Elle n’a pas encore atteint la trentaine et pourtant cette brune aux cheveux bouclés et aux yeux qui pétillent de convictions, a la tête sur les épaules. Roxane Régnier aide les femmes actives à se sentir légitimes dans le milieu professionnel via l’organisme de formation et d’accompagnement à Toulouse, Misfit, qu’elle a créé pendant le premier confinement. Roxane Régnier assure que « si le contexte était favorable pour monter ce type de structure, mon idée avait germé depuis un moment dans mon esprit ». Au fil de son parcours, jalonné de postes à responsabilités, notamment au service marketing d’une start-up et d’un grand groupe, elle a notamment été confrontée aux problématiques du syndrome de l’imposteur qui touche plus particulièrement la gente féminine.
Un ressenti multiplié par trois chez les femmes qui serait essentiellement nourri par des stéréotypes de genre véhiculés depuis l’enfance : des performances sous-estimées, une peur de l’échec, un manque de confiance en soi et d’estime, etc. « Il s’agit d’un décalage entre nos compétences et nos capacités telles qu’on les imagine et ce qu’elles sont réellement », souligne l’entrepreneuse avant de poursuivre : « Au cours de mes expériences professionnelles, j’ai parfois eu une posture et un comportement différent en présence d’hommes et de femmes. Je n’osais pas dire non. J’avais toujours ce besoin de prouver ma valeur, ce qui m’a conduit à l’épuisement, et à un burn-out. Le fait de ne pas être heureuse dans sa vie professionnelle est ainsi un sujet qui me touche profondément car nous passons la moitié de notre temps au travail. C’est une grande partie de notre vie qui est impactée ».
De fait, sa structure, qui a démarré sur les chapeaux de roues à l’été 2020, regroupe pour l’heure une dizaine de collaborateurs dont six coaches et deux psychologues de travail spécialisées dans l’accompagnement de femmes, la réorientation professionnelle et le lancement de projet entrepreneurial. 2022 verra l’arrivée de trois coaches supplémentaires. « Nos coaches sont capables de traiter tous les sujets autour de l’épanouissement professionnel et ont toutes été concernées par ces problématiques. Lors du lancement de Misfit, nous avons proposé des bilans de compétences originaux qui différent de ceux que les structures spécialisées proposent et qui s’illustrent généralement à travers des tests et une simple liste de métiers. Nous en avons effectué 150 depuis notre création. Le modèle fonctionne très bien. Nous donnons à ces femmes la possibilité d’être actrices du changement et d’aller vers les pistes qu’elles convoitent sans s’autoriser à s’en donner les moyens. Nous avons jusqu’à présent accompagné majoritairement des profils souhaitant se lancer en tant que freelances, des managers et des entrepreneuses enclines à développer un syndrome de l’imposteur », détaille-t-elle.
Une âme de compétitrice
La dirigeante a ainsi misé sur un accompagnement en profondeur, de femmes âgées de 26 à 40 ans, avec un coaching individualisé pour pointer et chasser le syndrome de l’imposteur, notamment à travers cinq entretiens. « Le questionnement constitue le coeur de notre démarche. Les clientes ont également accès à des outils d’auto-coaching en e-learning, à des témoignages, etc. Des visio-conférences collectives sont également organisées toutes les deux semaines ». La jeune femme a de la suite dans les idées avec de nouveaux programmes en vue pour la nouvelle année tels que des ateliers, de nouveaux outils, des retraites , de nouvelles méthodes. « Nous revisitons notamment le jeu du tarot, ce qui peut sembler ésotérique mais ne l’est pas. Ce n’est pas la coach qui pose la question mais la carte, ce qui donne plus de neutralité et d’efficacité à notre entretien ».
« Je saisissais les défis et projets tous azimuts qui se présentaient à moi en quête de reconnaissance, et pour prouver ma valeur. Cependant, à ne pas savoir dire non, je me suis brûlé les ailes. »
Cette Toulousaine pure souche a pourtant failli suivre une route toute tracée en tant qu’ingénieure, marchant ainsi dans les pas de ses parents, l’un évoluant dans le groupe Airbus, l’autre au sein de Thales. Portant au fil des années l’étiquette de première de la classe, avec une âme de compétitrice chevillée au corps depuis son plus jeune âge, cette créative qui aime manier pinceaux, crayons et outils de couture pendant son temps libre, rêve alors d’embrasser une carrière à responsabilités. « J’ai commencé à me projeter dans des postes à responsabilités au moment où j’ai intégré le monde du travail, mais je ne pensais pas, à l’époque, me lancer dans l’entrepreneuriat. J’ai failli également rejoindre une école d’art mais finalement j’ai opté pour une école d’ingénieur après mon bac car le côté gestion m’attirait énormément. »
Pour autant, lors de son premier stage en entreprise au sein du groupe l’Oréal, l’étudiante ne se sent pas dans son élément et déchante. « Je me suis dit : “Mais qu’est-ce que je fais là ?” Lorsque j’ai annoncé à mes parents mon souhait de tout arrêter, ils sont tombés de leur chaise car, pour eux, le métier d’ingénieur représentait sans hésitation mon avenir. Ils m’ont éduqué avec un modèle de vie professionnelle statique. Pour eux, ce qui compte, c’est la stabilité et la sécurité, contrairement à moi. » À l’aube de la vingtaine, elle réalise un accompagnement avec une conseillère d’orientation pendant trois mois, lequel révèle noir sur blanc que cette voie ne lui convient pas. « Il a fallu le résultat d’un test pour que mon entourage, doté d’un esprit très cartésien, accepte cette réalité », confie-t-elle.
