Loïc Lagarde
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Loïc Lagarde

En toute humilité.

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La nomination de Loïc Lagarde, un ingénieur et entrepreneur du numérique comme nouveau directeur de la clinique Pasteur s’inscrit dans une vision de continuité de la stratégie d’innovation de l’établissement. (©La Gazette du Midi)

En 2002, la revue The Journal of Positive Psychology a publié les résultats de plusieurs études menées par des chercheurs américains sur le lien entre intelligence et humilité. Et la conclusion est sans appel : « l’apprentissage requiert l’humilité de comprendre que l’on a quelque chose à apprendre ». Autrement dit, et pour parler trivialement, les moins humbles d’entre nous disent tout savoir mieux que tout le monde, alors que les personnes qui possèdent le plus de connaissances sont les plus modestes. Pourquoi ? Parce qu’elles sont plus ouvertes au dialogue, à l’apprentissage et à la remise en question.

Il suffit de passer quelques heures en compagnie de Loïc Lagarde pour comprendre qu’il fait partie de cette dernière catégorie. Brillant et modeste sont en effet les deux adjectifs qui collent le mieux à cet Ariégeois de 40 ans. Nommé directeur général de la Clinique Pasteur de Toulouse en avril dernier, cet ingénieur diplômé de l’École polytechnique et du prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology) a succédé à Dominique Pon parti re­joindre Docaposte, la branche numérique du groupe La Poste.

Loin d’être une évidence, sa nomination à la tête de la deuxième clinique de France en termes de patients accueillis (plus de 70 000 en 2022) a suscité des interrogations, voire quelques inquiétudes. La raison ? Un parcours atypique et un manque d’expérience au sein d’établissements de santé quels qu’ils soient. Loin de s’en offusquer, le principal intéressé dit comprendre ses craintes mais surtout assume pleinement son passé de consultant en stratégie pour un grand cabinet de conseil à Boston et ses quatre années chez le géant de la tech Google. D’abord à San Francisco au sein de la Silicon Valley comme associé en stratégie avant de reposer ses valises en France, à Paris, comme responsable du contenu divertissement de YouTube.

« Ma nomination montre la volonté du conseil d’administration de porter de nouvelles ambitions et de se challenger avec un regard extérieur. Le mien. Parce que, qu’on le veuille ou non, le secteur de la santé est en pleine mutation et que pour le préserver, et aussi le faire évoluer, il faut parfois quelqu’un hors du sérail. Mon profil, qui montre quand même une sensibilité et une appétence pour le parcours patient, pourra aider la clinique à se projeter dans les cinq, dix prochaines années », explique Loïc Lagarde.

Ingénieur polytechnicien

Cette appétence et cette sensibilité pour le parcours patient, il les a en effet démontrées au cours de ses études avec une thèse sur le futur de l’industrie pharmaceutique aux États-Unis et surtout en occupant le poste de directeur général de SantéDiscount pendant huit ans, de 2014 à fin 2022.

« En rentrant en France, j’avais cette envie de me lancer dans un projet entrepreneurial mais je savais que je n’étais pas un créateur d’entreprise, raconte-t-il. Vous savez, c’est la différence entre un consultant et un vrai entrepreneur. Le premier va toujours trouver 100 raisons pour ne pas faire quelque chose alors que le second n’a besoin que d’une seule raison pour se lancer. Et comme le destin fait souvent bien les choses, lors d’un dîner de fin d’année à Toulouse, j’ai revu d’anciens camarades de terminale dont Jean-Gabriel Carrier qui avait créé quelques années auparavant avec Raoul Chiche une plateforme d’e-commerce dans le secteur de la santé, SantéDiscount. »

Très occupés par la gestion de leurs propres pharmacies, les deux entrepreneurs toulousains cherchent activement un directeur pour développer l’entreprise qui compte alors une vingtaine de salariés, contre plus de 300 aujourd’hui. Emballé par le projet, Loïc Lagarde quitte alors Google et Paris pour redescendre à Toulouse avec femme et enfant.

