« Le pain, c’est la vie ! » Le quinqua tarnais Laurent Marti en est tellement convaincu qu’il y a consacré au final plus de 40 ans de la sienne. De fait, c’est (vraiment) très tôt que l’envie de devenir boulanger lui est venue. « Entre cinq et six ans », raconte-t-il. Une envie irrépressible née d’une rencontre avec Joseph Cazenave, boulanger à Ville-neuve-lès-Lavaur, qui deux fois par semaine, livrait le pain aux Marti, une famille d’agriculteurs. Attiré par ce personnage « atypique » et les odeurs qui flottaient dans son camion, le bambin de six ans annonce très sérieusement à ses parents qu’il sera boulanger.
De l’âge de 8 à 16 ans, il passera, tous les ans, un mois de vacances chez Joseph Cazenave à faire du pain. « Je devais plus les embêter que faire du pain, mais je me régalais d’être dans cette boulangerie », reconnaît-il. Cette boulangerie familiale, à la tête de laquelle « Jojo » est la troisième génération, devient une deuxième famille. Au point qu’à 16 ans, sa Troisième terminée, en septembre, il rejoint le fournil pour entrer en apprentissage et ne plus le quitter pendant deux ans. « J’habitais seulement à 15km, mais il n’était pas question que je rentre tous les soirs à la maison. Je voulais être sur place, pour voir l’intégralité de ce qui se passait dans le fournil. » Cette boulangerie de village, « qui fonctionnait surtout en tournée », entretenait « une relation particulière avec sa clientèle, qui n’existe plus aujourd’hui. À l’époque, vous apportiez le pain, buviez un café et repartiez avec des haricots verts », se souvient Laurent Marti.
Son CAP en poche, le Tarnais prend du champ, fait des sauts de puce, d’une boulangerie à l’autre pour, un peu à la manière des Compagnons, voir ce qu’il se fait ailleurs. Il effectue ainsi un mini tour d’Occitanie, d’Albi à Lavaur en passant par Montpellier. L’ouvrier boulanger, « plutôt indépendant », engrange les expériences, acquiert de nouvelles compétences. « Le fonctionnement est très différent d’une boulangerie à l’autre. Même si on a la même matière première, on peut faire des pains totalement différents. L’artisanat, c’est le savoir d’un maître transmis à un autre : plus vous croisez des maîtres plus vous acquérez de l’expérience et des méthodes différentes. »
APPRENDRE ET ENSEIGNER
À 21 ans, Laurent Marti s’accorde une pause. « Le métier de boulanger, explique-t-il, est très contraignant pour un jeune adulte, alors j’ai fait une petite coupure. J’ai repris des études à la fac de Montpellier pour obtenir une capacité en droit. En même temps que je suivais les cours du soir, je travaillais comme serveur pour me payer mes études. J’ai fait d’autres petits boulots, comme salarié agricole, ce qui m’allait bien parce que je travaillais en plein air. J’ai été aussi technicien de vente en surgelés, parce que je voulais voir ce qui se faisait dans ce domaine, voir l’industrie, la concurrence. » Pourquoi une capacité en droit ? « J’aime la politique, les institutions, l’histoire de France. La capacité était intéressante sur ce plan-là. Mais au fond, je n’ai jamais envisagé d’intégrer un Deug. La culture que je n’avais pas acquise au lycée parce que je me suis arrêté avant, je suis allé la chercher là. »
« J’ai voulu créer une boulangerie proche des valeurs de la nature. »
Après cette parenthèse, l’ex-étudiant redevient ouvrier. Le hasard met alors sur sa route un autre personnage qui va compter. « Un restaurateur qui avait une expérience de chef au Canada, et qui ouvrait une boulangerie à Lavaur. Je l’ai rencontré au café et dans la discussion, je lui ai dit que j’étais boulanger. Lui en cherchait justement un. Il m’a proposé de venir voir, ça m’a plu. J’ai travaillé chez lui pendant quatre ans. Cet homme m’a apporté énormément en termes de réflexion sur le personnel, avec sa logique de chef de cuisine habitué à travailler avec des brigades, mais également sur le plan de son investissement personnel dans sa propre entreprise. C’était une nouvelle expérience, très différente de celle des boulangers, formatés comme moi, avec lesquels j’avais travaillé. Il avait une autre vision de la boulangerie. »
En parallèle, Laurent Marti, qui vient d’obtenir son brevet de maîtrise et le titre de maître artisan, forme des adultes en reconversion professionnelle. « Un travail également très intéressant, se souvient-il. J’ai accompagné des militaires, des Bac + 4 ou, au contraire, des personnes sans formation aucune, bref j’ai rencontré un éventail de personnes avec des expériences de vie très différentes, des gens qui posent des questions, ce qui me permettait de réfléchir à ma vision de la boulangerie comparée à la leur. » Se remettre en question, c’est presque une seconde nature chez ce chasseur à l’arc, amateur de voyages. À 36 ans, « le bon âge pour s’installer », Laurent Marti ouvre sa propre « boulangerie de village », la Maison Marti, à Lautrec, dans un local trouvé par hasard. « Un ancien restaurant avec un local cuisine tout faïencé. On a fait une proposition au propriétaire sans même savoir si nous pourrions obtenir un crédit ! ».
