Point n’est besoin de crouler sous les siècles pour devenir une institution. À l’image de la Boutique des Vins, place des Carmes à Toulouse et de sa petite soeur, la Boutique des Saveurs, située à deux pas, rue Ozenne, devenues une référence parmi les cavistes de la Ville rose. En quatre décennies, elles ont su se fondre dans le quartier et se rendre incontournables aux gourmets et amateurs de bonnes bouteilles. À leur tête depuis plus de 20 ans, Valérie Anterrieu-Lecomte, qui a fait de l’accueil et du service ses vertus cardinales, assume ce mélange subtil de tradition et de modernité qui fait indubitablement le charme de la maison. De fait, la fille du fondateur s’est entourée d’une volée de jeunes collaborateurs avec l’appui desquels elle a su faire entrer l’enseigne dans le XXIe siècle et capter une nouvelle clientèle. Cela fait déjà 16 ans, que le marché-parking élève sa silhouette de béton au-dessus du quartier des Carmes, lorsque Robert Anterrieu, le père de Valérie, ouvre la Boutique des Vins, à deux pas des étals de primeur.
« C’était en quelque sorte sa danseuse », se souvient la quinqua. À l’époque, Robert Anterrieu, VRP pour de grandes maisons de Bourgogne, de Bordeaux et de Champagne, continue en effet de parcourir les routes du Sud-Ouest. En 1982, Valérie Anterrieu-Lecomte a 16 ans. Elle est sans doute loin de se douter que moins de dix ans plus tard, elle rejoindra l’aventure familiale. Née à Mazamet, la jeune tarnaise a grandi dans une famille de commerçants – « côté maternel, c’étaient des vendeurs de vins depuis mon grand-père, je suis la troisième génération, et côté paternel, mes grands-parents tenaient une quincaillerie ». Après le Bac, elle entreprend des études de commerce à Toulouse. Et passe tout son argent de poche dans des séances de cinéma. L’étudiante rêve en effet de devenir scripte et de travailler pour le 7e Art.
« Mais je ne l’ai pas assez crié, à l’époque. Et puis, ça se passait à Paris… », se remémore-telle. Valérie Anterrieu-Lecomte embrasse la destinée familiale, devient VRP à son tour. « J’ai vendu des vêtements et du linge hospitalier, du vin aussi. Mais la route, ce n’était pas mon truc », reconnaît-elle. À 25 ans, elle entre à la Boutique des Vins, « en seconde main, au côté du responsable ». Pendant que son papa, commercial dans l’âme, est toujours sur la route, sa maman s’occupe des chiffres. La jeune femme, qui ne sent pas complètement « légitime », entreprend une formation en sommellerie. « D’autant qu’au début des années 90, ajoute-telle, il y avait peu de femmes cavistes à Toulouse. On était deux à l’époque. »
S’adapter aux changements de consommation
À son tour, elle arpente les salons et parcourt le vignoble français, accompagnée de fournisseurs : l’Alsace, le Bordelais, le Val de Loire, la Bourgogne, la Champagne… « Des semaines d’exploration », véritables « marathons » qui lui laissent de « bons souvenirs ». Elle « grandit », peaufine ses goûts, se forge une personnalité. « Le commerce est devenu une seconde identité chez moi ! assure-t-elle. Lorsque je me lève le matin, je n’ai pas besoin qu’on me pousse pour aller au boulot ! J’aime être ici, travailler avec mes collaborateurs. J’y suis très attachée, ils m’apportent beaucoup. Chaque jour est différent, on goûte sans arrêt des nouveautés. Le vin est riche d’enseignements, sur le plan de la géographie, de l’histoire, de l’humain, de la créativité. J’aime beaucoup cet univers. » En 1998, Valérie Anterrieu-Lecomte prend la responsabilité de la cave, alors que de l’autre côté de la rue du Languedoc, ses parents saisissent « une opportunité » et créent la Boutique des Saveurs.
