Coline Sinquin
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Coline Sinquin

Femme d’impact.

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Coline Sinquin a co-fondé Omedom en 2021 avec Héloïse Medina. La start-up, installée dans le Tarn, déploie depuis début 2023 une solution éponyme dédiée au pilotage du patrimoine immobilier et financier. (©Omedom)

Dans un ancien numéro du mensuel Management, son rédacteur en chef se posait la question suivante : « C’est quoi, au juste, le culot ? ». Cité à l’époque dans la revue de presse de Claude Askolovitch sur France Inter, l’édito affirmait une chose simple en apparence, à savoir que le culot consiste tout simplement à oser. Plus facile à dire qu’à faire diront certains, pourtant s’autoriser à enfreindre l’ordre établi est souvent source d’émancipation. Qu’il s’agisse de sa vie privée ou professionnelle, être culotté finit en effet souvent par payer !

Et ce n’est pas Coline Sinquin qui dira le contraire. À 37 ans, cette albigeoise, maman solo de deux filles (16 et 8 ans), en a même fait sa marque de fabrique. Serial entrepreneuse, l’intéressée dirige depuis 2021 Omedom, une start-up spécialisée dans la gestion de patrimoine. Une société qu’elle a co-fondée avec Héloïse Medina. Alors qu’environ 30 % des entreprises créées chaque année le sont par des femmes – un chiffre qui ne bouge depuis 10 ans ! – et que ce taux chute à 9 % pour le secteur du numérique, Coline Sinquin fait partie de cette nouvelle génération d’entrepreneuses qui bouscule les codes et entend bien se faire une place dans un écosystème français des start-up peu inclusif. Et où la parité reste encore un vœu pieux.

« Nous faisons même face pour certaines à une double peine puisque les jeunes pousses installées en région drainent difficilement 17 % du total des fonds levés et celles dirigées par des équipes féminines seulement 2 %. Donc, quand on est une femme dans la tech et en région, autant vous dire qu’il faut avoir une hygiène de vie nickel pour pouvoir tenir la charge, parce que c’est très, très dur », confie la dirigeante tout en assurant que « l’entreprenariat n’épargne rien ni personne, les hommes comme les femmes ». Voilà pourquoi insiste-t-elle, « il faut absolument avoir confiance en soi, savoir d’où on vient, quelles sont nos failles et quelles sont nos forces pour pouvoir évoluer ».

Début de carrière dans l’hôtellerie-restauration

Sa confiance, elle l’a bâtie très jeune en faisant ses armes dans un secteur tout aussi formateur qu’exigeant : celui de l’hôtellerie-restauration. Après des études avortées de droit et une première expérience révélatrice dans un hôtel à côté d’Albi, celle qui est alors tout juste majeure passe avec succès le concours d’entrée de l’école hôtelière internationale Vatel Paris. Son diplôme en poche, Coline Sinquin n’a qu’une envie : être à la tête de son propre établissement. Un rêve qu’elle concrétise dans la foulée grâce à une opportunité financière. Déjà portée par un sacré tempérament et un culot monstre, à tout juste 20 ans et un premier enfant, elle s’envole direction l’île Saint-Martin, dans les Caraïbes.

C’est dans ce petit coin de paradis qu’elle ouvre avec son compagnon, chef cuisinier de métier, un restaurant semi-gastronomique spécialisé dans la cuisine moléculaire. Une première expérience entrepreneuriale enrichissante qui aura duré six ans. Fraîchement séparée, elle rendre en France où elle rebondit très vite. Directrice adjointe à l’Empire Paris, un hôtel 4 étoiles du 1er arrondissement, elle est chargée de la gestion des ressources humaines, des plannings et du management des équipes.

En 2016, un impératif familial l’oblige à retourner vivre à Albi. Un retour “forcé” qui lui permet de lever le pied après des années à vivre à 100 à l’heure. « L’hôtellerie-restauration est un secteur compliqué, dur, exigeant… qui demande de la patience, beaucoup de résilience et d’endurance physique. D’autant plus que j’ai été élevée dans l’idée où plus on travaille, plus on a de chance d’être reconnue par ses pairs et plus on gagne bien sa vie. Je suis d’une génération qui considère que le travail paie, donc je ne comptais pas mes heures. »

Profondément attachée « à ma terre et à la terre », ce retour aux sources n’est pourtant pas si simple pour Coline Sinquin qui se heurte à un marché du travail peu dynamique, où les opportunités dans son domaine sont rares. Après plusieurs expériences salariales frustrantes dans le marketing de luxe, elle décide de lancer en 2018, dans la foulée de sa deuxième grossesse, son auto-entreprise. Elle devient consultante en gestion immobilière, principalement pour des projets hôteliers. « Mon boulot consistait à réaliser des business plans pour la création complète d’établissement sur une zone géographique définie selon un budget donné. J’ai eu l’opportunité d’imaginer et de faire sortir de terre de super projets, que ce soit à Bali, en Espagne ou en France », se remémore la trentenaire.

