Faciliter le développement de solutions thérapeutiques pour les maladies du système nerveux, c’est ce à quoi s’emploie depuis quatre ans Sophie Pautot et son équipe de Synaxys, la start-up qu’elle a créée en 2018 avec Michel Fareng, aujourd’hui hébergée au centre Pierre-Potier sur le site de l’Oncopole. Spécialisée dans l’ingénierie neuronale, la pépite toulousaine développe des modèles 3D uniques, basés sur l’utilisation de cellules souches neuronales capables de reproduire les propriétés fonctionnelles du cerveau. Un modèle de culture, le premier du genre, capable de prédire les réponses de notre système nerveux. Destiné à la recherche préclinique, ce modèle in vitro, qui permet de remplacer l’expérimentation animale, a en effet la capacité d’accéder à des informations fonctionnelles localisées en trois dimensions et corrélées dans le temps.
« Dans le système français, on est une bête de concours ou on ne l’est pas. Et quand on est dyslexique, ce n’est juste pas possible ! »
Ces travaux ciblent plus particulièrement l’autisme, l’épilepsie, son modèle historique, la sclérose en plaques et la maladie d’Alzheimer. « Toutes les maladies du système nerveux sont des maladies sociétales avec un impact économique et social considérable parce qu’elles ne tuent pas mais empêchent les gens de fonctionner et les rendent dépendants. Tous les traitements disponibles sont des traitements palliatifs et ne font que repousser l’échéance », précise Sophie Pautot. La quinqua espère bien, grâce à ces « mini-cerveaux » accélérer le développement de nouveaux traitements et les rendre moins coûteux, plus éthiques aussi et avoir ainsi « un impact » sur la résolution de ce grave problème de société.
Pour achever l’industrialisation de sa solution, la start-up projette une seconde levée de fonds, après une première réalisée en 2020 à hauteur de 400 K€ qui a permis l’arrivée de Sandra Françonnet comme troisième associée. Un nouveau tour de table d’un montant bien supérieur, même s’il n’est pas encore totalement arrêté. « Le problème, déplore la docteur en physique, c’est que nous ne vendons pas un produit sur étagère, mais une base de données, une stratégie d’interprétation de ces données, un modèle de culture. Or, en termes de chiffrage d’impact, tant que la preuve par quatre n’a pas été faite sur le marché, les investisseurs institutionnels français sont assez frileux… » C’est d’autant plus frustrant que le modèle in vitro développé par Synaxys séduit.
Diplômée d’Harvard
« Lorsque vous discutez avec des grands groupes pharmaceutiques, tout va très bien jusqu’à ce qu’ils vous demandent la taille de l’équipe [cinq collaborateurs à ce jour, NDLR], et là on n’est plus dans leur tête. Ils aimeraient bien qu’on soit un peu plus gros, car qui dit gros dit stable. C’est satisfaisant de voir que le message passe chez eux, mais c’est frustrant de ne pas conclure. Oh, ils ne ferment pas la porte. Ils attendent… » Alors qu’elle accumule les succès, les projets et les prix, la chercheuse dit son impatience : « Qu’est-ce qu’il faut faire pour que tout le monde se réveille et comprenne que nous sommes sur une activité porteuse, que nous avons des outils de qualité et que pour concrétiser tout ça, il ne manque plus grand chose et essayer d’éviter l’inévitable parce qu’à un moment donné, nous allons finir par gagner suffisamment en visibilité et être sollicités pour nous expatrier, sachant que notre marché principal est aux États-Unis. »
Un pays qu’elle connaît bien. Cette Paloise a en effet obtenu son doctorat en physique à Harvard… après avoir raté le concours d’entrée à l’école vétérinaire. « Dans le système français, on est une bête de concours ou on ne l’est pas. Et quand on est dyslexique, ce n’est juste pas possible ! », s’amuse la quinqua. Elle n’en a pas moins intégré en même temps un Deug A et un Deug B à l’université de Bordeaux. « La prépa véto de l’époque était généraliste. J’avais donc tout découvert : la physique, la chimie, la biologie et aucune envie de renoncer », explique-t-elle. Une double vie qui amuse beaucoup son prof de chimie quantique… C’est en DEA, qu’elle finit par choisir la chimie physique.
