Après une trajectoire sans fausse note à la DGA, cette ancienne ingénieure générale de l’armement a été nommée directrice générale de l’ISAE-SUPAERO. Un joli clin d’œil pour la fille de Jean Pinet, célèbre pilote d’essai du Concorde qui a enseigné au sein de cet institut.
Bien qu’elle se prête au jeu de l’interview – et qui plus est à celui du portrait –, on sent très vite une certaine retenue dans sa voix. Marie-Hélène Baroux n’apprécie guère d’être sous les feux des projecteurs. Pourtant, au fil de sa carrière, cette femme de tête discrète a accroché les regards à son passage. Ingénieure accomplie et visionnaire, elle est depuis le 1er août la première femme aux commandes de l’école d’ingénieurs toulousaine ISAE SUPAERO - l’une des plus prestigieuses – où elle a fait elle-même un passage en tant qu’étudiante.
Après avoir passé dix ans à la direction générale de l’Institut, le 10 septembre dernier, l’ingénieur général de l’armement Olivier Lesbre a en effet passé le flambeau à Marie-Hélène Baroux, qui avait été nommée en 2019 directrice adjointe de l’établissement. Également ingénieure générale de l’armement, elle aura la charge de poursuivre la transformation de l’Institut dans un contexte de compétition et de changements sociétaux majeurs.
Elle est à la barre d’un paquebot qui accueille cette année près de 1 930 étudiants. 85 doctorants rejoignent également le campus, signe de l’excellence des activités de recherche de l’Institut. Ce chiffre, en hausse, porte ainsi à 285 le nombre de doctorants dans les laboratoires de l’ISAE-SUPAERO. L’internationalisation est aussi un point fort de l’établissement, avec 42% d’étudiants étrangers en provenance de 48 pays.
Des projets tournés vers le développement durable
Afin de se maintenir au sommet du palmarès mondial, de grands projets sont en cours au sein de l’Institut. La quinquagénaire œuvre notamment en matière de développement durable. Dès son arrivée, elle a lancé une démarche de transformation axée sur trois points, à savoir la rénovation des bâtiments, la formation et la recherche. Près de 30 % des projets de recherche sont désormais alignés sur ces objectifs. Une « petite fierté d’avoir lancé ça quand j’étais directrice adjointe et de voir aujourd’hui que ça prend de l’ampleur. C’est devenu systématique, toutes les personnes qui sont ou qui arrivent sur le campus y sont sensibilisées ».
Mêmes efforts déployés en matière de prévention des discriminations : la nouvelle DG mène en parallèle cet autre chantier qu’est le renforcement d’une culture de l’inclusivité sur le campus. Et la nouvelle directrice de poursuivre : « Dès 2019, j’ai initié un projet visant à collaborer avec le personnel de l’établissement, tant dans les domaines de la recherche que de la formation, ainsi qu’avec les étudiants, autour des enjeux de développement durable, et ce, bien avant que la crise de la Covid ne vienne mettre en lumière l’importance de ces sujets ».
Cette mère de trois enfants – tous ingénieurs –, mène d’autres projets ambitieux tels que la formation autour de l’aviation décarbonée et la modernisation des cursus pour répondre aux futurs enjeux. « Au-delà de repenser les cursus de formation, il faut garder le cap sur les trajectoires et les défis de demain », souligne-t-elle.
De nouvelles compétences à développer
Dans le cadre du dispositif « Compétences et métiers d’avenir » de France 2030, l’ISAE-SUPAERO a obtenu la labellisation du projet COMETE (COmpétences Et METiers pour l’ESpace), en vue de développer les formations de la filière spatiale. L’institut est également engagé dans le projet PEGASE qui vise à développer des technologies et des compétences pour une aviation plus respectueuse de l’environnement, en mettant l’accent notamment sur des systèmes de propulsion alternatifs.
« Ces projets nous permettront de donner un véritable élan à la modernisation et à la mise en place des enseignements liés à ces nouvelles compétences. Ils offriront un cadre structuré et la possibilité de recruter des experts dédiés. » Et de poursuivre : « Depuis 2019, la Chaire ISAAR ( Innovative Solutions for Aviation Architecture & Regulation), initiée par le groupe Daher et à laquelle participe Airbus, planche déjà sur la transformation des mobilités et la réduction de l’impact environnemental de l’aviation. C’est donc une tendance forte. »
L’Institut a également signé, en juillet, une chaire industrielle avec Liebherr-Aerospace portant sur l’avion décarboné et plus précisément l’optimisation de l’aérodynamique des turbomachines. La directrice ambitionne de nouer de nouveaux partenariats notamment dans le domaine du spatial.
