Entre les mains d’Avi Harroch, les lunettes deviennent des objets d’art
Près de Toulouse, dans le centre-ville de Blagnac, non loin de la mairie, une petite devanture attire le regard. De drôles de binocles, aux couleurs flashy et aux formes peu conventionnelles, sont exposés là fièrement, attendant de trouver leur futur propriétaire. Derrière ces créations, un homme aux lunettes asymétriques : Avi Harroch. Celui qui se revendique à la fois comme artisan et artiste a ouvert son magasin Actuel Regard il y a une vingtaine d’années. Un lieu intimiste et chaleureux à son image dans lequel il vend des modèles de designer ainsi que ses propres réalisations qu’il crée dans son arrière-boutique, transformée en atelier.
Comme tout passionné qui se respecte, le quadragénaire peut passer des heures à parler de son métier. Un paradoxe pour celui qui n’avait ni l’envie ni l’ambition de devenir opticien : « Pour tout dire, je n’étais pas franchement enchanté de rester dans un magasin à vendre des lunettes », lâche l’intéressé. Le déclic, Avi Harroch l’a eu après l’échec de ses études de médecine. Contraint de se réorienter, il choisit l’orthoptie, une matière « que j’avais beaucoup aimée pendant mes deux premières années d’études. Cela m’a conduit à un BTS opticien lunettier à Paris, pour finir par un diplôme universitaire (DU). »
De la médecine à l’optique
Pas encore diplômé, celui qui souhaite faire ses armes auprès des meilleurs, intègre la célèbre enseigne toulousaine Anne et Valentin pour sa dernière année universitaire. L’occasion pour lui de renforcer ses connaissances en vente et en façonnage : « J’ai appris une grande partie du métier au fils de mes différentes expériences professionnelles. Chez les créateurs toulousains, j’ai notamment compris comment vendre des produits de designers haut de gamme. J’ai aussi beaucoup observé la manière dont les équipes fabriquaient les lunettes. »
Fort de ses multiples expériences, tant dans la contactologie (à savoir les lentilles de contact) que dans la vente directe au sein de grandes enseignes, Avi Harroch décide de se lancer à son compte en 2006 avec l’ouverture d’une première boutique dans le centre-ville de Blagnac. « Je ressentais le besoin de faire les choses par moi-même et une opportunité s’est présentée. » Quinze jours après la fin de son contrat chez Anne et Valentin, celui qui n’a que 29 ans saute le pas avec une stratégie bien précise : s’éloigner de l’offre habituelle vue et revue. Comment ? En mettant notamment en avant des designers et artisans plus confidentiels comme la marque toulousaine La Brique et la Violette. Et en misant sur ses propres créations.
« Il n’y a malheureusement pas de manuel pour devenir entrepreneur. J’ai fait pas mal d’erreurs au début, notamment concernant la localisation du magasin ou encore la gestion des stocks. Mais cela m’a permis d’apprendre et d’être mieux préparé lorsque j’ai changé de local en 2015, toujours dans la même rue mais cette fois plus visible des passants. »
La qualité, rien que la qualité
Avi Harroch, qui revendique un chiffre d’affaires annuel « entre 230 K€ et 400 K€ », jouit aujourd’hui d’une large clientèle à la recherche de montures tout sauf classiques à l’image de celles qu’il fabrique.
L’opticien crée en effet des modèles de prêt-à-porter et, depuis 2017, propose des lunettes sur-mesure qu’il confectionne à la main. « En moyenne, il faut compter entre 30 et 40 heures de travail pour une monture artisanale, contre 20 heures avec la machine à commande numérique. Par an, je fabrique une quarantaine de paires en prêt-à-porter et environ quatre ou cinq paires sur-mesure. »
Obsédé par la qualité, l’entrepreneur toulousain a fait le choix de l’acétate comme matière première. Aussi appelée soie artificielle, cette fibre naturelle et vivante est composée à 95 % de fleur de coton ou de pulpe de bois. Une matière noble qu’il achète auprès de fournisseurs français et italiens. Les verres aussi sont produits dans l’Hexagone ou en Suisse. « Pour une paire de prêt-à-porter, il faut compter entre 200 et 300 €, et pour du sur-mesure, c’est au minimum 400 €, détaille-t-il. Cela peut paraître cher par rapport aux prix pratiqués par les grandes enseignes, mais c’est représentatif de la qualité, de la singularité et du temps de travail que je consacre à chaque pièce. »
Bientôt une première collection ?
Ce lunettier pas comme les autres travaille seul, mais a à cœur de transmettre son savoir-faire. C’est pourquoi il forme régulièrement des apprentis. « C’est d’ailleurs l’une d’entre elles qui m’a suggéré de participer au concours d’envergure nationale Delabre, du nom de l’opticien lunettier Daniel Delabre, sacré Meilleur Ouvrier de France. Destiné à l’origine aux élèves des plus grandes écoles d’optique en France, le concours a été ouvert pour la première fois cette année aux professionnels. J’ai donc tenté ma chance. »
Ne disposant que de cinq mois pour concourir, Avi Harroch a fabriqué une monture inspirée de l’univers de Goldorak, un clin d’œil à son enfance. Entre collages et inserts translucides, c’est la technicité de sa création qui lui a valu de remporter le premier prix. « Il m’a fallu presque 150 heures de travail, et j’ai envoyé ma création quelques jours avant la date butoir sans trop y croire », la faute confie l’intéressé à « un syndrome de l’imposteur ».
Et alors que son entourage et certains de ses pairs le poussent à tenter sa chance au concours du Meilleur Ouvrier de France, le quadragénaire a d’autres priorités : « Je ne fais les choses que si j’en ai vraiment envie. Pour l’instant, je souhaite me concentrer sur la création de ma propre collection. Pour le reste, on verra bien ! »