« Je suis arrivé premier au concours de circonstance ! » répond avec humour Philippe Wallaert quand on lui de mande comment cet ancien avocat d’affaires a été élu à la présidence du conseil d’administration de Promologis. La première entreprise sociale pour l’habitat (ESH) d’Occitanie, qui administre plus de 28400 logements sociaux, forme avec les sociétés coopératives d’intérêt collectif Promo Pyrène et Maisons Claires, le groupe Promologis. Adossé au groupe Action Logement et à la Caisse d’Épargne de Midi-Pyrénées, il emploie en région 440 collaborateurs et gère 30 000 logements locatifs auxquels s’ajoutent 7100 lots de copropriété. Engagé depuis de longues années dans la vie sociale et économique de la région, le quinqua arrive donc à la tête de l’ESH pour prendre la succession de Frédéric Carré, le président de la FFB Occitanie, qui a lui-même pris la présidence d’Action Logement Immobilier.
L’élection de Philippe Wallaert correspond à la volonté de Promologis « d’avoir à sa tête un profil moins lié au secteur de l’immobilier », souligne l’exavocat qui ne cherche pas à éluder la question. « Cela correspond à mes valeurs. En réalité, il y a une certaine cohérence : le fait d’être avocat d’affaires n’empêche pas, bien au contraire, d’être très à cheval sur certains principes et de ne pas y déroger. Il y a toujours eu pour moi un socle intangible que sont le respect, l’honnêteté, la droiture, des préoccupations sociales aussi. Vous exercez le métier d’avocat avec votre sensibilité et vos valeurs. Vous pouvez dès lors avoir deux discours : les affaires, c’est la jungle et il n’y a pas de règle, ou bien les affaires, c’est autre chose et j’ai la faiblesse de penser, – c’est du moins la ligne que j’ai suivie –, que la deuxième voie n’était pas forcément la plus mauvaise pour faire des affaires dans la durée. »
Alors que les normes environnementales ne cessent de se durcir, que l’augmentation du prix des matières premières et de l’énergie, les difficultés d’approvisionnement, ajoutées à la rareté des terrains, font grimper les coûts de construction, l’ESH entend bien maintenir un haut niveau de construction, assure son nouveau président. « La question du logement est aujourd’hui cruciale. Dans ce contexte, le logement social devient essentiel. D’où l’objectif de Promologis de construire de plus en plus. En 2021, 2100 logements avaient été lancés. En 2022, nous espérons faire aussi bien, à savoir 2000 logements, ce qui est un objectif très ambitieux puisqu’à l’échelle de l’Occitanie, cela représente 20% des logements sociaux lancés chaque année, soit 10 000 en tout. Ce n’est probablement pas assez puisqu’il y a 46 000 demandes de logements sociaux qui ne sont pas satisfaites en région. C’est un vrai sujet. »
Mettre ses compétences au service de l’intérêt général
À travers ce nouveau mandat de trois ans, Philippe Wallaert voit l’opportunité de mettre ses compétences « notamment en matière d’approche collective innovante », au service de l’intérêt général. Une expertise qu’il a acquise au fil d’une carrière qui l’a conduit à conseiller de nombreuses grandes entreprises, en France et à l’international, dans différents secteurs d’activité, notamment l’industrie aéronautique, alors qu’il était avocat associé au sein du cabinet Morvilliers Sentenac qu’il a rejoint en 1998, un des plus gros cabinets de la place toulousaine. Ce natif du Nord a grandi pendant 16 ans près de Lille avant que son père ne prenne un poste de direction d’hôpital à Lavaur, dans le Tarn. Arrivé à Toulouse en 1985, Philippe Wallaert vise HEC, mais plutôt que de faire deux ans de prépa, le jeune homme s’inscrit à Sciences Po et à la Fac de Droit, comptant grâce à ce double cursus intégrer la prestigieuse école de commerce via à une passerelle.
Laquelle s’est refermée peu après. « J’avais déjà fait trois ans d’études. J’ai hésité avant, finalement, de décider de ne pas y aller, repoussant HEC à plus tard. J’ai donc fait une maîtrise en droit des affaires, puis le DJCE, le diplôme de juriste conseil d’entreprise qui s’ouvrait pour la première fois à Toulouse. Le DJCE est en quelque sorte l’école du droit de l’entreprise, mais la façon d’enseigner y est proche d’une école de commerce. C’était relativement innovant à l’époque ». Mais quoi faire, bardé de ce nouveau diplôme ? « Finalement, c’est le barreau qui m’a tendu les bras. Je n’avais pas la vocation contrairement à certains de mes camarades. Me concernant, c’est plutôt l’avocature qui est venue me chercher ! Après, je m’y suis bien plu puisque j’y suis resté 27 ans ! »
Un autre temps : les promotions de l’école des avocats comptaient une trentaine d’élèves, le barreau, lui, un peu plus de 300 avocats contre plus de 1500 aujourd’hui. « Je crois qu’on a dépassé les 350 avec notre promo. À ce moment aussi, les commissions d’office étaient obligatoires. J’ai donc fait du pénal de droit commun, des dossiers de stupéfiants, de proxénétisme, mais ce n’était clairement pas mon coeur de métier. Je voulais faire du droit des affaires. » C’est au sein du cabinet de Michel Dublanche que le jeune avocat – il a prêté serment le 2 décembre 1991 – a fourbi ses armes. Pendant cinq ans, il s’occupe d’entreprises en difficulté, avec quelques « beaux dossiers » comme ceux du groupe Escoulan ou de Montlaur.