Un autre aspect qu’elle souhaite promouvoir au cours de son mandat, c’est la modernisation et la transformation du cursus d’ingénieur généraliste : « Avec 356 nouveaux étudiants cette année, dont 61 jeunes femmes, le cursus d’ingénieur généraliste confirme son haut niveau de recrutement. Nos ingénieurs s’orientent vers des secteurs variés en dehors de l’aéronautique et du spatial. Près de 20 % de nos étudiants choisissent des carrières dans le conseil axé sur le développement durable, tandis qu’environ 10 % se dirigent vers les domaines tels que l’automobile, le transport, l’informatique, la recherche et la défense. Dans le contexte géopolitique actuel, notre défi consiste à mettre en avant cette dimension généraliste afin de continuer à attirer des talents et de nourrir la société avec des idées novatrices en matière de sécurité et de durabilité. Une de mes priorités sera d’explorer comment renforcer notre soutien au ministère des Armées dans ces compétences. »
Une passion pour l’aviation et l’astrophysique
Fille de Jean Pinet, pilote d’essai du Concorde, Marie-Hélène Baroux suit les traces de son père, également diplômé de l’ISAE-SUPAERO (1952). D’où une passion précoce pour l’aviation et l’astrophysique, même si elle n’a pas réalisé son rêve de devenir astronaute. « Je suis fascinée par les astronautes alors je suis très heureuse d’en compter plusieurs parmi les anciens de l’école »… Dont Thomas Pesquet, pour ne pas le citer.
Après un bac scientifique à Toulouse, l’étudiante intègre Télécom Paris, où elle choisit les télécommunications spatiales, en lien direct avec ses ambitions. Elle complète sa formation en passant deux années sur le site de l’ISAE-SUPAERO, avant de rejoindre à Paris la Direction Générale de l’Armement (DGA). Et de préciser :
Pendant les deux dernière années d’étude, un pilote de chasse m’a parlé de son engagement et ses paroles ont profondément résonné en moi. J’ai alors ressenti l’envie de mettre mes compétences au service de mon pays. Cette rencontre a marqué un tournant décisif dans mon orientation vers le ministère des Armées. »
À 26 ans, elle débute sa carrière en tant qu’ingénieure de l’armement dans le domaine des télécommunications par satellite et de la sécurité des informations et prend rapidement des responsabilités. D’abord responsable d’expertises et d’essais au Centre d’Essais Aéronautiques de Toulouse (CEAT), elle rejoint ensuite l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) au sein de la direction de programme de l’avion militaire A400M, puis l’ONERA en tant que chargée de mission antennes multifonctions, avant de devenir sous-directrice technique au sein de DGA Techniques aéronautiques. En 2013, elle devient responsable du programme CERES, une constellation de trois satellites de renseignement, au sein de la direction des opérations de la DGA.
« Un véritable suivi des parcours de carrière est mis en place, offrant à la fois une grande liberté et un accompagnement personnalisé, notamment à travers des formations adaptées », explique l’ancienne ingénieure. Deux ans plus tard, elle est nommée directrice de la DGA Techniques aéronautiques, puis en 2017 elle rejoint la direction de la stratégie de la DGA. « Toutes mes missions m’ont conduite là où je suis aujourd’hui, mais l’une d’elles a été un vrai coup de cœur car elle s’inscrivait dans une dimension internationale en collaboration avec sept pays. »
Management et ressources humaines
En 2021, la quinqua intègre la direction des ressources humaines de la DGA. Pendant près de deux ans et demi, elle met en place une démarche d’innovation participative, axée sur la qualité de vie au travail (QVT) et le bien-être, avec un fort accent sur les aspects managériaux. Et d’ajouter :
Je dois dire que cela a été une agréable surprise. En tant qu’ingénieure, j’avais des idées préconçues, pensant que j’étais uniquement destinée à la technique. Mais l’aspect humain, qui m’a d’ailleurs conduite là où je suis aujourd’hui, s’est révélé tout aussi passionnant. Aider les personnes à développer leurs compétences, tout en donnant aux managers les outils nécessaires pour bien gérer leurs équipes et leur temps, m’a énormément plu. »
Elle poursuit désormais dans cette voie. L’ISAE-SUPAERO étant sous la tutelle du ministère des Armées et entretenant des liens étroits avec la DGA, qui est l’un de ses partenaires stratégiques, la boucle est bouclée. Si elle n’envisage pas d’ajouter le rôle d’enseignante à son parcours, elle aspire néanmoins à se rapprocher un jour du milieu associatif pour contribuer à la réinsertion professionnelle. En tout cas, des idées, elle n’en manque pas.