Christine Massoure est l’une de ces femmes d’action que rien n’arrête. Une figure majeure du massif pyrénéen dont elle connaît les cimes et les contours. Cette Luzéenne pur sucre, qui depuis qu’elle sait à peine marcher, aime toujours autant dévaler les pentes enneigées, a consacré sa vie au développement du territoire ou comme elle le surnomme « son jardin préféré ».
À l’aube de la retraite, sa ferveur est toujours aussi intense, tandis que cette sexagénaire opère un dernier changement de carrière. Dans quelques jours, l’ex-directrice générale de la Compagnie des Pyrénées – entreprise à mission qui accompagne les stations de montagne face aux mutations et aux défis de l’économie touristique –, s’apprête à endosser le rôle d’experte tourisme montagne pour l’Agence Régionale Aménagement Construction Occitanie (Arac).
« En janvier, j’ai dû faire un choix entre me réinvestir pendant cinq ans minimum ou changer de cap. J’ai convenu que c’était mieux de mettre du sang neuf dans l’organisation et je reconnais aussi qu’au bout de tant d’années d’exercice, ce rôle est dur à porter. Je souhaite m’investir davantage dans des sujets de réflexion et préparer l’avenir des Pyrénées, plus que diriger », concède-t-elle.
Des championnats de ski à l’aménagement du territoire
Cette enfant de la montagne, née de parents tous deux enseignants (son père est élu local), n’a jamais voulu suivre leur trace « L’enseignement et plus largement la fonction publique ne m’a jamais attirée », affirme-t-elle. Quant à la question de devenir maire un jour d’une commune des Pyrénées : « certainement pas, je veux pouvoir manœuvrer comme je l’entends ! », dit-elle dans un sourire.
Courant, adolescente, les championnats de ski au niveau européen, Christine Massoure aurait pu embrasser une carrière de sportive de haut niveau. Mais cela signifiait quitter un temps son écrin naturel. Impossible pour celle qui a fait le choix de vivre dans les Pyrénées et pour les Pyrénées. « J’ai choisi de délaisser le ski de haut niveau et d’en faire uniquement une passion extraprofessionnelle. J’ai passé le diplôme de moniteur de ski – j’étais parmi les plus jeunes de France – en parallèle de mes études en mathématiques appliquées et en aménagement du territoire. À une époque, j’ai mené plusieurs vies en même temps ».
De l’artisanat à l’industrie de la neige
Alors qu’elle n’a que 20 ans, elle intègre le Comité départemental du tourisme des Hautes-Pyrénées en tant que chargée de promotion en Angleterre avant de devenir assistante technique aux stations de sports d’hiver. « Cette expérience a été ma réelle formation ».
Son parcours professionnel a également été émaillé de rencontres qui l’ont construite. Notamment, celle avec Jean Cattelin, responsable de pistes à Courchevel.
Il s’agissait de réfléchir différemment au ski. À l’époque, on pensait à monter les clients en télésiège mais c’est tout. Lui voulait penser pistes. Nous avons collaboré dans ce sens. J’ai beaucoup parcouru à pied les domaines skiables pour comprendre les lignes de pistes, j’ai appris la préparation de la neige quand il y a peu de volumes… Et le fait d’être aussi monitrice m’a éclairé sur l’attente des clients. D’ailleurs, j’ai toujours gardé des contacts avec les formateurs pour avoir des retours. Nous sommes passés de l’artisanat à l’industrie de la neige et cela m’a permis aussi de comprendre qu’il fallait s’intéresser à la formation des opérateurs des domaines skiables. »
La formation de pisteur secouriste généralisée
Une rencontre avec Roger Dabat, responsable d’un centre de formation pour adultes au sein de l’éducation nationale, marquera un nouveau tournant dans son parcours. « Il est venu me voir en me disant : “toi tu connais la montagne”. Nous sommes partis pour une aventure d’une dizaine d’années. C’était une période extraordinaire car il y avait beaucoup de moyens fléchés vers la formation, nous avons pu structurer les cursus de conducteur de remontée mécanique, pisteur secouriste, les métiers de base où tout s’apprenait initialement sur le terrain. Le massif pyrénéen était très en avance de ce côté-là. J’ai d’ailleurs été mandatée pour mettre en place la formation de pisteur secouriste sur l’ensemble du territoire français. » La jeune femme met aussi en place des formations plus générales (management, relation client, etc.). et d’ajouter :
Nous avons construit le référentiel métier de la profession. »
N’py et la Compagnie des Pyrénées, 19 ans d’aventures
Son chemin la mènera à croiser celui d’Henri Mauhourat alors jeune ingénieur, directeur de la station de Piau. « Il m’a appris à regarder l’avenir et que rien n’est impossible si on s’en donne les moyens. »
Avec ce dernier et trois autres amis : Francis Guiard (Luz Ardiden), Bernard Malus (Grand Tourmalet) et Noël Lacaze (Peyragudes), elle crée N’PY, un réseau qui regroupe aujourd’hui huit stations (Peyragudes, Piau, Grand Tourmalet, Pic du Midi, Luz-Ardiden, Cauterets, Gourette et La Pierre Saint Martin).
