Créé en 2013, Telegrafik, spécialiste de solutions connectées dans les domaines de la téléassistance et du maintien à domicile, passe le cap symbolique des 100 sites équipés en France et affiche de belles ambitions en vue de prévenir la perte d’autonomie et de sécuriser les bénéficiaires. La pépite, forte de 12 collaborateurs dont neuf à Toulouse, espère obtenir une aide de la Région pour mettre au point des outils de coordination en faveur du maintien à domicile. Explications avec Carole Zisa-Garat, fondatrice de Telegrafik.
Pouvez-vous revenir sur les évolutions de votre outil qui est désormais une plateforme globale de solutions connectées pour le bien vieillir ?
Notre plateforme de solutions connectées pour le bien vieillir, développée en 2016 et baptisée Otono-me, est toujours au coeur des solutions que nous proposons. Celle-ci, constituée à l’origine de capteurs de mouvements et de portes installés dans les habitations qui permettent, à distance, de veiller sur la personne et de la secourir, s’est enrichie pour prendre en compte un large spectre de besoins autant du côté des bénéficiaires que celui des professionnels de santé.
À l’époque, nous proposions uniquement du maintien à domicile avec de la téléassistance. Depuis 2018, grâce à des algorithmes avancés et des ajouts de capteurs, nous avons mis en place une plateforme globale, qui couvre à la fois la téléassistance, la télévigilance mais aussi des besoins en télémédecine, ce qui nous permet d’accélérer notre commercialisation et de rendre ces technologies accessibles au plus grand nombre.
Étant donné que les personnes âgées sont pluripathologiques, nous avons également ajouté des capteurs médicaux afin de proposer un panel de dispositifs compatibles avec notre plateforme (tensiomètres, balances, ou thermomètres connectés). La prévention de la perte d’autonomie reste cependant notre sujet phare, à savoir comment détecter des dégradations d’état de santé des patients soudaines ou insidieuses au fur et mesure des semaines. C’est un axe stratégique que nous développons depuis deux ans.
Comment expliquez-vous cette croissance exponentielle ?
En premier lieu, notre plateforme couvre différents cas d’usage et c’est l’ensemble de notre catalogue d’offres qui fait que les sites équipés augmentent. Ensuite, les projets de maintien à domicile fleurissent. Enfin, nos solutions sont commercialisées par des industriels qui investissent dans nos logiciels pour transformer leurs produits en solutions connectées.
Cette année, nous triplons notre CA récurrent de l’ordre 1M€ annuel. Afin d’accompagner notre croissance, nous envisageons de renforcer, en 2022 et 2023, les équipes dédiées aux projets clients et les équipes supports. La technologie ne fonctionne pas toute seule, il faut notamment du suivi client et définir les cadrages de la plateforme bien qu’elle soit industrielle et mature.
Quels sont vos objectifs ?
Pour l’heure, nous avons 3000 utilisateurs et visons les 5000 d’ici 2022. Nous avons permis l’installation de 10000 capteurs, lesquels ont envoyé près de 73000 alertes par an, dont 250 chutes détectées par mois dans les 1100chambres d’Ehpad connectées. Nous équipons également des établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes (Ehpad) ainsi que des territoires d’Ehpad à domicile. En effet, c’est un nouveau concept qui émerge en France afin de maintenir à domicile des personnes qui souffrent d’une perte d’autonomie. De fait, le marché sur lequel nous nous sommes positionnés il y a huit ans s’accélère.
Nous avons élargi, en 2018, notre champ d’action aux résidences pour les seniors. Nous avons, de fait, atteint 26 sites équipés en janvier 2020, 62, en 2021 et nous projetons d’atteindre les 200 d’ici mars 2022. Pour l’heure, nous avons des sites notamment en Bretagne, en Paca, en Auvergne-Rhône-Alpes, dans les Ardennes et en Occitanie. Et bien que notre siège soit basé ici, nous menons davantage d’actions au-delà des frontières occitanes, jusqu’en Guadeloupe, Martinique et Guyane. Globalement, nous entendons répondre aux enjeux du vieillissement puisque les personnes âgées en perte d’autonomie vont connaître une évolution exponentielle, avec un pic attendu entre 2030 et 2045 tandis que le nombre d’Ehpad, lui, évoluera faiblement.
Nous constatons aussi une forte progression de personnes fragiles mais qui n’en sont pas moins valides, ce qui engendre également l’adaptation des logements, etc. On estime que d’ici 2024, le vieillissement de la population générera un accroissement du recours à de nouveaux types de solutions connectées avec 17,3 millions de personnes équipées en Europe, contre 7,8 millions aujourd’hui.
