Thierry Gallardo
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Thierry Gallardo

Le temps suspendu.

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Photo de Thierry Gallardo
Thierry Gallardo (Crédit : DR)

Si le bonheur est dans le Gers, Lectoure pourrait bien en être l’épicentre. Cette petite commune, nichée au coeur de la Lomagne, est devenue un lieu de villégiature pour nombre d’artistes et de personnalités – elle accueille notamment, depuis 1993, le Centre d’art et de photographie, l’unique centre d’art contemporain dans le département.

« The place to be du Gers ! » s’amuse Thierry Gallardo. C’est là, en plein centre du village, qu’avec son conjoint Marc Darolles, il a ouvert il y a six ans une maison d’hôtes, l’hôtel particulier Guilhon, un édifice du XVIIe siècle. Rénové avec goût, il offre trois suites de luxe aux voyageurs du monde entier venus chercher le calme et la douceur de vivre gasconne.

Une étonnante reconversion pour Thierry Gallardo, qui, dans une autre vie, a été DRH au sein du groupe Pierre Fabre. Le choix du lieu, lui, n’a rien de surprenant.

Thierry Gallardo a de profondes racines dans le département où il a passé, enfant, tous les étés avec ses frères et soeurs, dans la maison de famille de Saint-Léonard, à 20 km de Lectoure, héritage d’une maman native du Gers, « grande cuisinière », qui lui a aussi transmis cette passion.

« Je me suis toujours intéressé à ça. Nous étions de ces familles où il fallait donner un coup de main à tout, et donc tout le monde est passé par la cuisine, il n’y avait pas de différence entre les filles et les garçons. »

Cuisinier, c’est d’ailleurs ce que Thierry Gallardo aurait bien aimé devenir avant que son père ne l’en dissuade. Pour ce fils d’immigrés espagnols installés à Toulouse, qui a rejoint l’armée « pour s’en sortir » puis est passé par les Douanes, « ne pas faire d’études alors qu’il pouvait nous les payer, ce n’était pas concevable. J’ai laissé tombé et j’ai fait la carrière que j’ai faite. »

Le futur cadre supérieur, qui a grandi entre Perpignan et Agen, choisit d’étudier la psychologie sociale, à Toulouse, au Mirail. « J’avais une belle-soeur qui faisait des études de psychologie et qui me fascinait ! Au lycée, elle m’a fait lire tout un tas de bouquins de psycho et c’est vraiment l’intérêt des études qui m’a poussé à me lancer là-dedans », se souvient Thierry Gallardo.

Après un DESS, il poursuit son cursus à l’IAE et obtient un certificat d’aptitudes à l’administration des entreprises. Diplômes en poche, il intègre Florian Mantione Institut, un cabinet de ressources humaines. « J’y ai fait mes armes dans le recrutement et la formation. Mais ça ne me satisfaisait pas vraiment parce que faire du conseil sans avoir jamais vécu l’entreprise, c’est un peu particulier… »

Une carrière florissante remplit de défis

Thierry Gallardo postule alors au sein des Laboratoires Pierre Fabre où un poste vient de s’ouvrir. « J’ai été recruté sur un coup de hasard parce qu’ils avaient reçu je ne sais combien de centaines de candidatures. À l’époque, le groupe était dans une phase de recrutements incroyable : il embauchait des centaines de personnes tous les ans. De fait, il comptait 2 500 personnes quand j’y suis entré, et quand j’en suis parti, près de 10 000. »

Thierry Gallardo passera 25 ans dans cette « entreprise très exigeante ». « Je me suis plu dans cette culture. J’ai beaucoup aimé Pierre Fabre, sa manière de voir les choses et de diriger son entreprise. »

Recruté comme adjoint du responsable du recrutement des commerciaux, le nouvel embauché évolue vite. Il crée la fonction Relations écoles universités. « Le groupe se développant beaucoup, il était indispensable d’attirer les jeunes cadres. Or, à l’époque, Pierre Fabre, ce n’était pas Sanofi ou Glaxo, il fallait créer de la notoriété, de l’image au sein des universités. Pendant deux ou trois ans, je suis allé faire de la retape dans les forums pour essayer d’attirer les étudiants en stage pour les recruter ensuite ! »

Thierry Gallardo prend de plus en plus de responsabilités. « Je recrutais tous les cadres dirigeants directement avec Pierre Fabre même si je n’étais pas rattaché hiérarchiquement à lui. Comme pour tous ces patrons qui ont fondé leur entreprise, l’aspect humain était capital : il intervenait dans énormément de recrutements. Je travaillais donc beaucoup avec lui. La majeure partie du temps six jours sur sept ! Monsieur Fabre travaillait en effet tous les samedis, la journée où il était plus “relax” malgré tout. C’était le moment qu’il préférait pour qu’on lui présente des candidats autour d’un petit-déjeuner. Ça surprenait souvent ces derniers ! »

Au fil des réorganisations du groupe, Thierry Gallardo poursuit son ascension. Il se voit confier la direction des RH de la branche Dermo-cosmétique, à l’époque 4 000 personnes. En 2008, une nouvelle restructuration lui offre le poste de DRH International pour le groupe, une création. Les dernières années en fonction sont difficiles, marquées par « une guerre des chefs ».

