Thomas Devineaux
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Thomas Devineaux

Facteur de la transition.

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Photo de Thomas Devineaux
Thomas Devineaux (Crédit : DR)

Refaire le voyage de l’explorateur islandais Leif Erikson à travers l’Atlantique nord à bord du drakkar le plus rapide du monde, c’est le rêve en apparence complètement fou de Thomas Devineaux, un chef d’entreprise de 31 ans, fondateur, avec ses amis Paul Gely, Baulieu de Reboul et Guillaume Ferec, de l’association la Compagnie du Bátar, – « bateau » en islandais –, qui porte le projet.

Une entreprise à succès

Il est aussi le cofondateur de Louis, une marque de mobilier de bureau en bois, écoresponsable, fabriqué à Toulouse qui a réalisé une levée de fonds de 1,5 M€ en 2019 et qui aujourd’hui, face au succès de ses créations, est obligée de pousser les murs de son atelier de la route de Baziège à Labège dont la surface aura triplé d’ici la fin de l’année.

À la cale du radoub à Toulouse, un monstre de bois 28 mètres de long sur six de large est donc en cours de construction grâce à une cohorte de bénévoles – près de 400 aujourd’hui dont 50 très assidus – qui s’activent chaque semaine sur le chantier.

Doté d’une voile de 187 m2, Orkan devrait prendre la mer en 2025 avec à son bord une jolie bande de doux dingues. Thomas Devineaux n’en est cependant pas à son coup d’essai. Cela fait plus de 10 ans qu’avec sa bande de copains, il conçoit et fabrique, depuis l’abattage des arbres dans la forêt jusqu’aux finitions, en passant par la conception des machines de découpe, des drakkars et mieux encore, qu’il navigue avec.

Deux ont déjà été mis à l’eau : une première embarcation de cinq mètres de long puis un modèle plus grand – 12 mètres – avec lesquels les apprentis vikings qui n’ont décidément peur de rien s’aventurent en mer entre le Danemark, la Suède et la Norvège, au fil d’aventures épiques qu’ils racontent en images et partagent très volontiers sur les réseaux sociaux…

L’envie lui est venue en 2011. À l’époque, Thomas Devineaux est en prépa au lycée Saliège à Toulouse – il intégrera ensuite l’Estia, une école d’ingénieurs basée à Bidart dans les Pyrénées Atlantiques et dédiée aux technologies industrielles puis Cranfield university, au nord de Londres.

Un projet de longue haleine

Avec ses amis, eux aussi passionnés d’histoire, il cherche un projet qui leur permettra de garder le contact. Habitué à « bâtir des cabanes, des trébuchets », en parallèle de ses études il se lance avec eux dans la construction de ce bateau « mythique ».

« On a abattu un chêne, acheté une première machine pour le débiter en planches puis créer notre propre machine à commande numérique parce qu’on n’avait pas de budget. On n’avait pas peur de se tromper. Cela nous a appris énormément. »

Au fil du temps, pour pouvoir financer la poursuite de son projet, le petit groupe d’amis qui « n’y connaissent rien », se lance dans le design et la fabrication de meubles de bureau avec l’idée de révolutionner le marché.

Le succès est au rendez-vous. Au point que les néoentrepreneurs décident de faire les choses plus sérieusement en rejoignant l’IoT Valley (jusqu’à l’an dernier) puis en intégrant le programme d’accélération de Techstars Paris.

Au début simple « extension du projet Bátar », la marque Louis voit le jour avec une mission : « créer des bureaux pour les équipes, des produits chaleureux, bien faits et bien pensés pour leur donner envie de se retrouver et de venir au bureau. » Des meubles personnalisables, réutilisables et recyclables.

Depuis la jeune pousse, qui emploie 19 personnes, a pris son essor : elle a enregistré l’an dernier « malgré le Covid et la guerre en Ukraine », une progression de 40% de son chiffre d’affaires et table sur un triplement de son activité cette année.

Ses créations en contreplaqué de bouleau issu de forêts FSC éco-gérées, offrent de confortables espaces de travail dans le quartier de la Défense à Paris, comme en région Occitanie, au sein de grands groupes et d’ETI comme dans des PME et des start-up.

