Éleveur, restaurateur et chef d’entreprise, le directeur général de la Maison Lacube, béret vissé sur la tête, n’hésite pas à se mettre en scène. Qu’il s’agisse de faire la réclame pour un barbecue géant sur le Plateau de Beille organisé en plein cœur de l’été, de recruter du personnel pour le nouveau restaurant qui vient d’ouvrir sur le premier site nordique des Pyrénées ou encore d’inviter l’animateur d’Échappées Belles, Jérôme Pitorin, à l’accompagner lors de la montée à l’estive de ses gasconnes des Pyrénées, l’ariégeois Jason Lacube sait partager sa passion. Le trentenaire voue un amour inconditionnel pour « une culture, un patrimoine, un territoire ».
Celui où il a grandi , au village des Cabannes, entre Tarascon et Ax-les-Thermes, au pied du fameux Plateau de Beille où la Communauté de communes de la Haute-Ariège vient d’investir 8 M€ dans la construction d’un nouveau bâtiment labellisé NoWatt et Bâtiment Durable d’Occitanie. Situées à 1 800 m d’altitude, au cœur d’un magnifique panorama, les nouvelles installations ont rouvert début décembre. C’est au terme d’un appel d’offres public, que la Maison Lacube a été retenue pour exploiter la partie restauration du site.
Une entreprise étendue sur plusieurs générations
Un projet « porteur de sens » pour le jeune éleveur, qui écrit, ce faisant, une nouvelle page de la saga familiale. Jason Lacube est en effet issu d’une famille d’agriculteurs, installée dans cette vallée depuis plusieurs décennies. « Après avoir suivi une formation agricole, mes parents, avant de s’installer, ont fait de l’humanitaire, dans le cadre d’une ONG agricole, au Pérou et surtout en Bolivie, détaille Jason Lacube. Au retour, ils se sont installés entre copains, dans les Hautes-Pyrénées, mais mon père a eu la volonté de revenir dans la vallée où il était né. »
Les parents de Jason Lacube reprennent en1994 la ferme d’un grand-oncle et élèvent des gasconnes des Pyrénées, une race bovine particulièrement bien adaptée à la rudesse de ce territoire de montagne.
« Mais très rapidement, mes parents ont eu la volonté de sortir des circuits traditionnels de distribution et fait de la vente directe à la ferme ce qui, à l’époque, était très novateur »,poursuit Jason Lacube. Juste à côté de la maison familiale du village des Cabannes, qui abrite aujourd’hui le restaurant, le couple transforme un garage en petit magasin pour vendre les produits de la ferme. « Avec un frigo de cuisine et quatre étagères, rien de plus. Les gens venaient chercher la viande et les canards gras qu’on faisait encore à l’époque. » Très rapidement aussi, le couple développe la vente par correspondance, les livraisons jusqu’à Toulouse, Bordeaux ou Nantes. « En 1996, c’était aussi assez innovant. »
Très vite enfin vient l’idée de faire des activités à la ferme, « ce qu’on appelle aujourd’hui l’agritourisme, avec des visites de la ferme ou des montées à l’estive, des dégustations, des repas, etc. »
Au fil du temps, l’espace de vente s’agrandit, pour devenir un véritable magasin. Des gîtes voient le jour, ainsi qu’un deuxième magasin à Ax-les-Thermes , aujourd’hui revendu. En 2012, le père de Jason, Philippe Lacube, crée le restaurant fermier, « aux Cabannes, dans la maison familiale où six générations se sont succédé. » L’idée du restaurant s’est imposée, elle aussi, assez naturellement.
« Depuis les années 2000, nous avions développé une petite activité de traiteur pour certains événements festifs comme les foires agricoles, le passage du Tour de France. »
« On voyait que quand les éleveurs que nous sommes, faisaient à manger en direct, ça plaisait beaucoup, ça avait du sens. Le restaurant est né comme ça ! », s’amuse Jason Lacube.
Quatre ans plus tard, ce dernier rejoint l’aventure familiale. « J’ai toujours su que je travaillerais dans cette vallée, j’y suis très attaché, ainsi qu’à l’Ariège, aux Pyrénées », résume Jason Lacube. L’étudiant suit « un parcours de formation peu classique ». À l’issue d’une licence professionnelle Entreprises et développement local, il entreprend un master en commerce.
« Pour reprendre la structure familiale, je pensais qu’avoir des bases en commerce un peu sérieuses serait un atout », explique-t-il. En même temps que son MBA, le montagnard suit aussi une formation agricole.
« Parce que les agriculteurs nourrissent ce pays et le monde, je trouve que c’est un beau métier, un métier qui a du sens. Un métier très contemporain, ajoute-t-il. Faire ce métier tel qu’on le pratique ici, et ensuite valoriser nos produits sur le territoire, cela a en effet beaucoup de sens et, qui plus est, le faire avec des amis d’enfance et mon frère (Mael, qui gère le restaurant du Plateau de Beille, NDLR), c’est sympa ! ». Jason Lacube s’installe ainsi en 2016 avec un ami d’enfance, Fabien Lapeyre, qui ajoute aux vaches gasconnes, un élevage de porcs noirs gascons.
