Caroline René-Bazin
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Caroline René-Bazin

Atout carreaux.

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Photo de Caroline René-Bazin
Caroline René-Bazin a longtemps vécu à l’étranger avant d’ouvrir une boutique de conseil et de vente de carrelage de réemploi. Un matériau auquel elle voue une véritable passion depuis près de 30 ans. (Crédit : GAZETTE DU MIDI)

Éviter que des palettes entières de carrelage, provenant d’invendus, de fins de série, de fins de chantier ou d’erreurs de commande, ne finissent dans une benne, et ainsi contribuer à sa modeste échelle à la réduction des déchets du Bâtiment et de son impact carbone, c’est la croisade dans laquelle s’est lancée Caroline René-Bazin.

Une des rares, sinon la seule en France, à s’être engagée sur ce créneau d’avenir de l’économie circulaire. Un projet longuement mûri, qui a abouti à la création il y a deux ans à Toulouse de la Maison Carrelle.

Dans sa boutique showroom du quartier Arnaud Bernard qu’elle partage avec deux autres créatrices, elle commercialise des stocks de carrelage de réemploi issus parfois de dons de particuliers et de professionnels, mais le plus souvent de stocks dormants d’entreprises du Bâtiment qu’elle achète et accompagne ses clients dans leurs projets.

Un lourd travail d’inventaire qui lui permet de dénicher des pépites et de proposer à ces derniers, qu’ils soient particuliers, décorateurs ou architectes d’intérieur un vaste choix de matériaux, des carreaux de ciment à la faïence, en passant par le grès cérame et la mosaïque, auxquels elle donne une seconde vie.

Une préoccupation bien dans l’air du temps, comme en atteste le lancement récent par Toulouse Métropole de la plateforme LifeWaste2Build en vue d’accélérer le développement de l’économie circulaire dans le BTP.

Depuis deux ans, la collectivité coordonne en effet un projet européen éponyme qui vise, via la commande publique, à inciter les acteurs du BTP à privilégier leurs matériaux de réemploi. Si Caroline René-Bazin s’est lancée à corps perdu dans ce négoce d’un nouveau genre, ce n’est pas par hasard.

La quinqua nourrit depuis 28 ans une passion pour le carrelage. On l’avait pourtant prévenu lorsqu’en 1995, son DUT techniques de commercialisation en poche, elle a franchi la porte des Carrelages Delannoy à Villeneuve d’Ascq.

Son responsable de l’époque lui ayant glissé : « Vous verrez, on peut tomber amoureux du carrelage ». « Sur le moment, je l’ai regardé avec de grands yeux ! À ce moment-là, je n’y connaissais rien, se souvient Caroline René-Bazin, mais je dois dire qu’il avait tout à faire raison ! »

La jeune femme tombe sous le charme de ces produits, à la fois « pour leur technicité et pour l’aspect déco que j’aime beaucoup ». Elle restera quatre ans manager du showroom. Un poste formateur qui lui permet aussi de découvrir son goût pour les relations humaines.

American way of life

Son mari, ingénieur en mécanique, se voit offrir une opportunité : une mission de six mois, à Saint-Louis, Missouri. Impossible pour le jeune couple lillois de ne pas succomber à l’attrait de ce changement de vie. Il va durer 15 ans… Le couple fait ses valises, désireux de « s’immerger complètement », « de vivre à l’américaine ».

La jeune femme améliore son anglais, et au bout de six mois ressent le besoin de travailler, « de découvrir le monde de l’entreprise américain ». C’est naturellement vers des négociants en carrelage qu’elle se tourne. L’un d’eux la rappelle pour remplacer une secrétaire malade.

« Les débuts ont été catastrophiques, se souvient Caroline René-Bazin en riant. Mais je me suis accrochée et lui aussi ! ». Une collaboration de trois ans s’en suivra, « une super expérience ». Elle y acquiert une autre conception de la relation client « beaucoup plus conviviale ».

« Il faut changer le mode de travail des différents acteurs, pour qu’ils pensent au réemploi en premier »

Après un interlude de deux ans à Bristol, dans l’ouest de l’Angleterre, où le couple, qui a désormais deux jeunes enfants, éprouve des difficultés à se faire des amis, la petite famille reprend un vol transatlantique pour poser, cette fois, ses valises à Minneapolis, dans le Minnesota.

Si le climat est plus rude, les relations sociales y sont incomparablement plus riches. « Cela nous manquait », reconnaît Caroline René-Bazin. La jeune femme met cependant 30 mois à obtenir un permis de travailler qui lui permet enfin de sortir de son statut de mère au foyer.

« Je ne l’avais pas choisi. Cela a été difficile à vivre », se souvient cette bosseuse. Nous sommes en 2008, en pleine crise des subprimes, « autant dire que le carrelage, ce n’était pas une priorité ! », s’amuse l’intéressée.

L’année suivante, elle crée sa propre boîte de marketing et dispense ses conseils à de petites structures. La passion du carrelage ne l’ayant pas lâchée, elle travaille en free lance pour plusieurs négociants américains dont elle développe les ventes.

2014 sonne l’heure du retour en France pour le couple et ses trois enfants dont la langue maternelle est l’américain. C’est Toulouse et son école internationale qui seront choisis plutôt que Lille où vivent famille et amis. « Nous étions partis 15 ans, ils ne nous attendaient pas. Nous avions, de notre côté, envie de découvrir autre chose. »

Dans le quartier Saint-Cyprien, la famille trouve son refuge. « Au bas de l’immeuble, se trouvaient les Ateliers Zelij. C’était un signe ! » En août, la famille s’installe. En novembre, Caroline René-Bazin rencontre le designer Samir Mazer et Delphine Laporte, spécialistes du zellige, ces carreaux de terre cuite émaillée fabriqués au Maroc.

L’ancienne expat collabore avec le couple qui mène « des projets fantastiques dans le monde entier » dans l’hôtellerie et la restauration notamment. En parallèle, la famille est devenue propriétaire d’un appartement « que nous avons entièrement déconstruit. Nous avons donné des portes de placard, des luminaires, etc. Je trouvais la démarche intelligente », détaille la jeune femme qui comprend alors le potentiel offert par les matériaux de réemploi.

En décembre 2019, l’intéressée croise la route de Recyclobat, une ressourcerie associative, installée zone de Thibaud qui collecte des fins de chantier et autres surplus. Devenue sa chargée de communication, elle travaille au développement de la filière du réemploi dans le Bâtiment, un secteur qui représente environ 19% de la production de déchets du BTP, soit 46 millions de tonnes par an…

Elle y croise Quentin Deloire, fondateur de 3.14 Conception, un cabinet d’architecture spécialisé dans le réemploi de matériaux, et lui prodigue ses conseils pour un projet d’aménagement et le choix du carrelage. Caroline René-Bazin tient enfin son idée : « négocier des stocks dormants et accompagner des personnes qui ont besoin de carrelage, parce que c’est ce que je préfère ! ». Soutenue par l’association Égalitère, en 2021, la néo-entrepreneuse prend son envol. Elle s’attache à « donner du sens » aux projets de ses clients : à savoir « créer son intérieur avec ce qui existe déjà ». Elle s’est donné trois ans pour réussir.

À défaut, pour l’instant, de se payer un salaire, elle investit tout ce qu’elle peut dans son projet. Notamment dans la communication : « Il faut changer le mode de travail des différents acteurs, pour qu’ils pensent au réemploi en premier ». Pour ça, elle multiplie les opérations de sensibilisation. Mais par-dessus tout, « j’aime ce que je fais » assure-t-elle. Et ça, ça n’a pas de prix.