Googlisez son nom tant que vous voulez, vous n’aurez aucune avalanche d’informations à glaner sur Paul Nahon, au mieux des miettes. Homme discret, faisant sien l’adage « pour vivre heureux, vivons cachés », il est le fondateur, depuis 1989, de la première régie publicitaire indépendante du Sud-Ouest, Intelligence Media Connect – transformée en holding depuis cette année et qui regroupe plusieurs sociétés qu’il a créées dont Puissance 8 et Intelligence Media, le bateau amiral –, laquelle a digitalisé son offre, en complément de produits d’édition et de hors-séries : achat programmatique, campagnes display géolocalisées, etc.
Parmi ses clients prestigieux figurent le groupe Marie-Claire, LSA, Le Moniteur, L’Usine Nouvelle ou encore le groupe Figaro avec lequel il a notamment renforcé sa collaboration depuis cet hiver. Un développement d’activité qui pourtant n’était pas inscrit sur la feuille de route du dirigeant, grand amateur du Figaro son journal de chevet. « Le groupe avait une bonne dynamique, et vu mon âge, je ne souhaitais pas poursuivre son développement mais nous avons récupéré l’ensemble des éditions régionales du Figaro Magazine en janvier, le supplément hebdomadaire du quotidien, qui représente la première marque média en France et qui a le vent en poupe. Nous travaillons avec le groupe depuis 2017. Le monde des régies publicitaire est tout petit, l’opportunité s’est présentée grâce à nos résultats, notre réseau et notre savoir-faire ».
« On se dirige, certes, vers un nouveau monde mais le print ne va pas disparaître demain »
La holding, forte d’une vingtaine de collaborateurs, qui a renforcé ses équipes de trois personnes supplémentaires, vise 4 M€ de CA en 2021, après une année record en 2019, depuis la création d’Intelligence Media. « La recette a pris grâce à plusieurs ingrédients : le marché, les idées, les supports, le savoir-faire et bien entendu, les équipes ». La pandémie n’aura pas eu raison du groupe, à la fois régisseur de publicité et éditeur de certains titres nationaux ou professionnels comme Marie-Claire ou Entreprise à la Une, un magazine édité depuis 10 ans en partenariat avec la CCI Occitanie.
Savoir se réinventer
L’entreprise toulousaine a su tirer son épingle du jeu, parvenant, comme bon nombre d’acteurs économiques, à se réinventer au gré des turbulences. « Pour le titre Marie-Claire que nous éditons, nous sommes allés chercher des thèmes que nous n’aurions pas traités en temps normal, notamment le tourisme de proximité et les portraits d’entreprises. On s’est remis en question, et nous avons réfléchi à de nouvelles offres », souligne Paul Nahon. Si pour lui, la pub n’est pas une science exacte, il a su au fil de son parcours, s’adapter aux défis afin de positionner son entreprise comme une référence sur le marché national.
Car si à l’origine, le groupe a acquis son savoir-faire dans le print, l’avènement du digital a révolutionné les codes de la publicité. Pour autant, cette (ré) évolution ne pèse que 10% de l’activité d’Intelligence Media qui se veut résolument tourné vers le papier, car, explique le chef d’entreprise, « nous avons des marques fortes. Néanmoins, la part du digital tend à progresser et nous avons dû nous adapter pour ne pas perdre des marchés. »
Craint-il alors que le print continue son déclin, un étiolement accéléré par la Covid ? « Il y a une évolution, il ne faut pas se leurrer. Par exemple, le Figaro connaît une forte augmentation des abonnés digitaux au détriment des abonnés papier. S’ajoutent à cela, des difficultés traversées par les kiosques, engendrées par la crise du distributeur Presstalis qui a, lui-même, été touché de plein fouet par la révolution numérique. Sans compter, désormais les effets de la crise sanitaire qui se sont additionnés. Ainsi, des habitudes se sont créées et ont accéléré le processus. Les titres font cependant tout pour maintenir leur diffusion. On se dirige, certes, vers un nouveau monde mais le print ne va pas disparaître demain. Et à l’instar de la presse féminine dans laquelle les doubles pages mode sont très appréciées, certains grands titres ne peuvent pas exister de la même façon en format digital qu’en format papier. »
Suivre les tendances
Pour autant, le dirigeant ne ferme pas les yeux sur les tendances, bien au contraire. Il ambitionne d’exploiter davantage la vidéo pour des publireportages, format numéro 1 aujourd’hui sur la toile. « C’est un support qui me tient à coeur. Dans mon parcours, notamment en tant que directeur commercial de TLT, j’ai vu l’attrait magique que pouvait exercer l’audiovisuel sur les gens, quand ils voient une caméra. Si auparavant, ce format était peu usité et relayé, aujourd’hui Internet ouvre le champ des possibles, même si je regrette que les jeunes ne lisent plus », explique celui qui préfère l’ombre à la lumière, caché derrière la caméra.
