Laurent Bernadac
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Laurent Bernadac

Le bonheur est dans ses cordes.

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Laurent Bernadac (Crédit : 3DVARIUS)

« J’ai toujours rêvé d’être un Guitar Hero ! Mais je ne joue que du violon… » s’excuse presque Laurent Bernadac sur sa chaîne YouTube. Le musicien professionnel qui donnait jusqu’à récemment une cinquantaine de concerts par an, a déjà réalisé plusieurs albums dont un live enregistré en Norvège, et un autre gravé très récemment à Austin au Texas. Comme il aime à le rappeler, le violoniste « développe une nouvelle approche du violon électrique comme un instrument réellement unique ».

Également guitariste et batteur, le Bitterois de 36 ans est aussi ingénieur en mécanique, il est le concepteur et le créateur du 3Dvarius, premier violon électrique entièrement imprimé en 3D. Désormais, Laurent Bernadac partage – presque à regret ! – son temps entre sa pratique musicale, ses concerts, et la gestion de son entreprise. Une structure longtemps basée à Toulouse, qui emploie aujourd’hui cinq personnes, et que son fondateur a rapatriée dans son fief héraultais, durant le confinement.

Apparu sur le marché en 2016, le 3Dvarius, fabriqué sur mesure, en résine par impression 3D, à Colomiers, compte aujourd’hui de prestigieux « ambassadeurs » dont Catherine Lara, Eduardo Bortolotti, Laura Escudé et de nombreux violonistes américains car comme l’explique Laurent Bernadac, c’est essentiellement aux États-Unis que la pratique du violon électrique s’est développée.

C’est là aussi qu’il réalise la majeure partie de ses ventes (40 %). Des ventes qui, malgré les qualités intrinsèques et la beauté de l’instrument, s’opèrent encore presque au compte-gouttes, six ans après la sortie du produit. Légers et intégralement personnalisables par le design et les formes, ces violons transparents, valent 7 000 à 8 000 € pièce. « Ils sont très haut de gamme, reconnaît Laurent Bernadac. Nous n’en vendons que quelques unités par an. » C’est lors d’un stage de troisième année d’école d’ingénieur, que ce diplômé de l’Insa, s’est lancé dans la conception de son premier violon.

L’origine de sa passion

Fils de médecins, petit-fils de viticulteurs, le Biterrois a commencé le violon à cinq ans, poussé par une maman pianiste. Après – ou avant ? – le rugby son autre passion, la musique est la grande affaire de sa vie. Il étudie de violon classique au conservatoire de Béziers, joue dans différents groupes, puis en même que ses études d’ingénieur à l’Insa de Toulouse, rejoint le conservatoire régional en section jazz.

Déjà titulaire du diplôme national supérieur professionnel de musicien (DNSPM), il y obtient une médaille d’or en violon et guitare jazz du conservatoire de Toulouse. Ce n’est donc pas vraiment par hasard si lors de ce stage chez Mercedes à Stuttgart, l’étudiant emploie son temps libre à dessiner un premier violon grâce aux logiciels qu’il a sous la main et à un guide de lutherie piqué à la bibliothèque.

De retour en France, il poursuit son idée de le faire fabriquer en aluminium. Mais les premiers devis l’ont vite refroidi. « De l’ordre de 80 000 €. Je ne les avais pas à l’époque – je ne les ai toujours pas d’ailleurs ! J’ai dû changer d’optique, même si je ne désespère pas d’en fabriquer un, un jour. »

Laurent Bernadac choisit la transparence. Un premier violon sort des mains d’un luthier toulousain, usiné dans un bloc de plexiglas. « Le résultat était à peu près jouable. Le problème est qu’il était extrêmement lourd. Un violon normal pèse entre 500 et 600 grammes et là, on était à plus d’1,2kg ! Je n’y prêtais pas attention au début, et donc j’en ai joué et je me suis retrouvé rapidement avec une tendinite très poussée ! » L’idée d’utiliser l’impression 3D et la résine s’impose peu à peu au créateur, même si la technique est encore chère à l’époque.

Le coût de l’innovation

« Il nous a fallu une dizaine d’essais pour arriver à un modèle fonctionnel », se rappelle-t-il. Tous financés sur fonds propres. Le jeune diplômé qui a travaillé un an chez EDF est devenu ingénieur freelance « pour avoir du temps pour pratiquer la musique et essayer de développer ce projet. Une bonne partie de mes économies est passée dans ces prototypes ».

« Avec le recul, explique-t-il, je ne sais pas si c’était la bonne chose à faire, heureusement que ça a marché ! De manière générale, moi qui m’intéresse à l’entrepreneuriat, je trouve que le grand public minimise totalement les investissements nécessaires. Quelle que soit l’entreprise que l’on souhaite créer, il faut avoir mis de côté et être prêt à perdre 10 000 à 15 000 €. C’est à peu près ce que j’ai mis au départ. »

En 2015, sort donc le premier violon en résine imprimé en 3D. Suit une campagne de précommandes sur Kickstarter, qui permet au fondateur de 3Dvarius désormais associé avec Géraldine Puel, de récolter 53 000 € et de lancer la fabrication de ces merveilles.

Très vite, cependant, Laurent Bernadac décide de développer de nouveaux produits, des violons électriques d’entrée et de milieu de gamme en bois et bois et 3D. Ils sont fabriqués dans l’Aveyron et assemblés aujourd’hui à Béziers. La petite équipe constituée autour du violoniste développe en parallèle toute la chaîne acoustique autour de l’instrument et vend amplis, pédales à effets et présets pour modifier le son.

Le développement de l’équipement

Depuis 2018, le succès est au rendez-vous, le désormais chef d’entreprise et VRP, puisqu’il est le premier ambassadeur de ses produits, a déployé un réseau de ventes outre-Atlantique, en Europe et en Asie. Son objectif désormais ? « D’ici deux à trois ans, nous aimerions couvrir le quatuor complet pour devenir une vraie marque d’instruments électriques, ce qui signifie violon, alto, violoncelle et contrebasse ».

Dans cette logique, un premier pas vient d’être franchi avec le lancement ce printemps d’un premier violoncelle électrique. Il a été présenté en avril au National Association of Music Merchants Show, le plus grand salon professionnel de l’industrie musicale qui se tient chaque année en Californie.

Le début de la gloire ? Pour l’heure, Laurent Bernadac a hâte de se retrouver sur scène. Après deux concerts à Los Angeles dernièrement, il s’envolera vers la Norvège, en septembre pour se produire face au public et pour un enregistrement studio, et vers Shanghai, en octobre, pour sa société. Il est aussi prévu de faire deux ou trois concerts.

« Avant la musique et les concerts représentaient 50 % de mon activité. Aujourd’hui, je suis très occupé à développer ma société mais mon objectif, c’est bien de poursuivre ma carrière, et de jouer avec d’autres artistes », assure le musicien, un tout petit peu frustré quand même de ne pas pouvoir consacrer plus de temps à sa muse.