Un esprit ouvert
Sébastien Richard. Le nouveau directeur du Village by CA Toulouse 31, est un spécialiste de l’innovation ouverte. Un profil idoine alors que l’accélérateur de start-up, filiale du Crédit Agricole, est à l’orée d’un changement de cap.
Six nouvelles jeunes pousses viennent d’intégrer l’accélérateur de start-up fondé en 2017 par le Crédit Agricole Toulouse 31. Une promotion aux profils très divers ce qui réjouit Sébastien Richard. Arrivé en juillet 2020 au Village by CA Toulouse 31 en tant que responsable du développement commercial, le trentenaire en a pris la direction exécutive en juillet dernier. Un poste sur mesure pour ce franco-canadien, diplômé de philosophie et sociologie, qui a passé les 13 dernières années au coeur de la Belle Province où il a acquis une expérience dans le domaine de l’innovation ouverte. Difficile de concilier Platon ou Kant et l’accompagnement des start-up ?
« Cela peut paraître étrange, car ayant fait un Bac scientifique, j’avais très peu d’heures dans cette matière. Pourtant, j’ai eu un coup de foudre pour la philosophie », se souvient Sébastien Richard. Pour ce fils d’une infirmière et d’un vétérinaire, qui a grandi entre les Deux-Sèvres et la vallée d’Ossau, « aller étudier à la Sorbonne m’offrait la possibilité de changer d’échelle, de découvrir d’autres choses », explique-t-il avant d’ajouter : « L’idée de me tester dans un autre contexte, de pousser plus loin mes réflexions, a été le fil rouge de ma carrière. Et sur ce plan, la philosophie, malgré tous les défauts qu’elle peut avoir en terme de débouchés, ouvre les esprits. C’est un atout assez précieux. »
Cela m’a très vite intéressé de travailler sur cette ambivalence
Se mettre à l’épreuve, c’est ce qu’il fait une nouvelle fois trois ans plus tard en partant faire son master 1 à l’université du Québec à Montréal, avant d’obtenir son diplôme l’année suivante à la Sorbonne. Pendant ces deux années, il délaisse les réflexions philosophiques pour se con centrer « sur la sociologie de l’innovation. Cela inclut la façon dont, de manière générale, le public peut intégrer les nouvelles technologies, détaille-t-il. J’ai notamment travaillé sur les technologies qui transforment l’espace géographique : celles qui sont liées au territoire, à l’énergie, à la transformation de l’immobilier, l’objectif étant pour moi de comprendre comment ces évolutions, d’un point de vue historique, ont changé notre perception de l’espace qui nous entoure. »
Une thèse sur les nanotechnologies
Son DEA en poche, il choisit de revenir à Montréal pour faire un doctorat aux côtés d’un professeur de sociologie de renom, Céline Lafontaine. Le doctorant découvre les subtiles différences qui émaillent un parcours académique de part et d’autre de l’Atlantique. « En Amérique du Nord, le rapport de proximité est beaucoup plus grand avec son directeur ou sa directrice de thèse, il y a beaucoup plus d’échanges. Par ailleurs, le superviseur a beaucoup plus d’impact sur le succès de la thèse, parce que lui même, dans son dossier académique, a intérêt à ce que ses étudiants réussissent », détaille-t-il.
Au début des années 2010, comme les OGM un peu plus tôt, une technologie émerge et suscite de vives réactions. « Mon sujet de thèse portait sur les nanotechnologies, se souvient Sébastien Richard. Il y avait à l’époque beaucoup de questionnements. Les réactions du public étaient très mitigées avec beaucoup de craintes et dans le même temps, dans le monde de la recherche, de plus en plus de subventions étaient fléchées vers ces nanotechnologies, là où traditionnellement, elles allaient vers la physique des matériaux, la chimie, etc. Les chercheurs eux-mêmes étaient obligés de se repositionner par rapport à cette nouvelle discipline. Cela m’a très vite intéressé de travailler sur cette ambivalence. »
Pendant quatre ans, autre particularité du système nord-américain, le thésard partage son temps entre ses travaux de thèse et l’enseignement. « La valorisation des thésards et des docteurs est complètement différente. Un docteur, en France, a potentiellement, sur le marché du travail, moins de pertinence que le titulaire d’un master ce qui n’a aucun sens au Canada où l’on pousse les thésards à devenir experts dans un sujet, où on les forme aussi à devenir des enseignants. » Après sa thèse, afin de mieux appréhender « la façon dont l’industrie absorbait ces nouvelles technologies et contribuait au développement de l’innovation », Sébastien Richard s’engage dans un nouveau cursus et obtient un DESS en gestion de l’innovation technologique dans une école d’ingénieurs de Montréal.