Pur produit de la publicité, vendeur dans l’âme, le sexagénaire qui n’aime pas s’exposer au grand jour, prend toutefois part au jeu périlleux des questions. Il consent qu’on lui tire le portrait et qu’on rouvre les chapitres de sa vie. Né à Casablanca d’un père comptable au sein de la SNCF et d’une mère au foyer, le troisième de la fratrie rejoint l’Hexagone à neuf ans. Changement de décor. Pour autant, le jeune garçon embrasse une nouvelle aventure à Béziers, où il suit toute sa scolarité « sans sentiment de déracinement. J’ai suivi mes parents, mon père notamment qui rejoignait la SNCF après un long passage à l’ONCF, sans me poser de question ».
L’enfant plutôt réservé, qui trace la route sur son vélo pendant son temps libre et pratique le tennis de longues années, se tourne vers un bac littéraire, malgré son amour et sa facilité pour les mathématiques. « Toutes les filières scientifiques semblaient par la suite bien plus compliquées », explique celui qui n’a pas emprunté la voie des études. Son bac en poche, le jeune homme, motivé par une forte envie de réussir, fait le choix de suivre des connaissances à Toulouse en 1975, qui lui font rapidement découvrir les rouages de la publicité, un univers grisant. « J’ai travaillé pour eux en tant qu’indépendant pour différents supports. Ils m’ont mis le pied à l’étrier. La formation a été rapide ! », se souvient-il.
Professionnel de l’image
C’est donc par hasard qu’il se retrouve alors professionnel de l’image, notamment celles des autres, et ne refermera jamais la porte. Après une brève incursion dans l’armée et une première expérience qui dure trois ans, le jeune homme nourrit d’autres ambitions et rejoint le groupe Havas pendant deux ans, où il accède au poste de chef de publicité junior. « Ma première mission consistait à visiter les 40 concessionnaires du SO du groupe Volkswagen. Je faisais beaucoup de route, je rencontrais de nombreux chefs d’entreprise. J’étudiais avec eux les moyens de communication, je les conseillais sur une communication locale, ce qui fut très formateur. En parallèle, je cherchais de nouveaux clients, et c’était fascinant de jouer un rôle central entre le pôle média, les clients, le directeur artistique, etc. »
« Dès que les affaires vont moins bien, c’est forcément le budget de la communication qui trinque. »
Lorsque le groupe change de braquet, le jeune homme décide, lui, de changer d’air. « Avant de connaître les décisions d’Havas, j’avais eu vent des ambitions du groupe Hachette Filipacchi qui avait en vue de lancer les éditions régionales de Télé 7 Jours. J’ai rencontré Jean Feldman, l’éditeur du magazine Vital. Nous nous sommes plu et c’est cette rencontre qui a fait de moi l’homme que je suis devenu. C’est là que je me suis construit. »
L’ aventure durera 10 ans, passant successivement du poste de commercial, à celui de directeur de la publicité et enfin de directeur régional. Parmi ses missions, il reprend aussi les éditions de Elle, et lance celles de Paris Match. Fort de ces succès, d’autres opportunités frappent à sa porte. Pierre Lapray lui propose de s’associer pour lancer les éditions régionales du Point et de Marie Claire. Un nouveau chapitre s’ouvre, cette fois entrepreneurial, en binôme. Paul Nahon endosse le costume de chef d’entreprise dont il rêvait parfois enfant, avec l’envie chevillée au corps de construire quelque chose, mais sans jusqu’alors forcer le destin. Cette chance intervient tandis que l’univers de la publicité est à son apogée.