Une belle aventure humaine avant tout. « Nous souhaitions apporter aux domaines skiables suffisamment de volumes pour optimiser les achats, organiser les formations, faire travailler les collaborateurs ensemble… »
Le quintet est aussi à l’initiative du produit PPU, les prémices de la Carte No Souci qui permet de skier dans toutes les stations sans passer en caisse. « Nous avons travaillé sur la pertinence du projet avec les élus et avons eu très vite 10 000 abonnés. En 2006, c’était un pari. Beaucoup disaient : “les clients n’achèteront jamais sur internet”. Autant dire qu’aujourd’hui, l’achat sur la toile est devenu la norme. »
Visionnaire dans l’âme, Christine Massoure a toujours su défendre ses convictions. « De la même façon, on voulait connaître nos clients, leurs habitudes de consommation, avec une base de données mutualisée pour pousser des offres et en faire un outil de différenciation par rapport à la concurrence. Cela permettait aux stations de petite taille de se doter d’outils dont bénéficient généralement uniquement les grands domaines. »
Sa plus grande fierté ? La réussite commerciale, mais aussi la réussite collective.
J’ai travaillé sur l’ensemble de la chaîne des Pyrénées soit 36 exploitants de domaines skiables. On se rend compte que c’est difficile de porter l’ensemble à bout de bras. Mais le sujet du développement des Pyrénées dans sa globalité me passionne ».
Naissance de la Compagnie des Pyrénées
Pour se donner les moyens de cette nouvelle stratégie, la filiale commerciale N’PY Résa, née en 2016, voit l’arrivée de la Caisse des Dépôts Banque des territoires. « Cela nous a permis de monter une marketplace qui comptabilise aujourd’hui près de 20 000 lits. L’enjeu était d’exister aux côtés des nouveaux opérateurs (Booking, Airbnb…). C’est un demi-succès », lâche-t-elle.
Depuis, pour permettre aux stations de réussir leur transition écologique et de pérenniser leurs activités tout au long de l’année, d’autres acteurs ont rejoint l’aventure. La région Occitanie dans un premier temps, puis la région Nouvelle-Aquitaine et enfin les départements de la chaine (à l’exception de la Haute-Garonne) sont entrés au capital de la société d’économie mixte tandis que la Banque des Territoires renforçait sa participation. La société N’PY a ainsi donné naissance à la « Compagnie des Pyrénées ».
Une femme dans un milieu d’hommes
Cette mère de famille de trois enfants, pour qui le sport est l’indispensable soupape, n’a qu’un regret malgré une carrière qu’elle qualifie de « passionnante » : ne pas avoir été à la tête d’une station de ski, histoire de mettre encore plus les mains dans le cambouis. Elle a toujours cependant aimé évoluer dans un milieu d’hommes bien que la tâche ne soit pas toujours aisée. « Ma connaissance du terrain et ma pugnacité m’ont permis de m’imposer. Mais être une femme avec des responsabilités, reste encore un sacré pari, même en 2023 ! »