Dire qu’il ne perd pas de temps est un euphémisme – et ce même pendant l’entretien où ses paroles fusent plus vite que sa pensée. Il est le personnage de L’homme à la spatule, et aux lunettes noires et blanches, aux côtés de son acolyte et ami des bancs de l’école, Guillaume Corona. Rappelez-vous des vidéos culinaires gourmandes et toquées visionnées des milliers de fois sur Youtube et Facebook, notamment remarquées par Olivier Gueret, le fondateur de l’enseigne TOC spécialisée en cuisine, et la chaîne locale toulousaine TLT, parmi d’autres. Mais ne garder que cette vision de ce brun charmeur qui carbure depuis des années à l’adrénaline des « coups de feu » et à la passion de la créativité culinaire décalée, serait bien réducteur.
Le chef Fabrice Mignot, qui depuis ses jeunes années, n’est pas avare de bouffonneries et aime amuser la galerie, est tour à tour créateur de contenus pour l’agence Spatule Food Content auparavant Spatule Food – qu’il a cofondée en 2011 –, auteur multirécidiviste, chef d’orchestre des restaurants éphémères Biquet Plage à Leucate et Nudisme Interdit au Cap d’Agde et… chroniqueur sur France 5 dans La Quotidienne et depuis septembre pour l’émission Vous êtes formidables sur France 3. Un CV à rallonge dont la dernière ligne n’est pas encore écrite. Pourtant, ce succès était loin d’être gagné pour ce dernier de la classe à répétition jusqu’en 3e.
Le goût des bons produits
À tel point que lorsque ses parents sont convoqués au lycée professionnel hôtelier Quercy - Périgord à Souillac – connu pour sa rudesse à l’époque – dans lequel l’adolescent suit un CAP qui « a conditionné sa trajectoire », ils peinent à croire les félicitations de la part de ses professeurs, « eux qui partaient généralement toujours en pleurant d’une convocation », se souvient Fabrice Mignot. « Mon père répétait en boucle : “Vous vous trompez, vous ne parlez pas de mon fils !” ». C’est donc à l’âge de 15 ans que le cadet de la famille hyperactif se révèle, loin du microcosme de Sousceyrac, petit village de 800 âmes, aux confins du Lot et du Cantal où il a grandi, au grand air, entouré de verdure et de ses camarades. « J’ai choisi d’être en pension, car j’étais conscient que je devais quitter ce village. J’ai reçu le cadre qu’il me fallait pour devenir celui je suis aujourd’hui », souligne le trentenaire, né d’une mère aide-soignante et d’un père chef de cuisine et pompier.
Plus doué de ses mains, à l’époque, ce grand amateur de cabanes dans les bois et sapeur-pompier junior, a pourtant opté pour la restauration par défaut. Le parcours de son père n’est pour rien dans son choix, assure celui qui porte la toque. « Après avoir tenu un restaurant, il cuisinait des produits frais pour une maison de retraite, ce qui faisait la fierté du village. À cette époque, des structures de restauration collective telles que Sodexo n’existaient pas. Mais dire qu’il m’a transmis sa passion serait mentir. Il travaillait, d’arrache-pied, autant que ma mère. Si cuisiner avec lui ne fait pas partie de mes souvenirs, il m’a cependant donné le goût des bons produits, dont je suis un fervent défenseur, et des fruits de mer. Je me souviens de ces moments à la maison ou pendant les vacances… Les gens s’émerveillaient en voyant ce petit garçon qui dévorait des escargots, des huîtres, des mollusques, choses dont les enfants ne raffolent généralement pas. Et aujourd’hui, je pourrais faire des kilomètres pour des huîtres. »
Se faire une place
Il se souvient surtout de la salade d’échalotes au vinaigre de sa mère, sa madeleine de Proust, « qu’il ne fallait pas manger seule, mais j’adorais ça ! c’est sûrement ce qui explique aujourd’hui ma tendance à relever mes plats avec de l’acidité et du piquant ». Pour se faire une place dans cet univers assez fermé et strict, l’un des plus jeunes de la promo a du batailler fort, face à ses pairs et à des élèves plus âgés, avant de s’apercevoir que bien qu’il répétait les gestes et les techniques avec brio et reproduisait des recettes à la perfection, il était cependant « incapable d’innover. En effet, la créativité, le fait de casser les codes de la gastronomie française ne faisait pas partie de la formation, excepté pour un professeur qui en a fait sa spécialité et m’a poussé dans mes retranchements. »
« Pour l’inspiration, ce sont souvent les couleurs qui me font imaginer une recette. Si les couleurs fonctionnent, les produits se marient ensemble. »
Moins de cran et de talent se seraient épuisés devant les écueils de l’apprentissage. S’ensuit alors un BEP, un Bac, un BTS, une licence et un master en management des métiers de l’hôtellerie-restauration. Entretemps, il fait ses classes aux côtés de Michel Roux – aujourd’hui décédé, au Waterside Inn situé dans le Berkshire en Angleterre, un trois-étoiles Michelin, 15e meilleur restaurant au monde. Il rejoint également l’hôtel Hermitage Monte-Carlo dans l’écrin doré de Monaco et, plus tard, la capitale au sein du siège de Sodexo « pour voir comment fonctionne un grand groupe ». Des expériences hétéroclites qui aiguisent son mental et un véritable changement de décor pour ce gamin de la campagne profonde française.