Un début de carrière au Canada
C’est dans ce cadre qu’il fait la connaissance d’un des responsables du Mouvement Desjardins, première coopérative financière au Canada. « Il m’a proposé de rejoindre le laboratoire d’innovation ouverte qu’il lançait à l’époque », se souvient Sébastien Richard avant de détailler le concept.
« Un laboratoire d’innovation ouverte inclut traditionnellement quatre pôles : l’un centré sur la R&D, où l’on co-construit et teste des produits ou des services. Il y a aussi toute une partie sur la façon dont l’organisation va pouvoir devenir agile. On forme ainsi les collaborateurs aux méthodes de design thinking, à faire de meilleures réunions ; on forme aussi les manager s à de nouveaux modes de management, etc. Or, dans le secteur très concurrentiel de la banque et de la finance, notamment au Canada où le marché est structuré autour de quatre grandes banques, Desjardins étant considéré comme le cinquième gros acteur, les enjeux de transformation interne sont majeurs, parce que cela permet de s’adapter beaucoup plus rapidement à la réalité du marché. Le troisième pan développé, c’est le volet événementiel : on travaille sur la façon dont on peut présenter l’innovation, la transformation RH, les enjeux de RSE, pour inspirer à la fois l’externe et l’interne et aller plus loin sur ces sujets. Le dernier pôle, celui dont j’avais la charge, est constitué des programmes d’accompagnement de start-up. On m’a confié le développement d’un programme, le Coopérathon, qui visait à permettre aux citoyens de développer leur projet de start-up. »
Sous sa tutelle, le projet, lancé en 2016, prend rapidement de l’ampleur, s’étendant dans tout le Canada. En 2018, Sébastien Richard développe le concept en France, puis deux ans plus tard en Belgique… « À l’époque, nous avions identifié qu’il y avait très peu de soutien dans la partie création de projet. Depuis, cela a un peu évolué, avec le lancement de quelques fonds d’amorçage, mais c’est très chronophage, avec très peu de succès. Du coup, beaucoup d’acteurs se retirent de ce segment parce qu’il n’y a pas de retour sur investissement direct, ce qu’une coopérative peut faire en revanche, puisqu’elle a, dans son mandat d’entreprise, cet objectif d’aider la communauté », détaille le trentenaire.
« Tester son aptitude à revenir »
En 2020, après 13 ans passés au Canada, en pleine crise Covid, pour l’expert en open innovation une opportunité de rentrer en France se présente. « Malgré une qualité de vie exceptionnelle à Montréal, on reste français, attachés à la famille, à la vie culturelle. Et puis, la façon dont on pouvait encaisser les hivers successifs devenait un peu problématique ! », s’amuse-t-il. Le couple, qui a désormais la double nationalité – ses deux filles sont nées outre-Atlantique – veut ainsi « tester son aptitude à revenir ».
