Toucher le ciel, voire même décrocher quelques étoiles au passage, c’est la trajectoire qu’a fermement suivie Joëlle Barthe-Heusse, depuis qu’elle a eu la chance d’observer un cockpit à neuf ans alors qu’elle voyageait seule en qualité de passager UM pour se rendre chez son grand-père aux États- Unis. Une expérience « fantastique » pour la petite fille, et un véritable déclic qui la poussera une décennie plus tard à fendre l’horizon et à être, au fil d’une belle carrière, au plus près des avions côté opérationnel et technique. Aujourd’hui, en parallèle de son poste de gestion de projet en charge des coûts et des planifications (New Avionics) au sein du toulousain Airbus, la quadra porte également la casquette de déléguée régionale Midi-Pyrénées de l’association Elles Bougent, qui vise à susciter, chez les jeunes filles, des vocations dans les secteurs technologiques et scientifiques et qui a célébré fin août ses 10 bougies, en présence de Nadia Pellefigue, vice-présidente de la Région Occitanie.
En 2016, alors expatriée en Russie avec mari et enfants, cette airbusienne se rapproche de l’association en tant que marraine avec l’envie de « partager mon expérience, de témoigner, d’être utile, de montrer à des jeunes filles qu’il y a plein de métiers qui sont auréolés d’idées reçues alors qu’elles peuvent y avoir accès. Contrairement à mes camarades, j’ai su très jeune ce que je voulais faire et cela a été une chance de ne pas avoir de frein et de ne pas entendre des discours stéréotypés ». L’association est née d’un constat, à savoir la sous-représentation de femmes dans l’industrie alors que beaucoup de jeunes filles choisissent des filières scientifiques au bac. De fait, les femmes dans les écoles d’ingénieurs représentent 28% des étudiants, un nombre qui stagne depuis 10 ans.
« L’important est de trouver sa voie et ne pas s’arrêter aux considérations genrées. Sans accuser un important retard par rapport à des voisins, la France n’est pas pour autant en avance sur ce sujet, explique Joëlle Barthe-Heusse. Mon fils, qui a 10 ans, a une maman motarde, pilote d’avion, etc., mais pour lui, ce n’est pas pour les filles, même si je tente de lui démontrer le contraire. C’est pour cette raison que c’est important pour moi de faire passer le message, surtout auprès des filles qui ont tendance à se bloquer elles-mêmes », explique-t-elle. Démystifier les études et les métiers d’ingénieur, faire tomber les préjugés, faire connaître la multiplicité des carrières dans l’aéronautique, le spatial, le ferroviaire, etc., et introduire la mixité au sein des organisations, tels sont ainsi les défis de l’association, qui, depuis sa création en 2005 – à l’initiative de Marie-Sophie Pawlak, alors directrice des relations extérieures d’une école d’ingénieurs – compte aujourd’hui plus de 22 délégations régionales, plus une délégation en Espagne, au Maroc et en Belgique. Bien que cette mère de famille soit davantage une femme de terrain, elle a souhaité être plus active dans l’association.
La vocation de l’aéronautique
« Être marraine me manque un peu, mais désormais je peux apporter plus, puisqu’aux côtés de Sophie Coppin, je mets en place les témoignages, je participe à la gestion des partenariats avec les entreprises, j’organise des événements – ils sont nombreux, que ce soit des conférences, des interventions dans des écoles, etc. » Joëlle Barthe-Heusse fait partie de ces femmes qui n’ont pas froid aux yeux. Native de Dreux, dans le département d’Eure-et-Loir, elle passe, après des déménagements successifs, presque une décennie à tutoyer les hauteurs de Haute-Savoie une partie de l’année, et les camps de vacances américains en période estivale, avec son frère. Née de parents pharmaciens et bien que la plupart des membres de sa famille se passionnent pour la médecine, la jeune fille, quant à elle, penche très jeune pour l’aéronautique. Soutenue dans son choix, le Bac S en poche, elle intègre l’École supérieure des techniques aéronautiques et de construction automobile (Estaca), à Paris.
« L’important est de trouver sa voie et ne pas s’arrêter aux considérations genrées. Sans accuser un important retard par rapport à des voisins, la France n’est pas pour autant en avance sur ce sujet »
« Ce cursus a été conseillé à mes parents et de mon côté, je ne souhaitais pas intégrer une prépa, de peur de ne pas me retrouver là où je voulais être. Cet été-là fut riche d’expériences pour moi. Je me souviens d’ailleurs avoir fini de rédiger ma lettre de motivation pour intégrer l’Estaca, alors que j’étais au Bourget avec mon père. Ce même été, j’ai également commencé mon initiation au planeur. Je travaillais à la chaîne et j’ai payé mes cours de pilotage. » Après cinq années passées à Paris, elle s’envole, dans le cadre d’un échange scolaire pour la Embry-Riddle Aeronautical University à Daytona Beach en Floride.