« Ça a été une formidable aventure humaine et entrepreneuriale à tous les niveaux, confie l’intéressé. Et aussi un véritable apprentissage du management avec cette équation à résoudre : comment réussit-on à motiver et embarquer tous les salariés, quels que soit leurs postes et leurs niveaux d’études. Pour y arriver, j’avais mis en place tous les vendredis un meeting pour parler stratégie, chiffres… Pour moi, la transparence n’est pas un gros mot. Bien au contraire c’est très libérateur. Voilà pourquoi, j’ai toujours préféré que les gens avec qui je travaille soient au courant de la santé financière de l’entreprise plutôt que de leur cacher la vérité ou qu’ils le découvrent à la toute fin. »

SantéDiscount, une belle expérience humaine et entrepreneuriale

Cette culture de la transparence et cette envie d’embarquer ses équipes autour d’un projet commun, le quadragénaire s’efforce désormais de l’appliquer au quotidien à la Clinique Pasteur. Encore « en apprentissage », Loïc Lagarde dit « se nourrir » des personnes avec qui il travaille.

Je me considère comme une caisse d’amplification de ce qui se passe dans l’organisation. C’est-à-dire que je viens collecter toutes les idées, d’où l’importance de l’écoute et de passer du temps avec les gens sur le terrain. C’est d’ailleurs comme ça que l’on a fait émerger en six mois des axes stratégiques qui nous paraissent importants pour l’établissement. »

Et de détailler : « Axe 1 : l’excellence et l’accessibilité du plateau technique. Nous avons par exemple ouvert quatre nouveaux blocs opératoires qui viennent s’ajouter aux salles et autres endroits où l’on peut pratiquer, que ce soit des interventions ou des actes chirurgicaux sur des moments aigus de pathologie et donc souvent très techniques. Axe 2 : le développement de l’offre territoriale et domiciliaire. C’est-à-dire comment on vient réfléchir au parcours patient en amont et au naval, autrement dit hors les murs. Actuellement, nous gérons plus de 200 patients à leur domicile ce qui permet de désengorger certains services ou de rendre des lits disponibles tout en assurant des prises en charge qualitatives, à la fois en termes de techniques de soins mais aussi pour les patients eux-mêmes qui préfèrent souvent rester chez eux pendant leur période de convalescence. Un de nos objectifs est de développer cette offre à destination de l’activité pédiatrique. Axe 3 : anticiper le virage de la maladie chronique et de la prévention. Pour cela, nous allons notamment doubler la capacité d’accueil de notre centre de soins et de la maladie chronique (diabète, insuffisance cardiaque…) en 2024. »

Accélérer le virage numérique en santé

Conscient d’être à la tête d’une structure d’excellence, Loïc Lagarde souhaite « s’inscrire dans les pas de ses aînés en termes d’éthique, d’innovation et d’indépendance ». Il veut aussi mener tambour battant la bataille des usages du numérique en santé, notamment en matière de digitalisation. Un virage numérique qui offre selon lui de nombreuses opportunités en matière de télésurveillance, de prévention, d’éducation des patients, de communication… Autre ambition qui lui tient à cœur, développer la coordination du parcours de soins des patients entre les différents acteurs de santé du territoire, privés comme publics.

Pour atteindre ses objectifs, Loïc Lagarde sait qu’il devra convaincre et mobiliser derrière lui l’ensemble des équipes médicales, soignantes et administratives. « Je n’en doutais pas mais je suis quand même admiratif de la qualité et de l’engagement de ces personnes au quotidien. Tout le monde mouille le maillot de façon différente mais avec la même intensité. Tant que l’on n’a pas les deux pieds dedans, on ne se rend vraiment pas compte de l’implication, de la compétence et de la motivation qu’il faut déployer à tous les étages pour faire tourner un établissement de santé comme Pasteur. On sent vraiment la responsabilité qui est la nôtre, d’où l’importance du collectif et de la confraternité pour rendre ce service à la population. »