Une quête du sens professionnel
Ni une ni deux, la jeune femme emprunte le chemin du commerce à l’Essec en région parisienne, un milieu qui correspond davantage à son besoin de créativité et à sa fibre entrepreneuriale. Elle s’investit et s’épanouit pleinement dans la création d’une association dédiée au « Do it yourself », « ce qui ressemblait déjà à la gestion d’une petite entreprise », et choisit, encore une fois, un stage en marketing, dans une grosse boîte du CAC 40. « Sans surprise, je n’étais pas encore là où je devais être ». S’ensuit un semestre d’échange avec une université au Chili, et une période de voyages, sac au dos. À son retour, le diplôme pas encore en poche, elle est recrutée par la start-up Hostnfly, une conciergerie Airbnb, en tant que responsable marketing, avec pour mission de faire grossir le portefeuille de la pépite parisienne, passant de 10 à 1 000 clients, en un an.
Cette expérience qu’elle qualifie de « très enrichissante » prend pourtant fin 12 mois plus tard, estimant que « mes tâches étaient en contradiction avec mes valeurs, en plus d’en avoir fait le tour ». Elle rejoint alors Seedstars, un réseau international dédié aux start-up et marchés émergents, en vue de développer le service marketing dans 65 pays depuis des bureaux basés au Portugal. Un challenge grisant, ponctué de déplacements réguliers en Amérique latine et en Europe de l’est… Un poste rêvé, une vie à 100 à l’heure mais qui atteint rapidement ses limites au bout d’un an et demi. « Je travaillais énormément et j’ai fini par me casser les dents. Je saisissais les défis et projets tous azimuts qui se présentaient à moi en quête de reconnaissance, et pour prouver ma valeur. Cependant, à ne pas savoir dire non, je me suis brûlé les ailes. Ce quotidien m’épuisait », se souvient-elle.
« J’ai souhaité centrer le programme sur la notion d’état d’esprit, sur la façon de percevoir les choses et de les appréhender »
Au sortir d’un burn-out, la jeune femme se met en quête de sens professionnel, le Graal des nouvelles générations. « J’ai pris le pari d’écouter cette petite voix en moi qui me répétait que j’avais le profil de coach. De plus, j’ai toujours été fascinée par les sciences comportementales. » En 2019, elle décroche ainsi une mission pour lancer un programme d’incubation destiné aux étudiants et jeunes diplômés de l’écosystème de l’IoT Valley à Toulouse et devient ainsi coach de graines d’entrepreneurs. Néanmoins, la jeune femme a le sentiment qu’elle doit lancer elle-même sa propre affaire.
Croire en ses capacités
« J’ai monté un programme de A à Z pour permettre à 15 équipes de jeunes de lancer une start-up en six mois, mais j’avais envie d’être à leur place. Il s’agissait d’un appel à projet émanant de la Région. J’ai souhaité centrer le programme sur la notion d’état d’esprit, sur la façon de percevoir les choses et de les appréhender, par exemple à travers l’apprentissage du poker. Cela permet, en effet, de savoir prendre une décision malgré des réponses manquantes. Vivre ce genre d’expérience pour se lancer dans l’entrepreneuriat est pour moi nécessaire. Ce n’est pas en lisant des livres qu’on apprend à affirmer son profil de décideur et à gérer son appréhension au risque. J’ai également mis en place des situations d’autonomie en montagne, des séminaires de théâtre pour améliorer la prise de parole en public et des retraites de silence pendant trois jours pour comprendre ce qui se passe dans notre esprit. À ce moment-là, ils ont dû m’en vouloir ! », sourit-elle.
Développer ainsi une approche originale, qui sort du cadre, est plus que jamais l’objectif de la coach certifiée. « Rejoindre Misfit, ce n’est pas seulement entamer une réflexion de fond sur soi-même, c’est aussi un partage d’expériences. Nous faisons nous-mêmes évoluer nos pratiques via des coachings de pairs, de l’intervision, etc. Il en va de même pour nos outils. » Cette boule d’énergie, qui auparavant avait ce besoin de monter les paliers et cocher elle-même les cases pour se sentir légitime, délivre aujourd’hui un tout autre message aux femmes : croire tout simplement en leurs capacités et aller chercher au fond d’elles-mêmes leur rêve d’enfant.
Quand Roxane Régnier n’est pas à leur écoute, celle que l’on retrouve chez elle à confectionner ses habits, ou qui enchaîne des figures aériennes à plusieurs mètres au-dessus du sol accroché à un tissu, planche également sur l’écriture de son premier ouvrage. « Un livre manifeste qui portera le même titre que le slogan de Misfit : "Revendiquez-vous". Ce sera un clin d’oeil au célèbre Indignez-vous de Stéphane Hessel. Ce livre sera une invitation et un guide pour assumer et exprimer sa singularité », conclut-elle.