« L’arrivée de la biodynamie, des vins nature a été une étape importante. Il y a 15 ans, on n’avait pas toute cette offre. »
C’est Sophie, sa soeur cadette, passionnée de cuisine, qui aidée de leur mère, Maryse, en fait une épicerie fine réputée. Dix ans plus tard, Sophie ayant décidé de voler vers de nouvelles aventures, Valérie Anterrieu- Lecomte a repris la gestion de ce deuxième commerce. Si on y trouve encore des produits de luxe comme le caviar Petrossian, les glaces Faur, les épices Terre Exotique, les jus de fruits Milliat, les moutardes Fallot ou les sardines Rödel, les bières artisanales, les spiritueux et les vins étrangers composent aujourd’hui l’essentiel de l’offre. « L’épicerie, c’est plus compliqué à travailler, admet volontiers Valérie Anterrieu-Lecomte. Mes collaborateurs s’éclatent plus à proposer des vins étrangers de propriétaires, qui travaillent des cépages autochtones, qui essaient de rendre le terroir dans la bouteille ! »
Les vins du bout du monde, les bières locales, les vins bio… Autant de tendances auxquelles la quinqua fait aujourd’hui une large place dans ses rayons. Car, de fait, en 40 ans, « les goûts ont changé, explique-t-elle. L’arrivée de la biodynamie, des vins nature a été une étape importante. Il y a 15 ans, on n’avait pas toute cette offre. Aujourd’hui tous les jeunes cavistes l’ont intégré. D’autant que le goût des vins nature est très différent de celui des vins traditionnels. Par exemple, lorsque je suis arrivée dans le métier, les clients aimaient les choses très boisées. Aujourd’hui, il n’est plus envisageable que le bois masque le fruit. Idem avec les rosés. Auparavant, j’avais un rosé à l’année, le Tavel, et en été, on avait cinq ou six références. Désormais, au coeur de l’été, il ne faut pas loin de 25 à 30 références. Et tout l’hiver, on a quatre ou cinq produits à proposer… »
Rester humble
La clientèle aussi s’est renouvelée. « Depuis cinq ou six ans, parce que la boutique s’est développée, je suis de plus en plus en back-office. Du coup, mes jeunes collaborateurs captent cette nouvelle clientèle, dont ils partagent les goûts. Sachant – je le leur rappelle souvent –, qu’il faut aller vers le client. Il ne s’agit pas de se faire plaisir quand on vend, mais de faire plaisir au client, de répondre à ses attentes. Certes, le vin est tendance. Mais d’un autre côté, il ne faut pas prendre la grosse tête. Pendant le confinement, on a bien compris qu’on était essentiel, mais la réalité, c’est qu’on ne l’est pas ! Il faut rester humble. » Depuis quelques années aussi, grâce à l’appui de ses jeunes recrues, Valérie Anterrieu-Lecomte a fait prendre à ses boutiques le virage du numérique. Elle communique sur les réseaux sociaux et a développé depuis un an un site de vente en ligne.
Alors que le nombre de cavistes a explosé dans la Ville rose, la quinqua le reconnaît : « c’est essentiel aujourd’hui, il faut faire parler de nous. Cela montre aussi qu’on bouge. On fait des newsletters, des vidéos de nos rencontres avec les vignerons, etc. Ça montre aussi qu’on sait de quoi on parle. Grâce à mon expertise, avec l’aide de mes collaborateurs, on grandit ensemble, et ça, c’est chouette. » Quand au cliché selon lequel, chez un caviste, les prix sont plus élevés qu’ailleurs, elle le pourfend sans hésiter. « Nos prix vont de 3,80 € jusqu’à la Romanée-Conti à plus de 11 K€, avec une offre très ouverte entre 8 et 15 € où on a moult choses et où ça change tout le temps. Je trouve ça bien de pouvoir proposer des bouteilles à petits prix. Les étudiants, par exemple, prennent moins de risque de se tromper en achetant chez un caviste que lorsqu’ils sont en face d’un linéaire de grande surface. Au reste, voir les enfants de mes clients, c’est une façon de pérenniser la clientèle. Ça aussi, c’est chouette. »