Si le terme « ouvrier » fait davantage partie de sa culture, lui qui est issu d’une famille modeste, ne se voyant ainsi pas comme « patron », la suite lui a donné tort. En plus du tablier de chef cuisinier, il endosse le costume de chef d’entreprise grâce à son ami et fidèle associé Guillaume Corona qui le persuade de se lancer dans l’aventure. Aujourd’hui, il a sous ses ordres près de 80 collaborateurs. Cette spirale entrepreneuriale a d’ailleurs démarré en même temps que sa vie étudiante. « Des émissions comme Top Chef, Master Chef nous faisaient hurler de rire. Ses amateurs qui étaient prêts à tout plaquer pour cuisiner alors qu’ils rataient une quiche… Du coup, nous avons fait le pari de parodier ces émissions, de prendre le contre-pied en mettant en avant un chef marrant, qui ne se prenait pas au sérieux avec L’homme à la spatule.
C’était aussi une façon pour moi de montrer mon côté théâtral, une activité que je lorgnais mais qui ne se faisait pas vraiment dans le village d’où je venais. Cette idée a plu et nous avons signé avec TLT, 50 émissions et un documentaire de 13 minutes pour rendre visite à des chefs et restaurateurs. Le tout, en parallèle de l’école. » Un enchaînement passionnant et un rythme souvent infernal. « On ne s’est jamais arrêtés de travailler. C’est à ce moment-là que nous avons dédié notre vie à notre métier même si on se faisait du mal. » Après la mission grisante de présentateur, une nouvelle page encore plus excitante s’écrit en 2011, avec le lancement de Spatule Prod, une agence spécialisée dans la communication et l’événementiel des métiers de bouche, une des premières dans l’Hexagone.
Une agence qui ne connaît pas la crise
« On sentait que les restaurateurs auraient besoin de communiquer sur les réseaux sociaux et d’accroître leur visibilité sur la toile. Nous étions un peu en avance sur ce coup-là, avant que cela ne devienne un réel engouement. Au départ, les chefs ne nous prenaient pas au sérieux, pensant que c’était réservé à une population plus jeune. Mais, nous avons persisté dans notre idée car nous savions qu’ils changeraient d’avis », explique Fabrice Mignot. Le duo ne s’est pas trompé. « Grâce à l’expérience forgée à TLT et l’essor du digital, nous avons développé notre expertise pour coller aux besoins des restaurateurs. Le chef étoilé de l’Amphitryon, Yannick Delpech a été l’un des tout premiers chefs à nous faire confiance. Et puis, nous avons travaillé pour différents chefs qui se concurrençaient, c’était devenu trop compliqué, on s’essoufflait dans les idées. »
« Il a fallu s’adapter à une clientèle touristique différente, composée davantage de familles »
L’agence s’oriente alors davantage vers l’institutionnel avec des campagnes lancées par le gouvernement, mais aussi des marques agroalimentaires, des festivals culinaires, des agences événementielles, de grands comptes, etc. « Notre force se trouve dans la création de contenus. Dès le début, nous avons toujours pensé qu’il valait mieux être du métier de la restauration, connaître les produits, le fonctionnement, savoir parler à un chef et s’entourer de techniciens de la com, plutôt que l’inverse, à savoir des communicants qui parlent de choses qu’ils méconnaissent ». Résultat, dix ans après sa création, l’agence qui a changé de nom, ne connaît pas la crise, même en temps de pandémie. « Même si certains restaurants que nous suivions étaient fermés, toutes les marques ont souhaité renforcer leur communication sur les réseaux sociaux. »
Forte d’une équipe de sept collaborateurs – tous spécialisés – l’agence prévoit un CA de 900 K€ en 2021. Quand Fabrice Mignot, fortement inspiré par la carrière de Cyril Lygnac, n’est pas dans l’agence à chapeauter son équipe ou à créer des recettes, également pour « les chaînes de TV pour lesquelles je reste plutôt libre, même si je dois les faire valider par la production, question de facilité pour le spectateur », on le retrouve aux fourneaux et en salle dans l’un de ses deux restaurants du bord de mer. Son bébé et son labo d’idées, il ne le cache pas, c’est incontestablement Biquet Plage, un établissement semi-gastro avec une cuisine raffinée au feu de bois et un esprit festif.
