Pierre Azemar déteste la routine. Au point que l’an dernier, le nouveau président de l’Union des entreprises de proximité (U2P) d’Occitanie n’a pas hésité à fermer pendant neuf mois sa boucherie-charcuterie-traiteur-crèmerie-boulangerie-vente de produits régionaux pour de très gros travaux. Neuf mois, durant lesquels les ventes ont continué sous chapiteau.
Et tant pis si quelques clients n’ont pas suivi. Depuis octobre, l’enseigne Rouergue Saveurs, installée dans la zone artisanale Les Moutiers à Rodez, a rouvert ses portes offrant une halle gourmande et un espace dégustation où l’on peut prendre un café et se restaurer, bref « passer de bons moments ».
Outre les plats préparés in situ par l’équipe de traiteur, « le client peut choisir sa pièce de boucherie et la savourer sur place », sourit Pierre Azemar. Faire de sa boutique, un véritable « lieu de vie », c’est la philosophie de ce jeune chef d’entreprise de 39 ans qui, un peu plus de 10 ans après la création de son magasin, a décidé de tout refaire pour pouvoir « [se] challenger professionnellement » et « permettre à [son] équipe de grandir et d’évoluer ».
Celle-ci compte aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs pour un chiffre d’affaires de 2,8 M€ en 2021. Ce père de famille issu d’une famille d’agriculteurs, a décidément le goût du risque. En 2011, à 27 ans, il a investi 400 K€ et embauché sept personnes, pour créer ex nihilo Rouergue Saveurs. « Un énorme pari, reconnaît-il. Avec le recul, je ne suis pas certain que je le referais. »
Avec un père lui-même boucher bien installé à Rodez, on pourrait croire que Pierre Azemar n’a fait que suivre une voie toute tracée. Ce n’est pas aussi simple. Poussé par des parents « qui voulaient que l’on fasse des études », l’intéressé a passé un bac S Sciences de l’ingénieur, parce que « c’était ce qui ouvrait le plus de portes », puis « comme j’aimais la technique, le pratico-pratique et que je ne voulais pas faire de grandes études », Pierre Azemar enchaîne avec un DUT Mesures physiques.
« J’ai fini 5e de ma promo, mais je ne me posais pas vraiment de question sur ce que j’allais faire après. » C’est lors d’un stage au sein d’un laboratoire de recherche chez Air Liquide à Paris, qu’il prend conscience qu’il fait fausse route. S’en suit une phase d’introspection : « Je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que je voulais faire. Je voulais un métier qui ait plus de sens, un métier en contact avec des vrais gens ».
Un choix rapide
Le retour dans l’entreprise familiale s’impose de lui-même, une décision « prise en un quart d’heure, irrévocable » : « je suis un homme de déclic, s’amuse-t-il. Depuis, je ne me suis plus jamais posé de questions sur ce que je voulais faire ». L’ex-étudiant fait ses armes dans la boutique paternelle et repart une formation pour obtenir un CAP puis un brevet professionnel.
En 2007, à peine diplômé, face au déclin du nombre d’apprentis, il crée avec des confrères, l’association des jeunes bouchers aveyronnais pour conserver une filière de formation dans le département. Depuis, les effectifs ont été multipliés par 10. En 2011, le jeune artisan décide de voler de ses propres ailes et s’installe en dehors du centre-ville.
De fait, explique-t-il, « avec mon père, je m’entendais mieux le week-end qu’au travail ! » Dans ce local immense, les débuts sont difficiles. « J’ai eu des désillusions, avoue-t-il. J’ai perdu 100 K€ la première année. J’ai vite compris ce qu’étaient la vraie vie, le monde du travail et l’entrepreneuriat. Ces débuts difficiles m’ont permis d’apprendre à gérer une entreprise ».
Un apprentissage douloureux qui se fait sur le tas : « On sort de formation très bon technicien. Or, aujourd’hui dans nos métiers, c’est important, mais ce n’est pas suffisant. Il faut avoir toutes les casquettes : celles de manager et de technicien, parce qu’il faut savoir de quoi on parle. Il faut aussi être communicant, gestionnaire, faire un peu de prospective pour imaginer comment sera le business dans quelques années pour essayer de s’adapter… Il n’y a pas beaucoup d’école pour devenir entrepreneur, c’est une manière d’être qui nécessite un grand sens de l’adaptabilité, de savoir se remettre en question, se poser, analyser et prendre les bonnes décisions ».
