Trésors cachés
Guillaume Suduca. Le trentenaire a su faire de sa passion pour les beaux objets et leur histoire un métier. Il est à la tête d’une toute jeune étude de commissaire priseur.
On peut difficilement rêver plus beau cadre de travail. Voilà des semaines, que Guillaume Suduca arpente les pièces de cet appartement du XVIIe siècle, situé dans le centre-ville toulousain, un havre de paix en plein tumulte urbain dont les fenêtres baignées de lumière donnent d’un côté sur la rue de la Dalbade et de l’autre, trois étages plus bas, sur l’avenue de la Garonnette. Sous ces très hauts plafonds à caissons peints, et le regard de la déesse de la fécondité qui orne une cheminée aux dimensions monumentales, le jeune commissaire priseur met la dernière main à la vente aux enchères qu’il organisera le 20 mai. C’est donc presque à regret et un pincement au cœur que le trentenaire rendra définitivement les clés de cette boîte aux trésors pour disperser un lot composé de belles pièces de mobilier, argenterie, livres, vases et autres rares objets de vitrine qui le meublaient ainsi qu’un tableau d’Eugène Carrière, peintre symboliste du XIXe, lequel devrait constituer le clou du spectacle.
Spectacle, le mot n’est pas trop fort car, comme il le reconnaît, Guillaume Suduca a suivi des cours de théâtre dans le cadre de sa formation pour devenir commissaire priseur. Rien d’étonnant en soi : susciter l’intérêt, entretenir le suspense, maîtriser l’art de la mise en scène, captiver l’attention sont quelques-unes des ficelles du métier. Et que ces ventes aient lieu dans son étude, rue du Languedoc, ou désormais en ligne, par écrans interposés, la recette, ou plutôt la finalité, est la même : générer du plaisir.
Et depuis qu’il a posé sa plaque et prêté serment, le commissaire priseur en prend beaucoup à pratiquer ce métier passion, même si cela n’a pas été son premier choix. Ce fils et petit-fils de médecins a d’abord voulu embrasser la carrière d’Hippocrate « par goût, parce que c’est un métier fabuleux, mais ça n’a pas marché », reconnaît-il. Le Toulousain n’a alors plus hésité.
« Je suis parti en droit avec un seul objectif : devenir commissaire priseur », passionné qu’il est depuis l’enfance par « la décoration, l’art, l’architecture, l’histoire de l’art ».
Par atavisme familial là aussi. « J’ai fréquenté très tôt les salles des ventes, se souvient-il. Mes parents, collectionneurs passionnés, achetaient toutes les semaines chez le marchand de journaux la Gazette Drouot ! Et ça, même en vacances, où dans le sud-est de la France, je me souviens de m’être levé, enfant, à 4 heures du matin, pour suivre mon père dans des déballages, des brocantes… » Un goût très prononcé pour la chine, les beaux objets et leur histoire, renforcé par la présence dans l’entourage familial d’un oncle architecte devenu galeriste, installé lui aussi dans la Ville rose.
à l’université Toulouse 1 Capitole, l’étudiant obtient un master 1 en droit privé complété par une licence en histoire de l’art à l’université Jean Jaurès. Ce double diplôme est le sésame pour intégrer la profession de commissaire priseur. Il complète cependant sa formation en intégrant l’école dédiée au marché de l’art de l’hôtel Drouot à Paris, le saint des saints. Une année qui lui permet de visiter, loin de la foule, les musées parisiens, les expositions, les ateliers de restauration et autres grands lieux du patrimoine… l’amateur d’art se régale.
A Toulouse, Guillaume Suduca multiplie les stages : chez Artcurial, auprès de Me Jacque Rivet à l’époque, au sein des études de Mes Marambat-de Malafosse, Rémy Fournié et Catherine Chausson, chez qui il réalise son stage professionnel de deux ans avant de pouvoir s’installer à son tour. Le fait d’avoir passé beaucoup de temps dans leurs études lui permet aujourd’hui « d’avoir de très bons rapports avec tous, reconnaît-il. Et puis dans la région, nous sommes un petit groupe de jeunes commissaires priseurs entre qui on s’entend bien. »
Une fois diplômé et l’examen passé, Guillaume Suduca a cette « chance inouïe » d’être désigné par tirage au sort pour occuper l’office de commissaire priseur judiciaire nouvellement créé à Toulouse en vertu de la loi de 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Depuis, le confinement de début 2020 lui a permis de suivre la formation obligatoire afin de se qualifier commissaire de justice, la nouvelle profession du droit de l’exécution qui regroupe huissiers de justice et commissaires priseurs judiciaires.
Ainsi depuis deux ans, l’homme au marteau d’ivoire exerce les deux pans d’une même activité : l’estimation et la vente aux enchères de biens mobiliers, à l’initiative des particuliers et celles prescrites par la loi ou par décision judiciaire.
Une diversité d’activités qui lui permet, comme il l’explique dans une interview parue sur le site de l’UT1, de « faire des ventes de voiture le matin, d’objets d’art l’après-midi et de faire une vente aux enchères dans le cadre d’une soirée caritative dans la même journée ». « C’est le charme de ce métier », ajoute-t-il.
Un métier, fait parfois de déceptions, mais aussi de grands bonheurs, comme lorsqu’au détour d’un inventaire successoral, en présence du notaire et des héritiers, il découvre dans un coffre des tubes de cachets d’aspirine remplis de Louis d’or, ou lorsque, lors d’une visite chez des clients, le couple lui met entre les mains, emballé dans du papier kraft et rangé depuis des lustres derrière une armoire, un tableau d’Achille Laugé. Une toile dont les heureux propriétaires ignoraient la valeur, adjugée en mars 2020, sous le marteau de Guillaume Suduca, 92 000 € ! Au fond, le trentenaire devenu commissaire priseur fait exactement ce qu’il adorait faire étant petit : fouiller dans le grenier de la maison familiale pour trouver des trésors et ensuite redécorer sa chambre. Depuis qu’il est adulte, cette habitude ne l’a pas totalement quitté, au grand dam de son épouse qui a délaissé le notariat pour rejoindre son époux au sein de l’étude. Raison de plus pour trouver du plaisir dans l’exercice de son métier.
Pour l’heure, le voilà déjà en pleins préparatifs des ventes thématiques prévues début juin, quelques jours seulement avant de devenir à nouveau papa… Que du bonheur !