« Ce réseau des Villages est unique au monde : personne ne l’a développé sous ce format »
« Du point de vue canadien, le modèle des Villages by CA est très inspirant, assure Sébastien Richard. Très peu d’acteurs auraient pris le pari qu’a fait le Crédit Agricole en 2013 d’ouvrir un village et ensuite d’essaimer le modèle dans les différentes caisses régionales et de se positionner sur le soutien à l’entrepreneuriat de cette manière, c’est-à-dire avec des lieux physiques, des programmes d’accompagnement, des équipes dédiées, sur le segment de l’accélération. La Caisse régionale Toulouse 31 a notamment cherché, à l’ouverture en 2017 du Village, à maximiser l’utilité pour le territoire de son action en faveur des start-up, et dans le même temps, contribuer à accélérer ses dispositifs de transformation interne et d’acculturation des collaborateurs. »
Il juge difficile le segment de l’accélération « puisqu’il implique d’être capable de mobiliser beaucoup d’acteurs pour appuyer les start-up. Ce réseau des Villages est unique au monde : personne ne l’a développé sous ce format. Qui plus est, on ne prend pas de participations dans les start-up : nous ne sommes vraiment pas dans la logique d’obtenir un retour sur investissement dû à l’augmentation du chiffre d’affaires. Nous sommes dans la logique de rendre à l’écosystème. Et puis, si vous investissez dans une start-up, vous n’avez plus le même rapport avec le fondateur et l’équipe que dans un mode accompagnement. C’est un peu compliqué de conjuguer les deux », résume Sébastien Richard. Le concept répond ainsi à ses propres valeurs, « à savoir mettre en place des programmes en lien avec la coopération, travailler sur des notions liées à l’impact social et au retour pour la communauté. »
L’entrée dans le secteur des start-up
Et puis, l’ancien expat trouve des similitudes entre Toulouse et sa vie d’avant, le climat en moins. « Nous avons la chance d’être dans un écosystème très riche, très proche de celui de Montréal avec beaucoup d’universités, des industries très dynamiques, un fort taux de croissance démographique et un volet international », pointe t-il. Entré au Village by CA Toulouse 31 en juillet 2020 pour prendre en charge la gestion de l’offre de services et le développement commercial, Sébastien Richard en prendra un an plus tard la direction avec une mission : faire prendre à la structure un nouveau cap.
« Les start-up demeurent au coeur de notre proposition de valeur, l’essentiel de notre travail consistant à les valoriser pour leur permettre de devenir plus pérennes »
« Le modèle des villages est construit sur deux piliers, détaille-t-il. D’un côté, on héberge des start-up, on les accompagne. En retour, elles nous paient un loyer par poste. C’est le coeur du réacteur. L’autre pilier, c’est le volet partenaires corporate : des PME, ETI, grands groupes accompagnent les start-up à travers le financement du Village. Elles paient un ticket à l’entrée pour pouvoir sélectionner avec nous les start-up qui intègrent le village, travailler à des preuves de concept avec elles et contribuer ainsi au développement de l’écosystème de l’innovation à Toulouse. Mais en arrivant au Village, j’ai développé un troisième pilier, à savoir le déploiement de prestations externes pour des clients, entreprises ou collectivités publiques. On se situe là sur des enjeux de transformation au sens large, avec un accompagnement sous forme d’ateliers, de coaching, d’analyse stratégique. Il fallait pour ça qu’on mettre en place un nouveau catalogue de prestations, ce que nous avons fait en début d’année. Cet accompagnement, on l’a d’abord réservé à nos partenaires, et cela a très bien marché, puisqu’ils trouvaient une nouvelle valeur ajoutée à s’associer au Village avec cette possibilité de bénéficier d’un accompagnement sur leur stratégie d’innovation, la mise en place de nouvelles méthodes de travail pour leurs équipes, ou sur leur stratégie RSE, un sujet qui me tient particulièrement à coeur. »
Aider la transformation de toutes les entreprises
Pour mener à bien l’ensemble de ses différentes missions, l’équipe du Village by CA Toulouse 31 vient d’être entièrement restructurée. « On a une équipe vraiment top sur le plan des compétences pour porter cette évolution du Village sur les trois prochaines années », sourit Sébastien Richard, qui précise l’objectif de ce « pivot » : « faire en sorte qu’à terme nous soyons identifiés comme étant l’acteur qui aide la transformation de toutes les entreprises au sens large. Les start-up demeurent au coeur de notre proposition de valeur, l’essentiel de notre travail consistant à les valoriser pour leur permettre de devenir plus pérennes. Cela reste aussi l’accompagnement des partenaires qui s’engagent dans le Village, mais il s’agit d’être capable de porter plus loin cette proposition de valeur sur la transformation auprès de clients du secteur privé comme public, notamment sur le plan de la RSE. C’est une nécessité », conclut-il.