Jérôme Maran
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Jérôme Maran

Sous la carapace.

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Photo de Jérôme Maran
Jérôme Maran est le fondateur du Refuge des Tortues, à Bessières, en Haute-Garonne (© Dorisse Pradal).

Jérôme Maran vit à 100 à l’heure, à l’inverse de ses meilleures amies, les 1 500 tortues qu’il protège au sein de son refuge, ouvert en 2019. Le Refuge des Tortues est situé en lisière de la forêt de Buzet, à Bessières, en Haute-Garonne.

La passion de Jérôme Maran pour les tortues n’est pas récente. Elle est née en 1980, avec Sophie, sa première tortue d’Hermann, gagnée sur une fête foraine. « À l’époque, c’était autorisé », précise Jérôme. Il tombe amoureux de cet univers et commence à inviter chez lui toutes sortes d’amphibiens, de reptiles… Le jardin familial deviendra vite un terrarium à ciel ouvert. « Mes parents étaient surpris mais ils ont compris ma passion et ma détermination. Ils m’ont accompagné. » Bac littéraire en poche, Jérôme part alors en fac d’histoire. « J’ai passé cinq mois à regarder les gens plutôt qu’à m’intéresser aux cours. J’étais spectateur et pas du tout acteur », sourit l’intéressé.

Il ne pense qu’à ça !

Jérôme Maran n’a effectivement qu’une idée en tête : rencontrer des spécialistes de la tortue. Il fera tout pour atteindre son but. « J’ai appris la création d’un village de tortues dans le Var dont l’objectif est de sauvegarder la seule tortue terrestre en France, la tortue d’Hermann. J’ai été engagé comme stagiaire. Ça a été un choc, une révélation. Cette expérience m’a conforté dans mes choix de vie. »

À 17 ans, il part au Maroc, aux côtés de Jean-Pierre Pouvreau, un ami herpétologue (spécialiste des reptiles et des amphibiens). Seconde révélation pour le jeune homme…
L’étudiant quitte la fac et prend une année sabbatique. Il s’envole pour l’Afrique, à la recherche d’indices, de données, de tortues.

J’ai effectué des recherches bibliographiques, j’ai scruté les zones où peuvent vivre les tortues, avec l’espoir ultime de découvrir une nouvelle espèce. J’allais dans les endroits où personne ne va. Je suis parti du principe que sans bagage universitaire, si je voulais percer dans ce milieu et attirer l’attention des professionnels, il fallait que j’aie des choses extraordinaires à raconter. »

Il sera bouleversé, sur le sol marocain, par sa rencontre avec une tortue d’eau douce, l’émyde lépreuse, une espèce en danger. Jérôme Maran ne lâche rien, il va frapper à la porte d’associations, de fondations et réussit à obtenir des bourses de la fondation Ushaïa, de Nature et Découvertes ou encore du Village des Tortues. L’émyde lépreuse a d’ailleurs trouvé sa place au sein du refuge de Bessières, elle fait partie d’un programme de sauvegarde.

Être utile aux animaux

Jérôme Maran est un aventurier. Il traverse l’Afrique en taxi brousse et n’a peur de rien, enfin presque… Lorsqu’il évoque cette arrestation au Liberia : « on m’a pris pour un trafiquant d’armes, j’ai été capturé et suis resté prisonnier trois semaines. Je dois mon salut à l’ambassade de France et à la Croix-Rouge internationale. » Peu importe, il enchaîne les voyages et sa ténacité paie. En l’an 2000, au Gabon, il tombe nez à nez sur une tortue inconnue, en pleine forêt équatoriale. Son ami Roger Bour, naturaliste au Muséum d’histoire naturelle de Paris, baptisera sa trouvaille « la Peluse de Maran ».

Son travail sur les tortues d’Afrique lui vaut deux prestigieuses bourses : Déclic jeune de la Fondation de France et la Bourse de la vocation de la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet.

Le Toulousain ne s’arrête pas là. L’idée de construire un refuge de tortues fait son chemin. En 2006, il crée l’association du Refuge des Tortues avec des amis, puis il ouvre un centre d’accueil. Le refuge reçoit aujourd’hui des animaux confiés par les autorités (direction départementale de la protection des animaux, Office français de la biodiversité, école vétérinaire…). Il entretient des liens étroits avec d’autres refuges en participant au maintien de la biodiversité.

Jérôme Maran n’a pas une minute à lui, il réalise des documentaires animaliers avec un vidéaste naturaliste, Frédéric Lavail, sur les tortues de Sardaigne, de Slovénie, de Grèce… Il organise des conférences auprès de naturalistes, mais aussi dans les écoles, les entreprises. Il écrit beaucoup, il vient de publier « une clé de détermination des tortues » avec Thierry Fretey. Un cinquième ouvrage est en préparation, il racontera l’histoire du refuge. « C’est une façon de remercier ceux qui m’ont soutenu tout au long de cette belle aventure, parfois semée d’embûches. » Le quinqua travaille aussi sur l’écriture d’une encyclopédie dédiée aux tortues du monde.

De nouveaux projets

Le refuge, qui accueille beaucoup de scolaires, a grandi. Il doit faire face à de nouveaux défis.

On héberge des tortues serpentine, une espèce envahissante. Elles sont achetées par des particuliers, puis abandonnées dans la nature. Elles sont dangereuses pour la biodiversité. Nous avons besoin d’argent pour construire une zone où les abriter. Notre souhait est, en effet, de faire de ce refuge un outil pédagogique exemplaire. »

Le passionné n’a pas fini de rêver, loin de là. Il aimerait aller voir les tortues des Seychelles, des Galápagos, se baigner dans les rivières en Amérique du Sud et côtoyer d’inoffensifs caïmans. Il envisage de créer une fondation et un musée de la tortue, doté d’un fond de documentation exceptionnel à disposition des étudiants et des chercheurs.
Jérôme Maran est devenu, au fil des années, une véritable encyclopédie vivante, un expert des tortues. Mais, il reste humble : « Je suis comme les papillons de nuit, je reste discret, je n’ai pas besoin de paillettes, je me méfie de la lumière », conclut-il.