Dans la peau du narrateur
Philippe Hugon. Ancien responsable de la Dépêche Économie et rédacteur en chef de Toulouse Mag, il vient de publier son troisième roman historique La Mécanique de l’Ange aux éditions De Borée. À 58 ans, cet homme de lettres, à son échelle, est aussi homme d’images, en tant que cofondateur de la société de production toulousaine Veni Vidi Prod.
Il se définit comme un « raconteur d’histoires ». Pour un ancien journaliste ou gratte-papier, qui a notamment signé dans la Dépêche du Midi , c’est osé, penserez-vous certainement. Ou peut-être est-ce simplement une continuité pour cet amoureux de l’Histoire. Au bout du fil, cet homme de lettres à son échelle, particulièrement volubile, se prend facilement au jeu de l’interview. Les mots fusent plus vite que sa pensée et ce quinqua, a l’art et la manière d’user, sans modération, de l’autodérision et du « off ». « Je blague, enfin quoi que », répète-t-il entre deux anecdotes.
« Depuis que je suis petit, j’aime raconter des histoires et qu’on m’écoute, j’ai travaillé cet art. Lorsqu’on écrit des romans, on travestit la réalité, ce qu’on essaie de ne pas faire en tant que journaliste, explique Philippe Hugon. Aujourd’hui, je ne me considère pas comme un écrivain, je suis quelqu’un qui aime ancrer un récit dans la réalité en vue de créer un rendu authentique. Je fais en sorte que mes histoires aient le plus possible le goût du réel pour transporter le lecteur dans un univers romanesque. J’attache cependant beaucoup d’importance au fait de sourcer mes informations même si elles restent une toile de fond. Mes romans sont le off des histoires officielles »
À 58 ans, ce père d’une fillette de trois ans, également entrepreneur, se fond actuellement dans le silence de la nuit pour épancher ses romans historiques, même si, comme il l’avoue « l’après-midi est davantage mon moment propice pour écrire ». Il confie par ailleurs et à sa manière que les mots pour lui ne sont pas un exutoire. « Je suis entouré d’amis écrivains qui ne peuvent pas concevoir leur vie sans un stylo à la main. Moi, je pourrais concevoir ma vie sans écrire, même si, en ce moment, j’écris toutes les nuits pour terminer une commande de mon éditeur (NDLR à paraître en 2022.) »
Après avoir publié de nombreux ouvrages sur l’histoire locale, mettant en lumière des pépites de la Ville rose parmi lesquels Histoires vécues et insolites de Toulouse (plusieurs fois réédité aux éditions Privat), il a publié le 12 août dernier son troisième roman historique La Mécanique de l’Ange aux éditions De Borée – suite à ses deux premiers romans Pour les plaisirs du Roi aux éditions Flammarion en 2011 et Le pacte des Gueux aux éditions De Borée, en 2020. « Depuis que je suis petit, j’aime raconter des histoires et qu’on m’écoute, j’ai travaillé cet art. Lorsqu’on écrit des romans, on travestit la réalité, ce qu’on essaie de ne pas faire en tant que journaliste. Aujourd’hui, je ne me considère pas comme un écrivain, je suis quelqu’un qui aime ancrer un récit dans la réalité en vue de créer un rendu authentique. Je fais en sorte que mes histoires aient le plus possible le goût du réel pour transporter le lecteur dans un univers romanesque. J’attache cependant beaucoup d’importance au fait de sourcer mes informations même si elles restent une toile de fond. Mes romans sont le off des histoires officielles », souligne Philippe Hugon. Son premier roman Pour les plaisirs du Roi, raconte ainsi les fausses mémoires du comte Jean du Barry. « Certains ont pensé qu’il s’agissait de vraies mémoires, cela m’amuse et me fait plaisir. J’ai réussi mon pari mais j’ai de sérieux doutes sur les capacités cognitives de ceux qui ont cru que c’était le cas », lâche-t-il dans un sourire.
