La nouvelle directrice des Abattoirs, Musée - Frac Occitanie Toulouse a l’art et la manière de tracer sa route dans un milieu culturel souvent « fermé » depuis ses études aux Beaux-Arts de Paris. Cette Toulousaine de cœur affiche de belles ambitions pour l’un des fleurons de la culture occitane et française.
Certains pourraient penser que la nomination de Lauriane Gricourt à la tête des Abattoirs, Musée - Frac Occitanie Toulouse, niché au cœur du quartier de Saint-Cyprien, est « évidente ». Pourtant, l’ancienne conservatrice et commissaire d’exposition depuis deux ans qui remplace désormais Annabelle Ténèze, partie assurer la direction du Musée Louvre-Lens, l’assure : « J’ai dû défendre mon projet et ma vision auprès du jury, face à plusieurs candidatures. Cependant, le fait de connaître l‘institution constituait un bel avantage ».
Celle qui rêvait de devenir océanologue dans sa jeunesse a finalement creusé son sillon dans le domaine plutôt confidentiel de l’art. À l’aube de la quarantaine, elle a déjà un palmarès bien fourni, décrochant tour à tour des postes de cheffe de projet, responsable de collections, co-organisatrice d’exposition, conservatrice, etc., qui lui permet aujourd’hui d’avoir une vue d’ensemble du fonctionnement « particulier » des institutions culturelles.
Lauriane Gricourt arbore depuis le début de l’année le titre de directrice de musée et espère, à travers ce nouveau rôle, imprimer « sa patte » sur l’institution toulousaine. Labellisée « Musée de France », celle-ci figure dans le top 10 des musées de France des villes de plus de 200 000 habitants et continue de gagner en notoriété depuis l’exposition consacrée à Niki de Saint Phalle. Si la jeune directrice souhaite faire perdurer l’identité et la valeur de cet édifice du XIXe siècle, elle entend également renforcer la proposition d’expositions d’art moderne et les créations d’artistes contemporains.
Une relecture de l’histoire de l’art
Remettre les collections au cœur de la programmation en diversifiant les approches avec des invitations lancées à de jeunes artistes et commissaires, poursuivre « la relecture de l’histoire de l’art » avec des expositions dédiées à de grands artistes (tels que Giacometti), tels sont les principaux points de la feuille de route de Lauriane Gricourt qui souligne :
Je veux créer une émulation et rendre le musée plus accessible au public grâce à des artistes de renom et permettre aussi aux Toulousains d’en profiter ».
Elle ambitionne également de montrer des scènes artistiques méconnues ou encore de faire dialoguer l’art contemporain avec d’autres disciplines artistiques, car explique-t-elle, « cela permet à des publics moins avertis d’explorer l’art contemporain différemment ». Elle entend par ailleurs donner plus d’envergure aux jeunes créateurs, une volonté déjà affichée par l’ancienne direction avec le prix Mezzanine Sud. « Ce lieu doit être un outil pour les artistes. Dans ce but, j’envisage de développer un programme de carte blanche sur site et hors les murs », détaille la jeune directrice avant de poursuivre :
Il est nécessaire de travailler sur des projets toulousains et régionaux pour avoir une harmonie dans la programmation. Nous devons créer davantage de ponts entre les arts, les institutions, les artistes, le public. »
Pour ce faire, elle veut renforcer les partenariats avec des structures régionales mais aussi internationales en vue de développer des coproductions et des expositions itinérantes.
Étudiante à l’École du Louvre
Née à Paris d’un père exerçant dans le milieu aéronautique et d’une mère dans le secteur hospitalier, Lauriane Gricourt n’a pas forcément été piquée par l’art pendant sa jeunesse, malgré quelques initiations au travers d’expositions. Plutôt scientifique dans l’âme et pratiquant la plongée, c’est après un Bac S en poche qu’elle se penche sur la restauration d’œuvres d’art qui l’amène à l’histoire de l’art. Elle intègre l’École du Louvre, avec une spécialisation en histoire de la peinture américaine du XIXe siècle, puis l’histoire de l’art contemporain russe. « J’ai réalisé un mémoire sur un artiste russe des années 90-2000 ». Cette amatrice de Claude Cahun, photographe et écrivaine française du XXe siècle, « qui très tôt performait son identité et son genre », dit s’être s’égarée dans les méandres d’un long travail de recherche axé sur les pratiques artistiques corporelles et performatives.