LA PHILOSOPHIE DU PAIN
Pendant 14 ans, le maître artisan va régaler les amateurs de bon pain, de pastis et de tourte des Pyrénées ou encore de pumpet, des « gâteaux régionaux », « qui ont une identité et une histoire », comme ses pains, « accrochés au terroir ». « J’ai voulu créer une boulangerie proche des valeurs de la nature. J’ai fait des choses gourmandes, des baguettes de tradition française alors qu’en milieu rural, beaucoup de boulangers faisaient leur pain avec des farines blanches et énormément de volume. J’ai pris le contre-pied avec une baguette qui a peu de volume, qui se conserve, qui a une mie crème. J’ai aidé un agriculteur à mettre en place chez lui un petit moulin et je lui ai demandé de semer certaines variétés de blé. Je travaillais également avec un meunier du Tarn, à taille humaine. C’était le credo de ma boulangerie. » Outre les odeurs et le plaisir de toucher la pâte, cette « matière vivante », l’artisan nourrit aujourd’hui un intérêt presque philosophique pour le pain.
« Je suis attaché à toutes les valeurs qu’il peut porter. J’ai assisté récemment à une conférence et l’animateur a dit une phrase qui les résume bien : « il y a les mangeurs de pain et les barbares ». Le pain, c’est la paix… Aujourd’hui, pour moi, c’est une vraie passion avec une symbolique très forte : quand on a du pain, on a l’essentiel. » En 2021 cependant, en une matinée, Laurent Marti prend, seul, la décision d’arrêter. « J’avais fini un cycle, explique-t-il. Il fallait que je fasse autre chose. Je ne voyais pas de sens à continuer. Je ne travaille pas pour gagner de l’argent, mais pour prendre du plaisir. J’avais besoin de faire quelque chose de nouveau, de me remettre en question. J’ai vendu sans contrariété, sans regret. » Alors qu’il enchaîne les remplacements dans différentes boulangeries du Tarn, notamment chez certains de ces anciens « élèves » en reconversion qui se sont depuis installés, Laurent Marti a mûri son nouveau projet.
« Je vais m’orienter vers les jeunes qui veulent embrasser les métiers de l’artisanat, en essayant de leur apporter mon expérience, détaille-t-il. En septembre, j’intègre le CFA du Tarn et je vais accompagner de jeunes apprenants pour les aider à construire leurs objectifs professionnels, leur choix de formation, mais aussi les rebooster, parce que certains en ont besoin. Avec mon CV et mon bagage comme apprenti, ouvrier, démonstrateur, formateur, puis à mon compte, je peux les aider à se poser les bonnes questions. Ce sont du reste souvent des jeunes en échec scolaire qu’on pousse vers les métiers de l’artisanat. L’idée est de casser cette spirale de l’échec et de leur montrer qu’ils vont pouvoir s’épanouir dans des métiers où on est créateur et où on a beaucoup de liberté. Jusqu’à présent, personne ne leur a dit qu’ils pouvaient avoir du talent, car bien souvent ce qu’ils ont entendu, c’est “vous êtes nuls”. L’enjeu est de leur montrer qu’on peut voyager grâce à ces métiers, s’installer à son compte et gérer sa propre entreprise, enseigner, gagner des concours et devenir meilleur ouvrier de France. À la rentrée, ce sera ma mission : leur montrer que c’est gratifiant de travailler dans les métiers de l’artisanat. Le défi m’a plu ! »