Un projet qui prend de l’envergure
Le magasin des Cabannes s’agrandit. « Au magasin et sur la carte, nous travaillons en permanence avec 40 à 50 producteurs du département : depuis les boissons (vins, bières, apéritifs, limonades, jus de fruits) en passant par les confitures, le miel, les biscuits, les bonbons, le fromage, le beurre, la crème, jusqu’aux huiles, vinaigres, sauces, canards gras, viandes, etc. Nous avons la chance d’être sur un territoire très varié avec des zones de montagne, des coteaux, des plaines, des zones sèches, d’autres humides, etc. Nous avons donc une multitude de produits, c’est ce qui fait la richesse du territoire. Au restaurant, 80 % des produits de la carte sont ariégeois. 15 autres pourcents sont pyrénéens et les cinq pourcents qui manquent, ce sont des denrées qu’on ne produit pas ici comme les épices. »
Car au-delà des produits, « l’idée est de valoriser une culture, les gens qui vivent sur ce territoire, leur travail. C’est la traduction de mon attachement à cette vallée. » Prônant le « manger local » et les circuits courts, la Maison Lacube a réussi son pari.
« Lorsque mon père a créé le restaurant en 2012, nous pensions que le produit allait surtout marcher auprès de la clientèle touristique. Il est en effet toujours difficile d’être prophète en son pays, et de fait, pendant la saison touristique, c’est clairement cette population qui fréquente le restaurant, ainsi qu’une clientèle venue de la Haute Garonne et de Toulouse, parce qu’on n’est pas loin du tout. Mais à notre grande satisfaction, lorsque la saison est plus creuse, on reçoit beaucoup d’Ariégeois. Cela a été pour nous une belle surprise parce qu’au début, se posait clairement la question d’ouvrir un restaurant saisonnier ou à l’année. Dans nos coins de montagne, des restaurants saisonniers, il y en a en effet beaucoup. Cela aurait été la solution la plus rentable ou du moins la plus facile sur le plan économique. Ce n’est pas le choix que nous avons fait parce que nous avons essayé de fixer les familles. Sur la trentaine de salariés, nous avons une vingtaine de CDI. C’est autant d’enfants dans les écoles, des conjoints ou conjointes qui travaillent dans le coin. C’est important dans une zone rurale d’avoir de l’activité à l’année. »
Une planification approfondie pour se protéger des difficultés à venir
Heureux à la tête de sa petite entreprise, Jason Lacube n’en méconnaît pas pour autant les difficultés. Et entre la hausse de l’inflation et la flambée des prix de l’énergie, les sujets d’inquiétude sont nombreux pour le restaurateur. Face au risque de voir sa facture d’énergie multipliée par 10 au printemps prochain, ce dernier s’interroge en effet sur la meilleure manière de faire évoluer sa carte : « On va devoir s’adapter, faire autrement ». Car prévient-il, « cette crise énergétique, pour la profession de restaurateur, pourrait être pire que la Covid. Idem pour les artisans qui ont de gros besoins énergétiques. » Le dérèglement climatique est une autre source de préoccupation pour l’éleveur.
« Avec la sécheresse qu’on a connue cet été, nous avons eu de grosses difficultés pour nourrir nos animaux. Nous avons dû acheter des aliments. Dans les années futures, si nous revivons une calamité identique, le monde agricole français va lui aussi devoir rapidement s’adapter. Ça aussi, ça nous conduit à nous interroger. Il va falloir vite réfléchir à d’autres modèles, d’ailleurs on le fait déjà. Le modèle agricole de montagne transhumant que nous pratiquons est calqué sur les saisons, sur ce que peut nous donner la nature. Si ça, ça change, nous allons devoir nous adapter. Et là aussi on ne peut pas faire l’autruche : diriger, c’est anticiper. Nous devons y faire attention. »
Aujourd’hui, pleinement mobilisé par la réussite du restaurant du Plateau de Beille, Jason Lacube reste confiant en l’avenir. « On vient de passer deux années de Covid, un an ou quasiment de guerre en Ukraine, ce n’est pas la meilleure période pour entreprendre. Mais si on arrête tout du jour au lendemain, on est cuit ! Je pense qu’il y a encore de quoi faire. En revanche, il faut bien tenir compte de ce qui nous entoure et de ce qu’il se passe. Les équilibres sont plus fragiles qu’avant », assure t-il.
Et Jason Lacube de conclure : « Nous allons nous attacher à bien gérer ce nouvel outil, laisser passer un peu la tempête, voir comment se passe 2023, et après je pense qu’il y aura d’autres projets. Il en faut, c’est notre moteur, c’est ce qu’on aime faire. »