Marc Labarbe
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Marc Labarbe

Le maître du marteau.

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Photo de Marc Labarbe
(Crédit : LA GAZETTE DU MIDI)

Assis derrière son pupitre, perché sur une petite estrade, marteau à la main, Maître Labarbe énumère les uns après les autres les lots mis en vente ce jeudi matin. « Allez, on poursuit avec cette paire de chandeliers argentés à 30 €. Dans une maison ils seront très beaux. Allez, 30 € ça les vaut quand même », lance-t-il avec conviction aux quelques acheteurs présents dans sa salle de vente et à tous ceux qui participent via le live.

« Je ne les vendrai pas en dessous, prévient-il. Vraiment personne pour 30 € ? D’accord, dans ce cas je les retire. » Sans même prendre le temps de s’en émouvoir, il enchaîne avec le lot numéro 98 composé de deux masques et cinq statuettes africaines. « On commence à 10 €, c’est cadeau ça. Ah, j’ai 20 €… Une fois, deux fois », le commissaire-priseur fait résonner son marteau, la vente est parfaite.

Comme dans une pièce de théâtre où il tiendrait le premier rôle, Maître Labarbe donne le la. Tantôt rapide, tantôt lent, c’est lui qui impose le rythme. Non pas pour garder les acheteurs sous tension mais « sous attention » comme il aime à le dire. Condition sine qua non pour les embarquer avec lui.

Si chaque vente est unique, elles ont ce point commun de susciter des émotions fortes. Ils sont d’ailleurs nombreux ceux qui viennent non pas pour acheter mais bien pour assister à un spectacle. C’est cette dimension théâtrale qui la première a poussé le jeune Marc Labarbe alors étudiant à vouloir devenir commissaire-priseur.

Commissaire-priseur

« J’étais en deuxième année de droit et pour la première fois de ma vie, j’ai assisté à une vente aux enchères. Ça a été une révélation ! Je n’étais pas intéressé par les oeuvres d’art qui étaient présentées car, pour être honnête, je n’y connaissais rien. Ce que j’ai aimé, c’est tout le cérémonial. Ça m’a tellement plu que j’ai décidé de suivre un cursus d’histoire de l’art au Mirail avant de poursuivre vers le notariat », raconte le Dacquois de naissance qui pour poursuivre son rêve décide de se rendre indispensable au sein de l’étude Chassaing, Rivet et Fournié, située rue d’Astorg.

Stratégie gagnante. Quelques mois après son arrivée il décroche en 1987 une place de stagiaire très convoitée. « Après deux ans de stage j’ai pu passer l’examen pour devenir commissaire- priseur … que j’ai raté. Je l’ai finalement décroché en 1992, à ma troisième tentative. »

Il le reconnaît avec franchise : « J’ai vraiment galéré pour l’obtenir. Il n’y avait pas Internet à cette époque, j’ai donc du bûcher tout seul. Je me revois encore acheter des livres sur les marchés et découper les images pour illustrer mes cours. Ça m’a coûté un argent fou en bouquin et en colle ! Après, comme tous les métiers, c’est le travail de terrain, au quotidien, qui m’a permis de construire petit à petit une culture et une expertise forte. »

Diplôme en poche, il quitte l’étude Chassaing, Rivet et Fournié avec l’envie de se mettre à son compte mais les opportunités se font rares. Devenu entre-temps papa d’un petit Julien, né en 1990, il décide alors d’en profiter pour l’élever. « Je m’en suis occupé pendant trois ans. Je lui ai appris à lire, à écrire. J’aime me dire que j’ai contribué à en faire ce qu’il est devenu aujourd’hui, c’est-à-dire un étudiant brillant qui a réussi son examen de commissaire-priseur du premier coup », lance Marc Labarbe avec émotion et fierté.

Et alors qu’il allait dire oui à un projet à Granville en Normandie, « un ami, qui était sur le point de racheter l’étude toulousaine Lavail Tajan-Blondeau, m’appelle pour me dire qu’il a raté son examen et me propose de me positionner. J’ai racheté l’étude, dont les bureaux étaient situés à l’époque dans l’hôtel des ventes rue Labéda, pour 1,8 million de francs. J’ai prêté serment au tribunal le 5 juillet 1995. » En 2001, les propriétaires de l’hôtel des ventes décident de vendre. Marc Labarbe se met alors à la recherche de nouveaux locaux.

Il a le coup de coeur pour un ancien garage, situé boulevard Michelet, en face de l’église Saint-Aubin. Après d’importants travaux et « un gros emprunt », il ouvre sa maison de vente en mars 2004.

A l’international

Il fait parler de lui pour la première fois à l’international en 2011 avec la vente d’un rouleau impérial chinois pour 22 M €. Long de 24m et haut de 69 cm, le rouleau met en scène plus de 9 000 soldats lors de la « Grande revue » des troupes de 1739.

Initialement estimée entre 3 et 4 M €, cette peinture sur soie est encore aujourd’hui l’oeuvre d’art chinoise la plus chère jamais vendue aux enchères en France. Cette vente lui permet de rembourser tous ses emprunts et de devenir à tout juste 50 ans propriétaire de ces murs, « un bel accomplissement. » Elle lui permet aussi de confirmer sa place sur un marché très concurrentiel quelques années seulement après un premier coup d’éclat : une vente aux enchères de pièces du Concorde en 2007.