Le jeu avec le lecteur est en filigrane son arme de séduction. « J’aime tisser un lien avec le lecteur en m’adressant parfois à lui directement, le rendant témoin. C’est un jeu. J’aime aussi la littérature du XVIIIe siècle, avec ses mémoires rehaussées d’humour et écrites à la première personne. » Quid de son style littéraire ? « Je n’en ai pas vraiment, mais j’aime surtout retrouver la couleur du temps et créer ce ton de confidence et de connivence avec le lecteur. » Son dernier roman retranscrit les faits à la veille de la période de la Terreur, en 1793, et se passe sur l’échafaud. « C’est l’histoire de Charles-Henri Sanson, un bourreau français, officiellement exécuteur des hautes œuvres de Paris, notamment sous le règne de Louis XVI, qui, malgré son activité, avait la légalité dans le sang. Le vrai Charles-Henri Sanson notait le nom des gens qu’il exécutait pour mettre un nom sur ces visages. J’y ai ajouté ma patte avec le personnage de François Dambrun, calculateur et menteur, qui se rend vite indispensable auprès de son employeur », détaille Philippe Hugon. Si lui même ne fait pas partie de la catégorie des « mauvais garçons », ils nourrissent son imaginaire et sa trame romanesque. « En tant qu’ancien journaliste, j’en ai rencontré. Et je puise mon inspiration dans ces personnalités dotées d’une nature romanesque . »
Si Le Comte de Monte-Cristo a souvent été son livre de chevet, ce grand admirateur d’Alexandre Dumas, – « un auteur de romans historiques, la quintessence du genre et un semeur de civilisation selon les mots de Victor Hugo » – aime particulièrement se plonger dans les archives du XVIIIe siècle. Quid de ce qui a déclenché cette passion ? « Je ne sais pas. J’aime la période de la Révolution et le début de l’ère industrielle, sur le plan politique. Dans le champ romanesque, c’est la manière d’être des personnages, souvent des aventuriers qui s’affranchissent des règles, qui m’attire. Autant le régime était autocratique, autant certains individus faisaient preuve d’une grande liberté d’esprit avec beaucoup de nuances. J’ai remis la main sur quelques mémoires oubliées, et je m’en inspire. » De son propre aveu, il abhorre tous les intégrismes – « ils sont la defaite de la raison et la victoire de l’obscurantisme » –, et le conformisme surtout dans le métier de journaliste qu’il a profondément aimé avant de refermer la porte il y a 10 ans.
Ce diplômé de l’Institut d’études politiques de Bordeaux s’est fait sur le tas. Né d’un père, employé dans les transports et d’une mère, femme au foyer, rien ne prédestine cet enfant de Pau, qui grandit à Montauban, à cette carrière qu’il embrasse après un parcours atypique. Débarquant à Toulouse en tant que parachutiste au 14e RPCS, un régiment aujourd’hui dissout, il choisit finalement, après un an d’exercice, de ne pas poursuivre dans la voie militaire et de prendre du temps pour lui. Trois ans s’écoulent avant qu’il intègre le milieu bancaire. Une incursion de courte durée avant de mener, pendant quelques années, des activités éclectiques : barman la nuit, négociant de gravures anciennes et pigiste le jour. « Je me suis pris de passion pour la gravure. J’aime l’Histoire et les objets anciens, la traduction des époques en version imprimée, ainsi que le procédé créatif. Il y a aussi un lien fort avec l’information, même si c’est une œuvre d’art. Avant l’arrivée d’internet, il y avait un micro-marché. Aujourd’hui, tout le monde croit que n’importe quel bout de papier vaut de l’or ». Il garde de cette époque de bons souvenirs et continue de chiner. Sa dernière trouvaille qu’il conserve pour lui, est « une magnifique gravure tirée d’une planche de Goya », achetée en Occitanie dans un vide grenier. « Ce n’est pas sa valeur marchande qui m’intéresse mais sa beauté ».