Des interlocuteurs de tous les pays
Il développe une « expertise pointue » dans le domaine. Après un intermède de deux ans, pendant lequel il fonde son propre cabinet avec deux confrères, il se voit proposer d’intégrer en tant qu’associé le cabinet Morvilliers Sentenac spécialisé en droit des affaires. De 11 collaborateurs à son arrivée, il en comptera une cinquantaine à son départ, vingt ans plus tard. « L’idée était de créer un pool de collaborateurs de très haut niveau avec une véritable capacité de travail à l’international sur des sujets tels que le corporate, le social, le fiscal, les contrats, la propriété intellectuelle (PI), la distribution, etc. » Philippe Wallaert planche sur les marques, développe les TIC et négocie des contrats « extrêmement complexes, beaucoup en anglais, pas mal dans l’industrie, avec des questions de PI très prégnantes ».
Je travaille différemment. C’est un rythme qui me va bien.
Ses interlocuteurs sont en Chine, en Corée, à Hong Kong, Taïwan, au Japon, dans quasiment tous les pays d’Europe, en Iran… Le tout au téléphone, « la visio n’existait pas encore ! » Entre-temps, le cabinet déménage, s’installe rue Lafayette, au-dessus de Marks & Spencer, et accélère son développement. « On bossait pour Airbus, Continental, Actia, Rockwell Collins, Pierre Fabre, notre client historique… Nous avons fait beaucoup d’implantations de groupes étrangers à Toulouse, notamment dans l’aéronautique, et accompagné des clients toulousains dans leur développement à l’international. Nous avons piloté des projets à l’échelle européenne… » Côté métier aussi, les choses bougent.
« Au sein de la profession, on a vu arriver la signature électronique, la dématérialisation des procédures avec les juridictions. Le métier d’avocat est en complet bouleversement. Le droit lui-même a beaucoup évolué et cela va continuer. Sur le plan international, le droit est devenu une arme de la guerre économique, non seulement la règle de droit mais aussi le système juridique. Il faut être clair, en Europe, sur ce plan-là, on a perdu. On a essayé de faire émerger un système de droit continental, sur la base du droit latin, mais c’est le droit anglo-saxon qui l’a emporté. Il n’y a qu’à voir comment cela se passe au niveau des instances européennes. La façon de poser les problèmes est très clairement anglo-saxonne. »
Aller voir ailleurs
Pourquoi ? « D’une part, parce que les Anglais et les Américains ont su se structurer de manière beaucoup plus forte. D’autre part, le droit anglo-saxon est pragmatique, ce qui colle parfaitement au monde des affaires. Il suffit d’interroger n’importe quel chef d’entreprise : le premier mot qu’il cite lorsqu’on lui parle de droit, c’est contrainte. Il ne va pas dire : “c’est un des outils dont je dois me servir pour améliorer ou sécuriser mon activité”. C’est comme cela qu’on se retrouve avec des entreprises qui lancent des produits sans s’assurer que leur marque a été déposée et est valide. Des choses impensables pour des opérations qui peuvent représenter des dizaines de millions d’euros. » Devenu membre de la commission informatique et de la commission nouvelles technologies au sein du conseil de l’Ordre, et secrétaire général du Lab’s, une association d’avocats versés dans les NTIC qui « s’intéressaient aux robots juridiques, à l’automatisation, aux smart contracts », l’avocat toulousain aspire peu à peu à aller voir ailleurs.
Convaincu qu’il a « des trous dans la raquette », en stratégie, en marketing, ou encore en management, pendant deux ans, il suit la formation du CPA, le Centre de Perfectionnement aux Affaires de TBS Education. En 2019, il tourne définitivement la page, devient pendant deux ans le DG d’un cabinet d’avocats marseillais en pleine transformation, avant de revenir à Toulouse fonder Ingaged, un cabinet spécialisé dans le management de transition, une idée qu’il a pris le temps de mûrir. « Une entreprise de travail temporaire haut de gamme destinée à pourvoir des postes managériaux en vue d’impulser une nouvelle dynamique », résume-t-il. Un marché essentiellement parisien, qui l’amène à voyager beaucoup.
Travailler différemment
Philippe Wallaert a réuni autour de lui une trentaine de managers de haut vol pour appréhender au sein de PME et d’ETI différentes problématiques telles que le retournement, lorsque la situation de l’entreprise est compliquée financièrement ou qu’il y a un conflit au sein de la gouvernance. « Toutefois, aujourd’hui, le sujet c’est la transformation des entreprises autour des questions de RSE, de chaîne de valeur étendue, de délocalisation et leurs répercussions sur les RH, la supply chain, les approvisionnements, les achats, la digitalisation, les nouveaux modèles de travail hybrides, etc. Sur toutes ces questions, la crise a servi de révélateur et d’accélérateur. » Le dirigeant d’Ingaged en est convaincu : dans quelques années, le manager indépendant sera le modèle dominant.
« Aux Pays-Bas, où est né le management de transition, plus de 50% des managers viennent de l’extérieur auxquels on fait appel lorsqu’il y a un besoin de compétences spécifiques. L’idée n’est plus d’avoir des permanents mais d’intégrer des compétences de haut niveau lorsqu’il y a un besoin, pour le temps du projet. » Après avoir enchaîné pendant 27 ans comme avocat, « des journées de dingue », Philippe Wallaert n’est pas sûr d’avoir allégé sa charge de travail. Mais au moins, assure-t-il, « je travaille différemment. C’est un rythme qui me va bien. »