Un modèle qui s’essouffle ?
« À l’époque, il faut reconnaître que la publicité avait pour vocation de choquer, de marquer les esprits avec un humour prononcé. Aujourd’hui, tout est devenu plus policé, à l’image des humoristes, on s’amuse moins, et les publicités ont au final une fonction informative. Souvenez-vous de la campagne Myriam, pour l’afficheur Avenir qui avait pour slogan “Avenir, l’afficheur qui tient ses promesses”. » C’était en 1981, sur des affiches en grand format, dans la Capitale et six villes de province, une jeune femme annonçait : « Le 2 septembre, j’enlève le haut. »
« Là où il y a une volonté, il y a un chemin. »
Chose faite. Puis : « Le 4 septembre, j’enlève le bas ». Un message culotté qui incarne l’audace de l’annonceur et l’avènement d’un phénomène culturel : le teasing. Le professionnel pointe une autre évolution : la publicité ne fait plus rêver les jeunes générations. « À une époque, la pub faisait rêver avec des campagnes mythiques. Les agences avaient une vraie place sur le plan créatif, sur le conseil, avec des achats d’espace, mais depuis la loi Sapin, il y a une vraie remise en question des agences qui ont perdu leur « image », ce qui a entraîné des baisses de recrutements. »
Le modèle s’essouffle-t-il ? « Il a changé, et puis culturellement, les chefs d’entreprise français ne sont pas toujours conscients de la bonne manière de communiquer, et d’investir intelligemment dans la communication. Dès que les affaires vont moins bien, c’est forcément ce budget qui trinque. » En marge des débuts d’Intelligence Media, il se lance dans un autre défi qui est devenu son fait d’arme.
Un rôle de chef d’orchestre
« J’ai une fierté, c’est quand la Générale des eaux, qui était propriétaire de TLT, est venue me chercher. Un de mes amis lyonnais Philippe Vorburger, leur a dit : “vous avez un problème à Toulouse, j’ai votre solution, Paul Nahon”. Ils m’ont confié la direction de la régie publicitaire avec pour objectif de multiplier le chiffre d’affaires par trois, ce que j’ai fait ! » Ces trente-deux années passées à endosser, entre autres, le rôle de chef d’orchestre ou encore, « d’homme clé », bien qu’il abhorre ce cliché, ne l’ont pas épuisé. La retraite, il n’y pense pas !
De son propre aveu, cet accro au travail ou « workaholic », n’a pas l’intention de lâcher les rênes, même pour évoluer davantage sur les parcours de golf, sa passion, « une école d’humilité ». Il s’amuse d’ailleurs à délivrer cette anecdote : « quand j’étais chez Hachette, je ne prenais que 15 jours de vacances par an, et les trois semaines restantes, je refusais d’être payé. Même chose lors de mon accident de voiture, cloué sur un lit d’hôpital, il me fallait un téléphone pour m’occuper de mes affaires. Je ne coupe jamais l’interrupteur. »
Sa vie, ce sont ses affaires, bien qu’il délègue aujourd’hui davantage à ses forces vives. Homme passionné, il refuse de tenir d’autres engagements. Comment définit-il sa posture de chef d’entreprise ? Ce père de famille de quatre enfants sourit. « Question difficile… je suis paternel et j’écoute. Je défends mes idées et j’essaie d’apporter une vision à l’entreprise ». Son mantra ? « Là où il y a une volonté, il y a un chemin. »