« Notre école était précurseuse à l’époque et cette expérience m’a beaucoup apporté, non pas tant pour le niveau de l’enseignement, mais plutôt dans la manière de l’aborder. Il y avait beaucoup d’autonomie et de bienveillance à l’américaine, ce que j’ai trouvé particulièrement motivant. Aujourd’hui encore, je m’en inspire pour motiver mes équipes. Dire des choses positives en France surprend souvent mais j’aime personnellement encourager ça, car la reconnaissance engendre l’envie de travailler et de fait, apporte de meilleurs résultats », souligne-t-elle. Lors de ce séjour aux États-Unis, alors âgée de 23 ans, elle en profite également pour passer son brevet de pilote privé. S’ensuit un stage de fin d’études en France chez Dassault, aux essais en vol. « Pour ça, on revient, sourit-elle. Ça ne se refuse pas ! »
Une vie de voyage
Pendant neuf mois, à la base aérienne d’Istres, elle rédige la documentation pilote technique pour le Falcon 900 EX, et côtoie l’aviation de chasse et d’affaire, un microcosme qui la conforte dans son choix. Quelques mois plus tard, elle intègre, à Toulouse, Aeroconseil, un sous-traitant d’Airbus en tant qu’ingénieur pour coordonner les programmes du système de gestion de vol (ou FMS), notamment pour l’A380. « C’était une époque où la sous-traitance était un vivier pour Airbus », pointe-t-elle. Un an et demi après, elle devient ingénieur des opérations aériennes au sein d’Airbus. « Je m’occupais de la documentation pilote et du service après vente auprès des compagnies aériennes pour expliquer comment Airbus utilisait l’avion du point de vue de l’exploitation, des opérations, etc. »
Après quatre années à Toulouse, l’opportunité d’évoluer aux États-Unis se présente. Elle sera la seule ingénieure sur place. « C’était un moment où Airbus décentralisait ses supports pour être au plus près de ses clients. » Très attachée à cette culture américaine, elle embarque son mari photographe et aussi pilote de planeur, dans l’aventure. Après trois années particulièrement riches professionnellement et personnellement, marquées par la naissance de son fils, le couple poursuit ses pérégrinations, cette fois à Moscou. La jeune maman, qui y donnera également naissance à une fille, prend encore du galon, en tant que responsable de l’ensemble des opérateurs Airbus en Russie et dans les pays baltes notamment. Une de ses missions est de s’assurer de la sécurité et de l’efficacité des opérations des avions Airbus. Quid des éventuelles difficultés rencontrées en tant que femme ingénieure dans ce milieu, au fil de ses expériences ?
Des projets et de la hauteur
« Aux États-Unis, cela n’a rien changé car ils ont l’habitude de voir des femmes pilotes et ingénieures. En Russie, je n’ai pas rencontré de réticences mais pour d’autres raisons. Ma position les surprenait mais ils n’émettaient pas de jugement car pour eux, en tant que femme soit on mérite ce poste parce qu’on est un bon élément, soit on en arrive là, parce qu’on est parachuté. » Au bout de quatre ans et demi, le couple repose ses valises en France. Bien que la vie d’expatriés soit derrière eux, tous deux n’excluent pas un jour de repartir vers d’autres contrées, pour élargir de nouveau leurs horizons. « Les États-Unis sont un terrain de jeu incroyable. Quant à la Russie, je la compare à une personnalité de cinéma qu’on aime et déteste à la fois. J’ai un sentiment ambivalent même si j’en retiens une richesse incroyable, des découvertes inoubliables et des amitiés durables », souligne Joëlle Barthe-Heusse.
De retour dans la Ville rose, elle sort de sa zone de confort et s’oriente vers la production notamment pour l’A350 où elle fait l’interface entre les clients et la chaîne d’assemblage, puis prend la tête d’une équipe juste avant le début de la pandémie, « période qui sera professionnellement à la fois passionnante et très difficile. » Aujourd’hui, avec d’autres responsabilités liées à la gestion de projets, elle espère toutefois retrouver un jour une activité plus technique. Cette motarde, qui a donné le virus du voyage à ses enfants, rêve de reprendre de la hauteur à bord d’un planeur, aux côtés de son mari, activité qu’elle a pratiquée pendant plus de 15 ans. « Parfois je rends visite à mes amis en avion, ce qui est génial, mais pour comprendre l’aérodynamisme, être proche de la nature et lire le ciel, il n’y a pas mieux, à mon sens que le planeur ! » explique-t-elle. Des projets et de la hauteur, cette femme dynamique n’a pas fini d’en prendre !