L’artisan qui n’a pris qu’un seul jour de congé durant cette première année, se dit qu’il ne peut pas en faire plus. « Je me suis alors demandé comment faire mieux ou faire autrement ». Pierre Azemar décide « de travailler sur le panier moyen, de gagner en attractivité et donc d’être sur les réseaux sociaux ».
Ce qu’il continue de faire aujourd’hui. L’artisan est très présent sur Facebook, met en scène son équipe, fait des comparatifs entre ses produits et ceux du hard discounter du coin, vendus plus cher… Des efforts payants puisque depuis, l’entreprise connaît chaque année une croissance à deux chiffres. À l’époque, cette réflexion, l’artisan l’a menée seul.
« Nous avons autour de nous beaucoup de structures pour nous accompagner, mais en tant qu’entrepreneur, on n’a pas souvent la présence d’esprit d’aller les solliciter. »
« Aujourd’hui, à travers mes différents mandats, c’est une de mes préoccupations : comment faire pour être proactif, pour aller aider ceux qui en ont besoin, et qui n’en ont pas toujours conscience. »
« Ils ont généralement la tête dans le guidon, doivent gérer beaucoup de choses et ignorent souvent qu’ils peuvent être aidés. »
Une grande aide dans son secteur
Très tôt impliqué dans la représentation de ses pairs, Pierre Azemar a été élu en 2013 président du syndicat des bouchers aveyronnais. Il a également été membre de la commission prospective de la Confédération française de la boucherie, charcuterie, traiteurs.
Élu à la chambre de métiers et de l’artisanat de l’Aveyron puis président de l’institution à partir de 2021, il est aussi depuis mars de cette année président de la Confédération générale de l’alimentation en détail (CGAD) d’Occitanie. Le mois suivant, suite au départ pour raison de santé de Patrick Puel, il a pris la présidence de l’U2P régionale.
Le syndicat patronal représente et défend les artisans, les commerçants de proximité et les professionnels libéraux, « des entreprises de l’humain, à taille humaine, ancrées sur le territoire ».
Soit en région quelque 328 000 entrepreneurs. « Je voulais faire en sorte de m’ouvrir aux autres, résume le chef d’entreprise. Cela m’a permis de sortir de mon magasin, de voir comment mes confrères fonctionnaient. J’ai beaucoup appris des autres, en discutant librement. J’ai des amis artisans et chefs d’entreprise avec lesquels j’échange régulièrement et avec qui on refait le monde pour comprendre les nouveaux modes de consommation, etc. »
Cet « optimiste anxieux » n’a que rarement des regrets. « On avance, on essaie, explique-t-il, car d’une expérience, on peut toujours tirer des bonnes pratiques pour progresser. Je suis vraiment pour l’expérimentation, le fait de tenter : on apprend tellement plus des autres que de soi ».
L’homme, qui fait aussi partie du Centre des jeunes dirigeants, en est persuadé : « le principal frein d’une entreprise, c’est le chef d’entreprise. Il faut une certaine ouverture d’esprit, une capacité à se remettre en question pour mieux gérer son entreprise et améliorer les interactions avec les collaborateurs. C’est très intéressant et surtout nécessaire pour pouvoir fonctionner dans de bonnes conditions ».
À la tête de l’U2P régionale, le dirigeant ruthénois aura fort à faire. Une étude parue en mai réalisée à la demande de l’organisation patronale indique en effet que les entreprises de proximité ont été rattrapées par l’inflation.
« Une entreprise sur cinq déclare que sa trésorerie s’est dégradée au premier trimestre, pointe Pierre Azemar. En parallèle, nos entreprises recrutent énormément. À l’échelle nationale, ce sont 800 000 emplois qui ne sont pas pourvus dans les entreprises artisanales. C’est considérable, sachant que ces difficultés de recrutement peuvent être un frein au développement : les entreprises ne peuvent pas aller sur de nouveaux marchés et ont du mal à se projeter. Il nous faut donc être très vigilant sur la manière d’accompagner nos chefs d’entreprise, leur donner des outils pour se digitaliser, mais aussi développer l’attractivité de nos métiers, travailler sur le dialogue social, etc. C’est ce qu’on a fait avec le Pacte à l’embauche qui permet grâce à des fonds de la Région de financer des audits RH. Nos entreprises sont porteuses de sens et de valeurs. C’est une chance. Il faut faire en sorte que tous nos chefs d’entreprise aient cette notion en tête. Les artisans, les commerçants de proximité et les professionnels libéraux ont une histoire. Il faut que collectivement, on arrive à construire notre avenir. »