« Le révélateur a été la fin de ma maîtrise. J’ai eu l’opportunité de passer un été au Canada, dans le cadre de mon projet de fin d’année. Et pendant neuf semaines, j’ai découvert le mode de fonctionnement de la recherche anglo-saxonne. C’est un électrochoc dont on ne se remet pas. Ce qui est frappant outre-Atlantique, c’est l’autonomisation des étudiants. En France, à l’époque, on n’avait pas le droit d’aller dans les laboratoires, pour des questions d’assurance et un stage volontaire, non rémunéré, n’était absolument pas possible. » À la fin de cet été à Ottawa, son responsable lui propose de rester faire sa thèse. « À l’époque, passer cinq ans loin de ma famille, je n’étais pas prête à sauter pas. » Le retour en France est cependant difficile. « J’ai bien compris que j’allais avoir du mal à vivre bien dans ce système ».
« Tout mon parcours a d’ailleurs été une absorption des connaissances des gens avec qui j’ai travaillé »
Elle postule dans différentes universités et opte pour Harvard et la physique. « Mon directeur de thèse me disait “Tu verras ce pays grandit en toi”. Et moi, en bonne Française, je lui répondais : “not a chance”. Et puis si ! Parce qu’il y a, là-bas, un sens de la liberté, l’absence de jugement côté universitaire. On est jugé sur ce qu’on a fait et personne ne vous reproche vos choix. » L’aventure américaine durera 12 ans, de la côte Est à la côte Ouest. Après avoir cofondé une première start-up à Boston, elle part en effet faire un post-doc dans un laboratoire de biologie à Berkeley. Elle travaille sur les contacts entre neurones puis sur la refabrication de réseaux de neurones et la transplantation cellulaire. C’est avec ces résultats en poche qu’elle revient en Europe, en Allemagne pour travailler au centre de thérapie régénérative de Dresde.
« C’est là que toute la maturation scientifique s’est faite parce que jusque-là, on avait compris 10% de ce qui se passait. Là, j’ai bénéficié d’un environnement composé de spécialistes de cellules-souches. J’ai fini ma conversion à leur côté. Tout mon parcours a d’ailleurs été une absorption des connaissances des gens avec qui j’ai travaillé. Parfois j’ai l’impression d’avoir été un petit parasite ! J’ai toujours été entouré de personnes désireuses de partager, d’échanger, de communiquer, pour que la science, qu’on réalise dans l’équipe, puisse évoluer. » À Dresde, forte de ses acquis, elle envisage la création d’une nouvelle start-up.
Suivre son intuition
« Mais une fois le dossier assemblé et complet, on m’a fait comprendre que je ne pouvais pas porter le projet : ce devait être un Herr Professor Doktor, un he plutôt qu’un she, et définitivement pas une Française… Sauf que c’était mon projet. À cette époque, à Toulouse, l’Itav, une unité de recherche du CNRS, cherchait à accueillir des projets de valorisation de la recherche académique. J’ai passé les oraux du comité scientifique en juin 2014. Sans cette unité du CNRS, je ne serais pas arrivée à Toulouse et serais probablement repartie aux États-Unis. » En 2018, Sophie Pautot crée Synaxys, puis deux ans plus tard vit difficilement le départ de l’Itav du centre Pierre-Potier. Grâce notamment au soutien de Toulouse Métropole, elle peut cependant poursuivre ses activités. Est-elle tentée de repartir à l’international ?
« C’est une question récurrente. Je sais pourquoi je la combats : à vivre autant à l’international, on devient chauvin ! Autant je suis intarissable sur les problèmes du système français, autant je ne supporte pas le french bashing ! Je n’en avais pas conscience aux États-Unis mais en Allemagne, tous ces commentaires à connotation dérogative sur les Français étaient insupportables. J’aimerais que Synaxys reste sous la bannière tricolore et je pense que c’est bien parti pour. En revanche, si on s’aperçoit qu’on s’épuise pour rien, nous sommes aussi pragmatiques que les autres », assure-t-elle. La scientifique, qui a souvent suivi ses intuitions, a le sentiment que « ça va le faire. Ça va bien se passer. Il y a suffisamment d’indicateurs positifs sur ce qui a été réalisé, les retours qu’on a de nos clients, pour se dire qu’on y est. C’est le même sentiment que j’avais lorsque je participais à des compétitions de ski. Après une semaine de stage intensif, on se retrouve au départ de la course, au portillon, et on est gonflé à bloc ! »