En s’inscrivant sans grande conviction à la 7e édition du championnat du monde du cassoulet de Toulouse organisé par les Chevaliers du Fiel, Romain Brard, le chef du Genty Magre, espérait au mieux obtenir « une ligne dans le journal », de manière qu’on parle un peu de son établissement, niché entre le Capitole et Esquirol. Il était loin de se douter qu’en remportant le 23 janvier dernier le grand prix du jury présidé par Michel Sarran, cela déclencherait un tel emballement médiatique.
S’il est ravi de cette récompense, depuis, il passe tous ses samedis à cuisiner du cassoulet ! Un plat de terroir, « pas compliqué à faire » assure-t-il, inscrit à sa carte depuis toujours. Un plat surtout très convivial, bien à l’image du chef qui prévient dès l’abord : « Ici, pas de trait de purée ou de cuisine “pince à épiler’’, nous servons des plats équilibrés, riches et généreux. »
20 ans après s’être installé dans la Ville rose, alors qu’il est désormais seul au fourneau, il prend toujours plaisir à préparer cette cuisine « bourgeoise », servie par sa compagne Priscilla, une cuisine, qui change d’ailleurs très souvent au gré des envies et des humeurs de ce gamin de Toulouse, parti très loin bâtir sa propre expérience.
Pas de grand-mère cuisinière, ni de vocation affirmée dès l’enfance chez Romain Brard. Tout juste un oncle restaurateur à Paris où ses parents, originaires de la Capitale, descendus à Toulouse depuis les années 70, l’envoient passer des vacances. Ce fils d’un assureur installé au coin de la rue a opté pour la voie professionnelle après un bac éco obtenu au Caousou.
Un déclic pour la cuisine
« Je ne voulais pas aller en école de commerce, suivre plus ou moins la même voie, explique Romain Brard. J’aimais fabriquer des choses. » Une conseillère d’orientation le met sur la voie de la filière hôtellerie-restauration. Après une année de mise à niveau, il effectue un stage de quatre mois au Relais de la Poste à Magescq, dans les Landes, chez les frères Coussau, un deux-étoiles Michelin, qui le confirme dans son orientation.
« C’était la première fois que je mettais les pieds dans une cuisine et cela m’a vraiment plu ! », se souvient-il. L’année suivante, il effectue un bac pro turbo en alternance chez Dominique Toulousy, aux Jardins de l’Opéra. Une autre « bonne équipe ». Romain Brard a 19 ans, lorsqu’il pose ses valises à New York. Grâce à des connaissances de son oncle, le Toulousain a trouvé une place au Daniel, un des restaurants du chef lyonnais Daniel Boulud, rien de moins. « Je voulais à tout prix éviter d’aller travailler à Paris », assure-t-il dans un sourire.
Dans cet établissement doublement étoilé, on pratique une cuisine fusion, mêlant les influences, asiatiques, italiennes… « Une révolution pour moi, par rapport à ce que j’avais appris à l’école hôtelière », reconnaît le quadra. Le jeune cuisinier grimpe les échelons et devient chef de partie. Le 11 septembre de cette même année, deux avions s’écrasent sur les tours du World Trade Center. Alors que son visa expire en janvier suivant, pendant les trois derniers mois qu’il lui reste à passer sur le sol américain, comme dans beaucoup d’autres établissements, il cuisine avec une quinzaine d’employés du Daniel pour les centaines de sauveteurs travaillant à Ground Zero. « J’avais le sentiment d’être utile à quelque chose », se souvient-il.
Un cuisiner Globe-trotter
Après deux ans passés aux États-Unis, Romain Brard met le cap sur le Japon. Ne sachant ni parler ni lire la langue du pays, les débuts sont un peu plus compliqués. Il finit par intégrer un restaurant japonais puis atterrit dans les cuisines du Sofitel Tokyo aux côtés de Christophe Paucod, un autre chef lyonnais très renommé.
Il fera également l’ouverture du Four Seasons… Mais le Français se lasse des charmes de la vie tokyoïte : 12 jours de congé par an, des heures de transport, peu de liberté. « Je me sentais pris dans un étau », se souvient il. De fait, Romain Brard a depuis le début l’envie de travailler pour lui, de fonder son propre établissement.
