Éric Fabre aime jouer avec les formes et faire vibrer les couleurs. Mais sur la palette du Toulousain pas de pigments : juste… des fruits et des légumes. Et de fait, les tableaux qu’il compose vous donnent immédiatement l’eau à la bouche. Rien d’étonnant à cela : Éric Fabre est Meilleur ouvrier de France (MOF) primeur. Un métier auquel ce professionnel très engagé a largement contribué à rendre ses lettres de noblesse.
On doit en effet au président adjoint de la Fédération Saveurs Commerce et président de l’Union des métiers alimentaires de proximité (Umap) la création en 2018 du CAP primeur. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’existait jusque-là pas de formation reconnue à ce très vieux métier de bouche. Un métier concurrencé par la grande distribution et les réseaux multifrais mais qui, avec des consommateurs qui plébiscitent les circuits courts et le bien manger, a plus que jamais sa place au cœur de nos villes.
Nous sommes petits par rapport à la GMS. Mais c’est nous qui donnons la visibilité aux fruits et légumes frais de qualité, via nos magasins spécialistes, les marchés de plein-vent, les halles couvertes », rappelle Éric Fabre.
Le quinqua est installé depuis peu dans les entrailles du Grand Marché MIN de Toulouse, dans les locaux de son partenaire RV Primeur. Le MOF y explore une nouvelle facette de son métier : après avoir longtemps dirigé son propre magasin à Muret, il propose en effet désormais à une clientèle d’entreprises, de collectivités et de particuliers, des buffets dînatoires colorés et savoureux à base exclusivement de fruits et légumes frais.
Une proposition originale bien dans l’air du temps et des recommandations de Santé publique France de manger au moins cinq fruits et légumes par jour. Son credo ? « Faire manger les gens autrement ». Comment ? En mettant en scène les fruits et légumes, en théâtralisant un étal, en racontant une histoire autour du produit. Un savoir-faire qui, selon ce fils et petit-fils de primeurs installés à Muret, tient en trois mots :
Saisonnalité, proximité et goût. Et là, on a tout bon ! L’idée, c’est de se faire plaisir, ce n’est pas une punition de manger des fruits et légumes »
De père en fils
Troisième génération à perpétuer la tradition professionnelle familiale, Éric Fabre évoque volontiers ce métier de lève-tôt et ce père parti trop tôt, alors qu’il avait tout juste 15 ans, qui se rendait régulièrement à Châteaurenard ou Perpignan pour chercher les bons produits.
« Et lorsqu’il était de retour au cœur de la nuit, on nous réveillait pour décharger le camion. Tous les soirs on rentrait l’étalage, tous les matins, avant d’aller à l’école, on sortait l’étalage… C’était une contrainte, mais on le faisait parce que cela faisait partie de la règle de vie de la famille », se souvient-il.
Après des études de comptabilité, Éric Fabre rejoint le magasin familial qu’il modernise. « J’avais déjà envie d’aller au contact des clients, vers la création d’étalage, de mettre en scène le produit », détaille-t-il. Le magasin s’agrandit, compte jusqu’à une dizaine de salariés.
En 2007, le commerçant décide pourtant de voler de ses propres ailes « pour créer une boutique qui me ressemblerait vraiment », assure-t-il. Ce sera le Fruitier du Barry, toujours à Muret, où il peut tout à loisir, sélectionner ses produits auprès de producteurs de la région, les théâtraliser, etc.
Le professionnel participe à ses premiers concours, notamment au Sirha de Lyon, et gagne des prix. « Cette manière de valoriser les produits plaisait beaucoup aux clients », assure Éric Fabre. Et d’ajouter :
Le métier de primeur, ça ne se résume pas à un cageot de carotte ou une caisse de patates, c’est aussi la connaissance du produit, la relation avec les producteurs, des idées de recettes. C’est aussi raconter une histoire, de l’humain, du conseil. ça avait du sens. »
Un savoir-faire dispensé désormais dans une quarantaine de CFA partout en France.
Dix ans plus tard, en septembre 2017, Éric Fabre participe à la sélection du Meilleur ouvrier de France, à Sélestat. Il figure parmi les huit présélectionnés sur 37 candidats. Le professionnel prend les conseils d’un coach, pratique la relaxation, fait des exercices de respiration… « J’ai préparé le concours comme une épreuve sportive », s’amuse-t-il.
La finale a lieu un an plus tard, et se déroule, grâce à Maguelone Pontier, la directrice du Grand Marché, sur le carreau des producteurs, au MIN de Toulouse. Cette année-là, Éric Fabre comme trois autres lauréats, devient MOF. A lui les honneurs et la célébrité avec remise des insignes à la Sorbonne puis à l’Elysée. Il fait le 13 heures de TFI et une émission sur France 3. « C’était une énorme fierté pour moi, fils de primeur, mais aussi un bel aboutissement. » Un vrai booster aussi côté chiffre d’affaires.
En 2022, Éric Fabre décide de tourner la page. « Je donnais des cours au CFA de Blagnac depuis 2019, et j’étais de plus en plus sollicité pour de la représentation, des master classes, des prestation de buffets dînatoires pour des événement d’entreprises ou d’institutions, du consulting, par exemple pour des producteurs de melons à Moissac en Tarn-et-Garonne, et j’étais de moins en moins présent au magasin ».
Le primeur revend sa boutique à un ancien salarié, très heureux de pouvoir la confier entre de bonnes mains.
Aujourd’hui, installé au Grand Marché, il profite de la richesse du MIN, ce qui ne l’empêche pas de garder le lien avec ses « petits producteurs d’Occitanie. Je ne les oublie pas, je vais souvent les voir pour les encourager. C’est un vrai métier, les fruits et légumes, ça ne pousse pas tout seul ! »
Son nouveau combat ? Avec l’Umap, il milite pour la reconnaissance du caractère artisanal du métier de primeur. « Nous sommes un des derniers métiers de bouche à ne pas être reconnu comme artisan. Or, en tant que primeur, on sélectionne, on affine, on transforme, on théâtralise, on conseille : c’est bien plus que de la vente. C’est un métier qui s’apprend », plaide Éric Fabre.