Faciliter la transmission de patrimoine

L’histoire d’Omedom commence un an plus tard, avec un défi personnel transformé en une opportunité entrepreneuriale. Le défi en question, épauler sa maman, héritière du patrimoine immobilier de ses parents et qui s’est retrouvée confrontée à une gestion compliquée. « Chargé de souvenirs et d’histoire, ce patrimoine familial représentait non seulement une valeur sentimentale, mais aussi une grande responsabilité, se souvient-elle. Mais la gestion quotidienne des biens, entre les tableurs, les documents éparpillés, les factures, les différentes démarches administratives… s’est rapidement transformée en casse-tête pour toute la famille. »

Une épreuve que connaissent beaucoup de personnes et de familles. Pour les aider à reprendre le contrôle, elle fonde Omedom et déploie début 2023 une solution éponyme dédiée au pilotage du patrimoine immobilier à destination des particuliers et des professionnels. Véritable tour de contrôle ou coffre-fort, l’application permet aux utilisateurs de gérer différents types d’actifs (résidence principale, secondaire, biens locatifs, SCI…), de centraliser les documents au même endroit (actes, assurance, relevé de gestion…), de lier les comptes bancaires et enfin de partager ses informations avec des tiers pour anticiper sa succession.

« Encore aujourd’hui, 60 % des Français n’ont pas préparé leur succession avec parfois des conséquences assez lourdes puisqu’une personne sur six s’endette à cause d’un héritage. Pourquoi ? Parce que cela reste un sujet tabou. Or, ce sont 100 KMds$ qui vont être transférés d’une génération à une autre d’ici 2030. Et ce sont deux générations qui n’ont ni les mêmes codes ni les mêmes usages. D’où cette impréparation », déplore la cheffe d’entreprise qui milite pour une meilleure éducation financière dès le lycée.

L’innovation comme moteur

En juin 2024, Omedom – qui compte cinq salariés (+ une freelance) et a enregistré une croissance de 120 % de son chiffre d’affaires – a lancé une version optimisée en mode SaaS tout en maintenant une version mobile. La prop tech tarnaise a surtout recentré son activité sur les particuliers : du primo-accédant aux multiples propriétaires, voire multiples investisseurs, qui détiennent entre un et 12 biens. « Dans un monde où 87 % des millenials considèrent le numérique comme essentiel pour la gestion patrimoniale, Omedom s’inscrit pleinement dans cette transformation digitale. La plateforme répond aux attentes des nouvelles générations tout en aidant les précédentes à s’adapter », assure Coline Sinquin.

Forte aujourd’hui de 6 000 utilisateurs représentant 1,4 Md€ d’actifs sous gestion, la start-up continue d’innover et d’intégrer de nouvelles fonctionnalités comme l’intégration du patrimoine financier, la gestion énergétique des biens immobiliers, la prédication de la valeur des biens et de la valeur estimative du loyer en temps réel, la gestion des sociétés civiles immobilières… Après le patrimoine immobilier et financier, Omedom ambitionne aussi de s’attaquer au patrimoine numérique.

« Tout le monde possède des identifiants et mots de passe pour accéder à ses comptes en lignes (banque, assurance, services de l’État, etc.). L’idée est donc de centraliser en un seul et même endroit cette vie sur le numérique, même celle des réseaux sociaux », précise Coline Sinquin avant de revenir sur le positionnement singulier de la société à l’heure où les conseillers, souvent auto-proclamés, en investissement pullulent sur la toile.

« Omedom n’est pas une solution de placement financier ou d’optimisation fiscale. Peut-être que l’on ira dans ce sens un jour mais seulement pour répondre à une demande des utilisateurs. Pour le moment, ce que l’on veut, c’est transmettre de l’information neutre et factuelle pour faciliter les relations inter- ou intra-familiales. Le but étant de donner plus d’autonomie sur ces questions aux personnes concernées et, une nouvelle fois, de poser les bases d’une éducation financière », insiste la dirigeante.

Rôle-modèle pour la future génération

Pour mener à bien ces différents projets de développement, Coline Sinquin annonce une levée de fonds entre 800 K€ et 1,2 M€. Objectif ? Atteindre la rentabilité et stabiliser l’entreprise sur son marché. « Le but, c’est d’avoir assez d’argent pour qu’Omedom devienne une entreprise pérenne sur son territoire depuis le Tarn, avec des investisseurs et des partenaires locaux. »

Ce tour de table intervient quelques mois après une première tentative interrompue en raison de la dissolution de l’Assemblée et du chaos politique qui s’en est suivi avec des remaniements gouvernementaux et la suspension du vote du Projet de loi de finances pour 2025. Un contexte d’incertitude qui a conduit aux blocages d’un certain nombre de financements, obligeant l’équipe d’Omedom à faire preuve de créativité et à ouvrir son capital à ses utilisateurs qui ont répondu présents avec 120 000 € collectés.

Alors que cet épisode aurait pu la déstabiliser et la faire renoncer, il a au contraire renforcé la rage (bienveillante) qui habite Coline Sinquin. Une rage d’entreprendre, d’innover, de trouver des solutions... qui espère-t-elle inspirera une nouvelle génération de femmes à sauter le pas de l’entrepreneuriat. Son conseil ? « Donner le meilleur de soi-même tout en restant fidèle à ses valeurs et sans oublier encore une fois d’où l’on vient, qui on est, quelle est l’histoire de sa boîte et comment je la défends du mieux possible, tout en respectant les autres et le système dans lequel j’évolue. C’est un travail intellectuel complexe mais ô combien passionnant ! »