« J’aurais pu le faire aux États-Unis ou au Japon. Il aurait fallu que je sois patient ! ». En 2004, à l’expiration de son visa, le voilà de retour à Toulouse. Le cuisinier rejoint pendant quelques mois les brigades de Dominique Toulousy, pour en quelque sorte, après plusieurs années d’expatriation, retrouver ses marques dans la Ville rose. Rue Genty Magre, il trouve facilement un local et ouvre, à 25 ans, son restaurant.
Lancement à succès
« La mayonnaise a pris très rapidement. C’était une autre époque : Top Chef n’existait pas, la restauration française à ce moment-là, c’était soit les grands étoilés, soit de la grillade-frites. Entre les deux il n’y avait quasiment pas d’offres. J’ai commencé à faire de la gastronomie, pas d’étoilé, mais un peu fusion, et de fait on a très vite très bien travaillé. »
Au point que l’équipe s’étoffe jusqu’à comprendre une vingtaine de personnes. Le restaurant sert 200 couverts par jour et monte en gamme… En 2011, Romain Brard rachète le restaurant voisin pour en faire un salon de thé, le Petit Magre, et mutualise les équipes. Nouveau succès rapide. Trop peut-être. En 2016, le cuisinier décide de tout vendre. Son rêve : faire un tour du monde à la voile avec ses enfants âgés de 10 à 7 ans à l’époque.
« J’avais fait des stages aux Glénans, je louais des bateaux et je projetais d’acheter un voilier », se souvient Romain Brard. Mais la même année, un divorce met un terme au projet. Le Petit Magre très vite vendu, le chef reprend du service à la tête du restaurant. « Il fallait que je gagne ma vie, que j’assure le quotidien. Sans regret, assure-t-il. On s’adapte. »
Le cuisinier devenu chef d’entreprise finit par se sentir comme « bloqué par la machine ». « Je n’avais plus de poste attitré. J’étais chef mais je ne cuisinais quasiment plus. Je ne savais pas ce qu’il y avait dans mes frigos… Je m’occupais d’autres choses. » Trois ans plus tard, le Covid vient bouleverser une nouvelle fois sa vie.
Nouveau départ
« Dès le premier confinement, j’ai proposé une rupture conventionnelle à la totalité de mon personnel ». En juin, lorsque Romain Brard rouvre son restaurant, avec Priscilla, qui partage désormais sa vie, « il y avait un échafaudage et des travaux juste devant ma porte. Autant vous dire que je n’étais pas bien ! »
Au printemps 2020, Romain Brard a donc repris seul le chemin des fourneaux, et sa compagne, qui a intégré l’équipe quelques années plus tôt, occupe le poste de maître d’hôtel et de sommelière. « Pendant toute l’ère Covid, nous avons surfé tous les deux, en alternant la vente à emporter et les périodes d’ouverture. Alors que j’étais à jour de tous mes crédits, il était hors de question que je prenne un PGE. On a tapé dans la trésorerie et on a travaillé comme on pouvait pour maintenir la baraque. »
Le couple fusionnel – « on est ensemble H24 depuis quatre ans maintenant et je ne pourrais plus rien faire sans elle ! », avoue Romain Brard – écrit une nouvelle page de l’histoire du restaurant. « De - puis le Covid, ce nouveau Genty Magre, on l’a fabriqué à deux. Il y a une vraie renaissance dans la cuisine, dans l’envie de faire découvrir les plats, d’accueillir les gens. Il y a quelque chose, que même en 2004, je n’avais pas ressenti à l’ouverture de l’établissement. Quelque chose qui nous tire vers le haut. Et les clients nous le rendent bien puisqu’il y a tout le temps du monde. »
Désormais sans salarié, le duo a radicalement changé de vie. « Nous assurons un seul service de 35 couverts le midi et le soir. Nous travaillons quatre jours par semaine du mercredi au samedi et nous fermons en juillet et août. Et on vit beaucoup mieux », assure Romain Brard, qui ne court plus après la fortune.
« Je ne cherche pas à avoir trois étoiles, ni même une. Ce que nous voulons, c’est contenter nos clients et passer de bons moments au quotidien dans notre travail ». En attendant d’aller défendre son titre de champion du monde du cassoulet de Toulouse au Japon, le Toulousain a peut-être tout simplement trouvé la recette.