La jeune femme enchaîne les stages de sa propre initiative au Palais de Tokyo, à la Fondation Cartier ou encore au Louvre. « C’était un privilège, le mardi, d’avoir accès au lieu alors fermé au public, et d’assister notamment au décrochage d’une œuvre de Léonard de Vinci, à sa restauration. Cela m’a conforté dans mon envie ». Des stages qui lui ont permis de se faire une place plus facilement sur un marché difficile d’accès. « Avec un carnet d’adresses, des expériences et une connaissance du milieu, cela m’a permis d’affiner mes envies de carrière entre la régie, la production, le commissariat d’exposition et de toucher à tout dans des structures différentes ». Sans oublier les rencontres marquantes artistiques qu’elle fera au fil des ans.
L’intéressée ne collectionne pas ou selon ses aveux « seulement quelques peintures que des artistes m’ont offertes » mais aime donner un coup de projecteur aux œuvres. À la sortie des études, elle occupe le poste de cheffe de projet au Musée Maillol à Paris. « Approfondir une scène artistique que j’avais étudiée, connaitre davantage les œuvres, les structures muséales, tout cela était réjouissant ». Au bout de deux ans, elle devient responsable des collections à la Fondation Carmignac. « Une expérience de courte durée mais intéressante. La fondation a une très belle collection d’œuvres notamment du mouvement pop art et contemporaines mais elle était confrontée à un manque de place pour la présentation de ses collections permanentes. D’où la volonté d’Édouard Carmignac d’ouvrir un lieu pour montrer sa collection au public. Cela m’a permis de découvrir le fonctionnement d’une fondation privée et de travailler sur la conception d’un nouveau musée avec des contraintes imposées puisque situé sur une île protégée (NDLR, la Villa Carmignac est située sur l’île de Porquerolles, en Méditerranée). C’est peu commun dans une carrière. »
Quelque temps plus tard, la fondation Cartier la débauche. Pendant six ans, elle s’occupe de la diffusion de la collection de la fondation, en charge des collections à l’international, comprenant des parenthèses à l’autre bout du monde. « J’ai travaillé avec le Séoul Museum of art et le musée d’art contemporain de Shanghai, deux musées publics imposants dans le paysage culturel. » Et la directrice de musée d’ajouter :
Les volontés politiques culturelles changent la manière de structurer l’organisation, de définir la programmation, il y a toujours un contexte culturel, social et politique à prendre en compte. »
C’est aussi à ce moment-là qu’elle a un véritable coup de cœur pour Toulouse. « Nous menions un projet à Toulouse, au Musée des Augustins, dans le cadre du festival le Printemps de septembre, je me suis vue vivre ici avec ma famille », détaille cette mère de deux filles de neuf et trois ans. C’est chose faite depuis fin 2019.
Cette passionnée de cuisine est une des fondatrices du Collectif Enoki avec lequel elle développe des projets autour du lien entre art et alimentation. « J’ai cofondé ce collectif en 2018 avec deux amies et anciennes collègues de la fondation Cartier. J’aime comprendre l’histoire des plats, m’intéresser à la production dans une démarche responsable, etc. Nous organisons des dîners thématiques avec des invités issus de domaines très variés : des scientifiques, des sociologues, des ingénieurs agronomes, des paysans, des artistes. Une illustratrice croque le repas, ce qui donne lieu à une publication avec des points de vue différents et des recettes. Nous organisons beaucoup d’ateliers et d’expos en banlieue parisienne mais désormais, nous souhaitons délocaliser davantage les projets à Marseille et à Toulouse. » Un autre projet lui tient à cœur. Les Abattoirs, qui ont vu défiler des milliers d’animaux d’élevage, devenus l’un des fleurons de la culture française, accueilleront en mars prochain une exposition inédite sur l’agriculture, qui portera un regard acéré sur les paysans européens du XXe siècle.
À la question de savoir si l’art est essentiel dans la vie des gens, la réponse de Lauriane Gricourt est sans équivoque.
C’est un outil d’émancipation qui permet de décloisonner les schémas de pensée, de s’interroger sur le monde. Or, dans notre société, avec les réseaux sociaux, les médias… la pensée est de plus en plus homogène. L’art a cette force de générer une pluralité de formes de pensée, d’apporter une richesse. »
La jeune femme n’hésite pas à faire un parallèle avec ses filles. « Elles ne sont pas toujours intéressées par les expositions mais elles se posent ensuite des questions. Celle de neuf ans me parle encore de l’exposition de Niki de Saint Phalle. Cela permet d’aborder des questions complexes comme l’inceste à travers les histoires personnelles d’artistes. Il faut donner à tous un accès équitable à l’art. Cela nourrit l’imagination et la création est essentielle », conclut-elle.