En mai dernier, Charlotte Carla a rajouté une nouvelle ligne à la liste – déjà longue – de ses engagements personnels en intégrant le bureau du Comex40 du Medef Haute-Garonne, déclinaison territoriale du Comex40 national, un groupe de 40 entrepreneurs de moins de 40 ans, dont la vocation est de réfléchir avec un oeil neuf aux grands enjeux sociétaux. Quelques heures de bénévolat de plus qui vont donc remplir son agenda déjà bien plein puisqu’elle est également membre du conseil d’administration du Centre de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) d’Auzeville et depuis peu aussi présidente du club des partenaires de l’association du TO XIII. Et quand elle ne milite pas au sein d’organisations professionnelles pour les jeunes, la formation, la transition écologique, la place des femmes dans la vie économique ou l’handi sport, cette maman de deux jeunes enfants de six et quatre ans, cumule plusieurs postes dans l’entreprise familiale, les jardins de Matthieu : community manager, RH, employée administrative, secrétaire et commerciale.
Bien loin de se plaindre, cette working girl qui n’a plus de temps pour elle, ne regrette pour rien au monde les choix qu’elle a faits à 20 ans. La Toulousaine, qui a obtenu à l’Institut Limayrac, un BTS vente et production touristique, rêvait d’être hôtesse de l’air. « Rien à voir avec le paysage », s’amuse la jeune femme. Elle a pourtant décidé de tout plaquer au grand dam de ses parents pas vraiment rassurés, pour se lancer dans l’entrepreneuriat avec Matthieu Carla, 20 ans lui aussi, tout juste sorti du CFPPA où il s’est formé au métier de jardinier paysagiste, qui deviendra son mari. Des débuts difficiles. « On partait de rien, mais vraiment de rien ! se souvient la trentenaire. À l’époque, nous n’avions pas de tablette, juste des magazines qu’on achetait au bureau de tabac, le guide Clauses, la bible dans notre métier, des mallettes avec nos échantillons de gravier et de morceaux d’alu. On arrivait comme ça chez les clients et on se vendait ! Sans support, sans site internet, c’était folklo. Je remercie les clients qui nous ont donné notre chance ! »
C’est une belle réalisation dans le quartier de Lardenne qui va lancer l’entreprise. « Un chantier réalisé dans la souffrance », mais « grâce aux photos, après ce chantier nous avons littéralement décollé ». Si aujourd’hui, la TPE compte 10 collaborateurs (trois ont rejoint l’entreprise en septembre), le couple a longtemps été seul à tout faire, tout gérer. « Vous apprenez à maîtriser la partie financière et la partie technique. Tout ce que nous savons aujourd’hui sur notre métier et l’entrepreneuriat, nous l’avons appris à nos dépens ! Lorsque vous êtes chef d’entreprise, qu’il y a une erreur sur le chantier ou que vous vous êtes trompés dans le devis, c’est vous qui faites le chèque à la fin. » C’est l’arrivée du premier enfant du couple qui, paradoxalement, permet aux entrepreneurs de prendre du champ. « Avec la Mutualité sociale agricole (MSA), lorsque vous êtes enceinte, vous avez droit au service de remplacement : vous n’êtes pas rémunérés mais la MSA met en place un remplaçant qu’elle rémunère. Tout est parti de là. On s’est aperçu qu’il y avait assez de travail pour un salarié et que nous étions capables de le gérer. Cela nous a mis le pied à l’étrier. »
L’importance de l’intégration des collaborateurs
Treize ans plus tard, grâce à la qualité de son travail, la TPE a une réputation bien assise, au point qu’elle ne fait aucune prospection, l’essentiel de sa clientèle provenant du bouche-à-oreille, du site internet et, à la marge, des réseaux sociaux. « En nous permettant d’exposer notre travail, ils nous ont apporté une visibilité importante et nous ont permis de nous ancrer sur la ville », reconnaît Charlotte Carla. Bien installée sur son marché, elle peine cependant à recruter et son statut de TPE n’aide pas forcément. C’est ce qui l’a conduit à s’engager au sein de l’Union des entreprises du paysage pour développer avec le CFPPA un projet qui lui tient vraiment à coeur intitulé « l’entreprise au coeur des formations ».