À l’occasion d’une nouvelle restructuration, son poste est supprimé. « On m’a proposé la direction de la communication interne. En réalité, je voulais partir, parce que je ne m’y retrouvais plus du tout. J’avais besoin de nouveaux challenges. »

Thierry Gallardo refuse le poste, négocie son départ et clôt ce chapitre de sa vie. Inversion des rôles. À 53 ans, l’ex-recruteur au chômage passe des entretiens, mais difficile d’intégrer une autre structure après avoir passé autant de temps dans un groupe à la culture d’entreprise si forte. « En même temps, l’idée de créer mon entreprise me titillait depuis longtemps. »

C’est au cours de ses voyages que Thierry Gallardo trouve l’inspiration. « Nous avons été plusieurs fois aux États-Unis. En Nouvelle-Angleterre, je me souviens d’avoir été dans un manoir XVIIe que les propriétaires avaient entièrement restauré. Ils recevaient chez eux. Je trouvais ça génial. À l’époque, en France, c’était juste le début des bed-and-breakfast. Depuis, ici aussi, les chambres d’hôte de luxe se sont développées dans des demeures historiques. Nous avons séjourné dans certaines et je me disais que j’aimerais bien faire ça, si j’arrêtais chez Pierre Fabre. »

Un projet personnel de grande envergure

Thierry Gallardo convainc son conjoint, lui-même dirigeant d’un grand groupe industriel toulousain : « c’est forcément une chose qu’on fait à deux. » Le couple vend sa maison de Toulouse et une maison de campagne qu’il possède à Saint-Clar, tout près de Lectoure, et après quelques mois de recherche, fait l’acquisition de l’hôtel Guilhon.

Le vénérable édifice a fait l’objet de rénovations successives plus ou moins heureuses. Mais le potentiel est là. Thierry Gallardo, qui en est à sa quatrième rénovation de maison, se lance dans un gros chantier.

« Les travaux, ça ne me fait plus peur, plaisante-t-il. Une fois qu’on y est passé, on sait comment ça fonctionne : on a les clés pour que ça se passe bien, et les clés, c’est d’avoir de bons artisans, et de suivre les travaux, d’y être en permanence. »

Après un an de travaux, en septembre 2016, la maison d’hôtes ouvre ses portes et propose ces trois suites aux noms de musiciens, un spa qui a pris place dans les anciennes cuisines du XVIIe… Féru d’opéra, collectionneur d’art et passionné de design, Thierry Gallardo « s’est fait plaisir » côté déco !

« Mais au-delà du cadre et du décor, il y a aussi l’accueil, assure-t-il. Je me suis, pour ça, beaucoup inspiré de Pierre Fabre qui avait développé son propre centre de relations publiques, au domaine du Carla, avec un accueil très personnalisé. C’est ce que j’essaie de faire, avec un excellent niveau de confort, tout en faisant en sorte que les clients se sentent à l’aise. »

L’établissement a été remarqué très rapidement par les équipes de La Maison France 5 et le reportage, rediffusé plusieurs fois, a eu « un impact incroyable. On a été d’ailleurs totalement désorganisé. Nous avions prévu un plan de charge régulier et tout à coup, une nuée de réservations nous est tombée dessus. »

Aidé par deux employées à temps partiel, présentes depuis les débuts, Thierry Gallardo est aussi aux fourneaux. « C’est moi qui cuisine », affirme-t-il fièrement. S’il l’a beaucoup fait au début, aujourd’hui, c’est à la demande.

« Je me suis formé tout seul parce que cuisiner pour des amis et cuisiner pour des clients qui paient c’est tout à fait autre chose ! Des produits du terroir, du vin du Gers », assure-t-il ravi.

L’ancien DRH n’a aucun regret.

« Il faut avancer dans la vie. Quoi qu’on fasse, il faut le faire avec sérieux et détermination, suivre ses objectifs. »

« Je me suis beaucoup amusé à monter cette maison d’hôtes. Si nous étions un peu plus jeunes, j’en ferais un peu plus, nous aurions pu le rendre professionnel. Mais c’était trop tard. »

Le Covid et surtout une grave maladie diagnostiquée il y a deux ans, ont conduit le couple à revoir ses priorités. « On m’a donné un supplément de vie que je n’aurais peut-être pas eu il y a 15 ans. Vais-je l’occuper à travailler ou à faire des choses que je n’ai pas encore faites, comme aller à l’Opéra Bastille, des trucs idiots qu’on pense toujours pourvoir faire plus tard ? »

Le couple a un projet à plus long terme : « Faire un tour du monde pour aller dans tous les pays que j’ai envie de découvrir. Et il y en a beaucoup : je rêve de voir Angkor, la muraille de Chine, la Cité interdite… L’idée est de garder l’hôtel Guilhon ouvert une partie de l’année, et l’autre moitié du temps de faire des choses agréables : voyager, aller voir des opéras, les amis qu’on n’a pas vus depuis longtemps… »

Que lui souhaiter d’autre ?