« C’est Dominique Autié qui m’a contacté en 1995 pour la publication d’un florilège de courtes biographies sur des personnages historiques toulousains, souligne Philippe Hugon. Ce premier ouvrage Histoires vécues et insolites de Toulouse me permettra une rencontre avec un autre passionné de l’histoire de la ville, Dominique Baudis. Par la suite, nous échangerons souvent sur ce sujet, et aussi sur le Liban auquel il était très attaché. »
Après des choix radicalement différents, il devient, à l’orée de ses 35 ans, concepteur-rédacteur indépendant en agence de publicité et de communication pendant trois ans avant de rencontrer Jean-Christophe Giesbert, ancien directeur de la rédaction de la Dépêche du Midi, qui lui donne l’opportunité d’écrire des chroniques historiques. « La collaboration s’est étoffée de piges sur de nombreux sujets, jusqu’à mon embauche en 2000 au poste de responsable d’un nouveau projet : le lancement de la Dépêche Économie. L’aventure a été exaltante car le lancement d’un supplément économique hebdomadaire de 12 à 16 pages a nécessité la création ex-nihilo d’une équipe, d’une méthode, d’un style, qui, je crois, ont été appréciés par les lecteurs. » Il continue sur sa lancée et prend en main les magazines de Dépêche Mag, avec, avoue-t-il « moins de succès. J’ai dû faire avec une équipe en place. Elle était compétente, mais j’ai pu alors constater que je ne suis pas un manager… plutôt un chef de bande. Un manager sait tirer le meilleur d’une équipe, même s’il ne l’a pas choisie… et doit aussi avoir une relation apaisée avec sa propre hiérarchie. » De fait, il tourne la page, heureux d’avoir été journaliste et heureux aujourd’hui de ne plus l’être. À cette époque, un autre homme joue également un rôle clé dans sa vie : Dominique Autié, aujourd’hui disparu, qui fut le charismatique directeur des Éditions Privat. « C’est lui qui m’a contacté en 1995 pour la publication d’un florilège de courtes biographies sur des personnages historiques toulousains. Ce premier ouvrage Histoires vécues et insolites de Toulouse me permettra une rencontre avec un autre passionné de l’histoire de la ville, Dominique Baudis. Par la suite, nous échangerons souvent sur ce sujet, et aussi sur le Liban auquel il était très attaché. » À cette époque, Philippe Hugon a l’œil également rivé sur le pays du Cèdre qui deviendra son pays de cœur, où il effectura 10 séjours plus ou moins longs. « Mon premier voyage en 1997 s’effectue aux frais de l’ancien ministre des Transports libanais, Omar Meskaoui, que j’ai rencontré dans une conférence de presse à Toulouse et qui m’a invité à la Fête des pêcheurs à Byblos. Nous nous sommes revus jusqu’en 2000. Ce pays me fascine par sa complexité, sa beauté, ses habitants hauts en couleur. Je m’y sens plus fort chaque fois que j’y suis, y compris pendant des périodes troublées. J’aimerais y mener un projet vidéo avec ma société de production. Mais obtenir des subventions pour conduire à terme un projet documentaire quel qu’il soit n’est pas une mince affaire ».
De fait, celui qui a raconté la vie d’entrepreneurs au travers d’articles économiques, en est devenu un depuis 10 ans. Au côté notamment de sa compagne, Vanessa Nourisson, cadreuse de métier, il a cofondé la société de production Veni Vidi Prod et réalise ainsi des films institutionnels, des films de marque, du motion design, des documentaires, etc. Une autre façon d’apporter un regard sur le monde. « Depuis une décennie, la vidéo est un format qui s’est démocratisé, avec un effet d’aspiration sur les réseaux sociaux. Notre différence, nous la construisons sur la fabrication du contenu et la manière de l’amener, de créer les histoires, car aujourd’hui presque tout le monde a du matériel et peut réaliser des vidéos. Nous souffrons aussi de la concurrence, qui casse toujours plus les prix. Objectivement, nous ne serons jamais riches, mais on essaie de choisir, autant que faire se peut, nos clients, de travailler sur des sujets en accord avec notre conscience. Les discours creux, je ne peux plus les supporter », conclut celui qui cherche toujours à se réinventer et à explorer un monde meilleur pour sa descendance.