Quel autre type de marché visez-vous ?
Avec notre nouvelle approche, nous disposons de briques technologiques et certains industriels sont à la recherche de technologies d’analyse de données. Actuellement, nous avons trois partenaires software qui achètent nos logiciels et se chargent de l’accès au marché. Nous envisageons d’étendre ce mode de distribution qui peut être international puisque nos technologies sont scalables. Nous collaborons actuellement avec un industriel qui fabrique un capteur de lit.
Autre exemple, un pack grand public du maintien à domicile développé par le groupe HBF, fournisseur de matériel électrique et domotique, basé en Ariège. Son produit nommé OTIO Care, qui entend révolutionner le maintien à domicile pour le plus grand nombre, est désormais sur le marché. Nous souhaitons ainsi démultiplier ce type de solution. Nous équipons aussi des hôpitaux, qui, eux, ne représentent qu’une toute petite part du marché. Notre avenir se joue principalement sur le domicile.
Certains pays européens semblent être plus avancés que la France sur ces problématiques. Quelles sont vos ambitions ?
Ce marché est, en effet, plus dynamique dans les Pays d’Europe du Nord, lesquels ont davantage accepté les solutions connectées, en plus de bénéficier d’une prise en charge importante du coût des systèmes, ce qui peut être un modèle inspirant pour nous. Le Royaume-Uni est également très en avance avec un fort taux d’équipement en téléassistance. Ces dispositifs sont aussi largement plébiscités par les collectivités en Espagne. Nous envisageons ainsi de renforcer notre présence dans ces pays mais nous évoluons step by step. Nous ciblons actuellement le marché français.
Dans quelle mesure les effets de la crise vous ont-ils impactés ?
Nous avons actuellement des chantiers bloqués, soit une dizaine d’établissements. En effet, le marché des Ehpad est grippé, en raison de clusters ou de la mise en place de la 3e vague de vaccination. Nonobstant, la crise va accélérer notre marché car la pandémie a, de nouveau, pointé la stratégie de maintien à domicile et mis en lumière les dysfonctionnements dans les Ehpad, bien que la loi Grand âge et autonomie, qui devait notamment « développer la prise en charge au domicile plus longtemps des personnes âgées » et « améliorer les conditions d’accompagnement des personnes âgées en établissement », ne sera pas adoptée sous ce quinquennat.
Cependant, des réformes se sont greffées au plan de financement de la sécurité sociale depuis ce mois d’octobre. En effet, le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui sera promulgué en 2022, et qui acte des changements dans la prise en charge du vieillissement, notamment le crédit d’impôt du service à la personne qui va devenir instantané dès l’an prochain, va également nous permettre d’accélérer notre activité. Aussi, près de 20 M€ sont mobilisés afin que les Ehpad ouvrent leurs services vers l’extérieur dans le cadre des dispositifs de maintien à domicile et 80 M€ sont prévus d’ici 2025. En parallèle, des budgets ont été débloqués dans le cadre du Ségur de la santé en vue de moderniser les systèmes d’information en santé.
Afin de poursuivre votre R & D, faites-vous appel à des aides ?
Nous avons bénéficié du crédit impôt recherche qui prend en charge une partie de notre effort de R & D. Nous avons également remporté le concours d’innovation numérique de Bpifrance en 2018 et avons bouclé un deuxième tour de table de 1M€ en 2020, destiné au développement commercial. Nous avons de cesse d’innover pour garder un temps d’avance sur un marché très concurrentiel. Dans cette optique, nous envisageons de lancer début 2022, un nouveau projet baptisé Care-Me, qui porte sur des outils de coordination pour le maintien à domicile pluridisciplinaire. Généralement, chaque professionnel de santé travaille de son côté pour gérer une personne en perte d’autonomie dans son logement.
Notre solution transversale viendrait ainsi « en surcouche » et donnerait une vision centralisée afin de mieux faire circuler les informations, au même titre que la mise en place des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui agrègent les professionnels. Nous sommes, aujourd’hui, dans une logique de parcours patient et nos outils renforcent cette stratégie. Pour ce faire, nous avons sollicité l’aide de la Région. Ce soutien contribuerait à accélérer notre croissance et nous permettrait de répondre aux enjeux sociétaux européens.
Avez-vous d’autres projets ?
Nous avons récemment conclu un partenariat d’open innovation avec un groupe médico-social de neuf établissements hors Occitanie avec lequel nous travaillons depuis deux ans. L’objectif est de mettre au point des innovations de maintien à domicile. Ce groupe a monté un living lab et une direction innovation. Cela nous offre ainsi un terrain d’expérimentation en vue de faire évoluer conjointement les solutions pour les professionnels.