Louis est ainsi devenue en cinq ans, une « marque forte », portée par une équipe, une culture et des valeurs : notamment l’égalité femmes hommes – depuis quelques mois, l’entreprise, qui emploie 40% de femmes, a mis en place un congé menstruel – et le développement durable, l’inépuisable moteur de Thomas Devineaux.

Le développement durable au coeur des activités

« Tous les jours, en France, on jette 15 000 bureaux à la poubelle et la triste réalité, c’est que 93% d’entre eux sont brûlés ou enfouis. Même si un industriel vous dit que ses produits sont recyclés ou recyclables, d’un point de vue factuel, tout est valorisé de manière calorifique. »

Une aberration qui révulse le dirigeant. « Nous qui ne venons pas du monde du meuble, nous avons beaucoup réfléchi sur l’impact carbone. C’est, du reste, vraiment notre raison d’être : on n’est pas là pour faire des meubles pour se faire plaisir ou juste faire du design. Nous pensons que dans le secteur du BtoB il y a beaucoup de choses à changer », sachant que les entreprises seront les premières à faire leur transition, avant le particulier.

De fait, poursuit-il, « l’industrie du mobilier est ultra-polluante, elle est responsable de 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce qui est énorme. »

« Cela s’explique par le fait que le marché est occupé par des industriels qui se sont développés dans les années 70- 80 dans une logique ultraconsumériste, à savoir produire en grande quantité des éléments ou du mobilier de qualité médiocre vendus le plus cher possible dans une optique de renouveler le plus vite possible une partie de ses clients. »

« Dans le BtoB, on est ainsi sur des cycles de trois, cinq ou sept ans. D’un autre côté, tout est pensé pour que le mobilier ne soit pas réparable, pas réutilisable et pas recyclable. Qui plus est, recycler consomme énormément d’énergie. C’est juste remettre une pièce dans la machine de ces gros industriels qui ont besoin de grosses quantités de matières brutes ou de déchets pour faire fonctionner leur système. »

Pour Thomas Devineaux, de fait, l’enjeu est simple : « proposer un produit que l’on ne va pas jeter, que l’on sera capable de réparer et de réutiliser, remettre à neuf et revendre. Selon l’Ademe, les deux seules façons de stocker durablement du CO2, ce sont l’océan et la forêt, par exemple en mettant en oeuvre du bois pour la construction. Pour une tonne de bois mise en oeuvre, on considère que ce sont 2,5 tonnes de CO2 qui sont stockées. Mais ce n’est vrai que, si et seulement si, pendant 80 à 100 ans, ce bois n’est pas détruit. C’est donc un véritable challenge que de penser un mobilier qui tienne ces 80 années, qui soit capable de supporter plusieurs cycles de vie. C’est ce que nous faisons chez Louis. »

« Nous avons développé nos propres procédés pour être la première marque en Europe à développer un mobilier que l’on peut remettre à neuf à l’infini. »

Au-delà de la fabrication locale, pour mettre en oeuvre ses principes, l’équipe de Louis a donc opté pour « des forêts écogérées, des finitions qui respectent l’environnement et l’utilisateur et un choix de matériaux dans la conception et l’assemblage qui nous permettent de livrer à plat, d’être monté par n’importe qui et surtout d’être facilement démonté et remonté autant de fois que souhaité. Si vous voulez favoriser la réparabilité de votre produit il faut en effet qu’il soit démontable avec des outils classiques. Cela signifie aussi garantir l’accès à vie aux pièces détachées à un tarif standard. »

Avec ses meubles écoconçus, Thomas Devineaux espère ainsi accélérer la transition écologique de ses clients.

« Aujourd’hui, un produit qui sort de notre atelier divise par 10 son impact carbone par rapport à un meuble classique du marché. Et cet impact est même divisé par 50 si l’on prolonge la vie du meuble sur ces fameux 80 ans. C’est ce qui nous permet d’améliorer le bilan carbone de nos clients. Sachant que dans le tertiaire, le mobilier représente 30% de l’impact carbone d’une société. Or, avec nos 2 000 produits mis en circulation depuis notre création, nous avons déjà pu économiser 500 tonnes de CO2, c’est dix fois plus que ce que peut générer la réutilisation d’un téléphone mobile par exemple. Cela montre bien que le mobilier est un levier d’action considérable pour les entreprises du tertiaire et que nous représentons l’option à privilégier pour toutes celles qui souhaitent améliorer leur bilan carbone. »