Celle-ci a suscité la jalousie des grandes maisons parisiennes qui ne comprennent pas comment « un petit commissaire-priseur de province avait fait pour avoir le Concorde. Elles ont d’ailleurs essayé de me piquer l’affaire. Sans succès. » Et quand on lui demande comment il a réussi à la garder, il répond dans un éclat de rire « le talent ! »

Un talent qui lui permet de décrocher une autre vente Concorde en 2016 et celle de l’A380 en 2022. Mais la vente de sa vie, c’est bien sûr le tableau Judith et Holopherne signé du peintre italien Le Caravage. Sa découverte en 2014 dans le grenier d’un de ses fidèles clients avait fait le tour du monde.

Très attendue par les acteurs du marché de l’art, sa vente de gré à gré 48 heures avant sa présentation en 2019 par un acheteur mystère avait créé la surprise et aussi la déception. Par chance, les Toulousains avaient pu admirer la toile du peintre, grand maître du clair-obscur, lors de trois après-midi portes ouvertes. 6 500 personnes s’étaient déplacées !

« Vous n’imaginez pas ce que cela représente de trouver un tableau comme ça en termes de bonheur. De sa découverte à sa vente, il s’est écoulé cinq ans. Cinq ans de recherche, d’expertise, de réunions avec les assurances… Le tableau a été présenté dans les plus grands musées du monde, de New-York à Londres. »

« Vous n’imaginez pas ce que cela représente de trouver un tableau comme ça en termes de bonheur. Ça reste l’aventure la plus inoubliable de ma vie ! »

Des ventes exceptionnelles qui marquent de façon indélébile une carrière de commissaire-priseur, mais qui ne reflètent pas leur quotidien rythmé davantage par les ventes de brocante et les ventes judiciaires. Moins sexy, c’est vrai, elles restent pourtant des activités essentielles pour garder le lien avec les gens.

« Beaucoup de mes confrères ne veulent plus faire les ventes de brocante. Je le déplore. Lorsque je vais voir un notaire et qu’il me confie une succession, je fais face à des personnes qui sont souvent dans l’embarras car elles ne savent pas comment vider leurs maisons de famille. C’est inconcevable pour moi de choisir uniquement les objets qui vont se bien se vendre. Nous ne sommes pas là pour faire notre marché. Il faut tout prendre. Le beau comme le moins beau. Rendre service, c’est aussi ça notre rôle. »

C’est porté par cette conviction qu’il a d’ailleurs eu l’idée de son Expertibus. Une sorte de maison aux enchères sur roues qui sillonne les routes de Haute-Garonne pour aller à la rencontre de ses habitants.

« Notre département est vraiment très étendu. J’habite à Montauban, je sais donc combien il est difficile d’accéder au centre-ville de Toulouse, surtout pour faire expertiser des objets. J’ai donc commencé à réfléchir à une solution et très vite l’idée d’un bus s’est imposée. J’avais le souvenir du Crédit Agricole qui dans les années 70 parcourait les villages avec une camionnette. C’est comme ça que la banque a réussi à capter presque tous les paysans de France. » Convaincu que son idée répond à une demande croissante d’offre de proximité, il investit en 2020 plus de 150 000 € dans l’achat et l’aménagement de son Expertibus.

Heureux hasard, c’est aussi à cette époque qu’il intègre le casting de l’émission culte de France 2 Affaire conclue, suivie quotidiennement par plus d’un million de spectateurs. « Cette émission m’a permis de gagner en notoriété mais pas seulement, ex plique le commissairepriseur. Aux yeux des gens, passer à la télé est un gage de sérieux et de confiance notamment pour les personnes âgées. » Un atout de taille lorsque deux ans plus tard, en avril 2022, il part enfin sur les routes.

Après des débuts timides, son Expertibus fait aujourd’hui un carton partout où il s’arrête. L’occasion pour Maître Labarbe de faire de jolies découvertes. « Dernièrement, j’ai rentré deux lots im portants. Un tableau d’Achil le Laugé, un peintre audois, qui a fait 85 000 € à la vente et un plateau en micromosaïque qui, lui, est parti à 33 000 € ».

Autre belle trouvaille, « une montre Breguet avec un mouvement unique qui appartenait à un pilote de l’Aéropostale. C’est son petit-fils qui me l’a apportée. Elle sera mise en vente à l’automne prochain. » L’engouement est tel que le commissaire-priseur a décidé d’élargir son périmètre. D’ici quelques semaines, il baladera son Expertibus dans les départements limitrophes, « en ciblant en priorité les communes de plus de 4 000 habitants. »

Et alors qu’à 62 ans, beaucoup pensent à prendre leur retraite, Maître Labarbe, lui, a bien l’intention de prolonger le plaisir. « C’est simple, si je ne m’amuse pas, je m’ennuie pour ne pas dire autre chose », s’exclame l’intéressé qui planche déjà sur un nouveau projet. « Je travaille sur un concept innovant pour rendre les ventes aux enchères plus surprenantes. Pour que les acheteurs n’assistent pas seulement à une vente aux enchères mais participent à un jeu. » Pour en savoir plus rendez-vous en 2024…