche qui souhaite alors valoriser les travaux de la recherche publique et à faciliter la création d’entreprises innovantes via de nouvelles structures (incubateurs).
« De par mon poste, j’ai suivi de près la création et le développement de l’incubateur avant d’en prendre la direction en 2012 »
Anne-Laure Charbonnier souhaite alors à se rapprocher du terrain opérationnel, « pour revenir à une échelle plus micro, peut-être plus concrète ».
Mais n’allez surtout pas lui dire qu’elle a renoncé de fait à cette notion de service public . Elle l’assure, il y a bien une continuité dans son parcours : « L’incubateur repose sur un modèle économique mixte public/privé. L’association bénéficie en effet de subventions de la Région, du ministère de la Recherche, de Toulouse Métropole et du Sicoval. Elle remplit donc une mission de service public puisqu’elle accompagne des porteurs de projets d’entreprises innovantes à transformer leurs idées en entreprise naissante. »
Directrice de l’incubateur régional
Chez Nubbo aussi, « l’objectif d’utilité prime sur celui de rentabilité et ce, même s’il y a bien un modèle économique à tenir ».
Depuis sa prise de fonction il y a 11 ans, l’incubateur régional est devenu LA structure de référence sur les projets innovants et deeptech. « Nous avons doublé le nombre de porteurs de projets accompagnés. Nous sélectionnons aujourd’hui jusqu’à 25 projets par an », détaille l’intéressée.
Nubbo bénéficie aujourd’hui d’un capital de sérieux et de confiance important. « Une reconnaissance qui va bien au-delà de nos financeurs historiques » et qui permettent à Anne-Laure Charbonnier et son équipe de poursuivre leur mission d’accompagnement sur le territoire d’Occitanie.
« Nous sommes d’ailleurs le premier incubateur à mission de France. Nous avons repris ce qu’il y avait dans la loi Pacte et adapté nos statuts juridiques en conséquence. Cette loi permet à une entreprise de déclarer sa raison d’être à travers plusieurs objectifs sociaux et environnementaux. Cet engagement s’accompagne d’objectifs opérationnels précis en interne mais aussi en direction des porteurs de projets accompagnés. Cela ne doit pas être un obstacle de plus dans la création d’entreprise qui est déjà très compliquée, c’est au contraire un atout différenciant majeur », insiste Anne-Laure Charbonnier qui est aussi la présidente de la société indépendante de capital-risque Ocseed depuis 2020.
Imaginé par les équipes de l’incubateur Nubbo, Ocseed est un outil d’investissement dédié aux start-up innovantes d’Occitanie en phase d’amorçage et de pré-amorçage. Pensé sur un modèle « de type mission de service public », ce fonds d’investissement vient remplir « un trou dans la raquette ».
« Les fonds d’amorçage existants, qui sont gérés par des sociétés de gestion, se trouvent dans un marché hyper concurrentiel. Donc même s’ils drainent en partie des investisseurs publics, il y a forcément une recherche de rentabilité importante car leur propre survie est en jeu. Idem pour les business angels qui eux aussi, sont de plus en plus exigeants sur les niveaux de rendement. Conséquence, malgré le renforcement de l’écosystème de financement des startups, la fameuse "vallée de la mort", cette période délicate où les jeunes pousses entre un et trois ans meurent par manque d’accès au financement, persiste en France. Voilà pourquoi nous avons créé Ocseed », explique-t-elle.
Pari gagnant. Plus de 3,80 M€ ont déjà été investis en moins de deux ans et ce, malgré une forte sélection. « Compte tenu de l’engouement, nos partenaires historiques, dont fait partie la Région, ont remis ensemble 4 M€. Cela nous permet de poursuivre sereinement nos investissements jusqu’à fin 2025. »
D’ici là, Anne-Laure Charbonnier aura accompagné de nouveaux porteurs de projets, toujours avec cette même envie et passion de transmettre son savoir-faire.
« Il ne peut pas y avoir de lassitude dans ce métier, c’est aussi pour ça que je l’aime autant. Chaque année, l’incubateur accueille une nouvelle promotion d’entrepreneurs qui portent des projets différents, souvent très pointus. C’est une gymnastique intellectuelle que je recommande ! Et puis, je rencontre aussi des profils très intéressants, qui ne laissent jamais indifférents. On tisse avec eux des relations professionnelles et personnelles très fortes, privilégiées », insiste Anne-Laure Charbonnier qui confie avec une franchise désarmante n’avoir pas les capacités pour être entrepreneur : « Ce n’est pas pour rien que je suis de ce côté et pas de l’autre. J’ai une réelle aversion au risque », conclut-elle avec le sourire.