« C’est très important de donner leur chance aussi aux femmes, surtout dans notre métier. Il n’y en a pas beaucoup et elles sont peu valorisées »
« L’objectif est de reconnecter les chefs d’entreprise avec les apprenants en étant à l’écoute de leurs attentes, mais aussi de moderniser les formations en trouvant des partenaires pour que le CFPPA puisse investir dans des logiciels tels que celui que nous utilisons et des casques de réalité virtuelle. Le métier de paysagiste a en effet beaucoup changé. On a encore cette image : une brouette, trois outils de jardinage et des gants, mais cela va bien au-delà, cela nécessite de posséder de nombreux savoir-faire. La problématique que nous rencontrons c’est que les jeunes formés qui intègrent l’entreprise ne maîtrisent pas les logiciels 3D, ils ne connaissent pas l’électricité et sont incapables de poser des spots dans un jardin, etc. Mon objectif est de passer du temps avec les jeunes, les formateurs pour qu’ensemble on arrive à les rendre plus performants tout en écoutant leurs attentes ».
C’est ce que la jeune femme, qui attache beaucoup d’importance à la convivialité, promeut en interne. « On essaie vraiment d’intégrer nos collaborateurs à notre projet et de faire en sorte qu’ils se sentent bien chez nous. D’ailleurs nous avons très peu de turnover ». Elle essaie aussi autant qu’elle le peut de faire une place aux femmes dans ce secteur encore très masculin. Elles sont deux dans l’équipe. « C’est très important de donner leur chance aussi aux femmes, surtout dans notre métier. Il n’y en a pas beaucoup et elles sont peu valorisées, assure Charlotte Carla. C’est pour moi un sujet capital : les femmes ont le droit d’avoir leur chance et de s’épanouir dans le travail comme les hommes. » C’est aussi pour défendre la place des femmes dans l’entrepreneuriat, qu’elle a rejoint en avril 2021 les rangs du Medef Haute-Garonne. Un peu par hasard au début, elle l’avoue, « parce que dirigeant une TPE, je ne pensais pas y avoir ma place ».
Un combat pour l’emploi et la formation
On l’a vite détrompé. « Ce qui m’a décidé à adhérer, c’est que l’organisation patronale met à disposition un service juridique, des formations pour les chefs d’entreprise, etc. Et quand on est une TPE, c’est très confortable de pouvoir appeler ces services lorsqu’on a un souci ». Un an plus tard, elle a donc intégré le Comex40 du Medef Haute-Garonne. « J’étais très fière de représenter ma profession et les petites entreprises. Si je suis au Medef, c’est aussi pour casser les codes, parce que je suis un peu l’anomalie : TPE, secteur agricole et femme ! C’est mon engagement, voilà pourquoi je me bats : l’emploi et la formation, la place des femmes dans la vie économique et l’entrepreneuriat, l’égalité femme-homme, etc. Il faut qu’on entende la voix des femmes chefs d’entreprise. »
La patronne de TPE assure vivre à travers son engagement professionnel « une expérience passionnante. J’avais cette image du Medef que distillent les médias : un regroupement de grands patrons et de fait, j’y ai rencontré des gens authentiques. Je me suis liée d’amitié avec certains : on parle entre pairs de nos problématiques, ça permet aussi de briser la solitude du chef d’entreprise, par exemple lorsqu’un client ne vous règle pas et qu’à la fin du mois vous ne savez pas comment payer vos salariés, les nuits sans dormir parce que vous avez trop de travail ou pas assez. Autant de choses que nous avons vécues, c’est la vie de l’entrepreneur. Et puis, culturellement, c’est très intéressant de discuter avec d’autres chefs d’entreprise, de connaître leur parcours, leurs difficultés, leurs solutions. Parce qu’il y a aussi énormément d’entraide, les gens sont vraiment à l’écoute. Je reçois beaucoup de conseils de dirigeants d’entreprises plus importantes que la nôtre… C’est la solidarité qui prime avant le business. »
Son esprit de solidarité s’exprime aussi dans le cadre de son engagement au sein du club des partenaires de l’association TO XIII. Là aussi, elle veut faire bouger les choses, sachant que la Table Ovale, le club business du TO XIII, n’est pas ouvert aux femmes… Treize ans après s’être lancée, Charlotte Carla n’a donc aucun regret. « J’ai beaucoup pleuré parce que physiquement et moralement cela a été très dur. On encaisse des choses pas faciles, je travaille 50 heures par semaine, mon mari 70. On fait beaucoup de sacrifices sur le plan familial mais c’est une aventure qui nous fait vibrer. Plus les années passent et plus on se rend compte que l’on a des opportunités exceptionnelles grâce à l’entreprise. Je ne parle pas d’argent mais de rencontres, de moments de partage. Ce projet que je vais mener, L’entreprise au coeur des formations, ne m’apporte rien financièrement, je suis bénévole, mais intellectuellement et humainement, c’est une aventure extraordinaire parce que les autres vous nourrissent. C’est passionnant. »