S’adapter à la clientèle touristique
« C’était le père d’un de mes camarades de classe qui le tenait. Nous y avons fait, Guillaume et moi, une saison et nous sommes tombés amoureux de ce coin encore sauvage. Nous avons alors commencé par booster la communication de cet établissement et faire déplacer les foules avant de racheter une partie des parts. C’est aujourd’hui là où je donne le plus de cœur et d’âme », confie-t-il. Désormais, grands chefs et personnalités, mais aussi amateurs régionaux se pressent pour avoir une table au soleil. Avec son compatriote, il a ainsi bousculé la restauration de plage sur le littoral languedocien. Car après avoir appliqué son savoir-faire dans ce restaurant qui affiche 500 à 600 couverts par jours, le duo a repris en 2020, et à la demande du maire, une concession de restaurant en perte de vitesse au Cap-d’Agde totalement transformée et baptisée Nudisme interdit. Le concept est quasiment le même : une bistronomie les pieds dans le sable et des recettes quasi semblables à celles de Biquet Plage.
Pourtant, pointe-t-il, « il a fallu s’adapter à une clientèle touristique différente, composée davantage de familles ». Défi relevé haut la main avec salle comble, soit en moyenne 400 couverts quotidiens et un CA qui devrait franchir le million en 2021. Et la chance lui sourit, inconditionnellement. « Quand les restaurants ont eu l’autorisation de rouvrir après les fermetures imposées par le gouvernement, c’est à ce moment-là que nous commencions notre saison habituelle ». Fabrice Mignot ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, il garde l’œil rivé sur Toulouse. « Plutôt que de faire grossir les restaurants, nous souhaitons avec mon associé développer ce concept de restaurants éphémères – comprenez en fonction de la saisonnalité. » Lui, qui aujourd’hui ne pourrait plus se passer de l’air iodé, qui surfe dès qu’il en a l’occasion et qui a notamment acheté une maison avec sa compagne près de son restaurant de cœur, a un autre rêve : ouvrir un restaurant chic de poissons car « de très bons, il en existe peu ».
En attendant, il s’apprête à publier son troisième livre (après Cuisine ta mère sorti en 2018, destiné aux étudiants, et Eatinéraire en 2019) J’adore cette recette, une compilation des recettes diffusées sur France 5 dont le titre est tiré d’une habitude de langage. À la question de savoir si son inspiration ne s’épuise pas, à force de multiplier les recettes, soit plus de 500 par an, à travers sa palette d’activités, il sourit. « Non, et au contraire. Lorsqu’on découvre une nouvelle recette ou une nouvelle culture culinaire, comme la cuisine libanaise pour laquelle j’écume tous les restaurants, on s’ouvre à un nouveau monde. » Il avoue cependant que la page blanche survient parfois, avant de conclure. « Pour l’inspiration, ce sont souvent les couleurs qui me font imaginer une recette. Si les couleurs fonctionnent, les produits se marient ensemble. » Décalé, c’est bien ce qui définit celui qui aimerait réaliser des reportages au quatre coins du monde.