Un vent de nouveauté souffle depuis quelques mois sur la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes. Sous la houlette du nouveau premier président de la Cour, Pierre Moscovici, nommé en juin 2020, les juridictions financières, qui examinent la gestion des collectivités publiques de leur ressort (collectivités territoriales et établissements publics) mais aussi celle de leurs satellites de droit privé (SEM, etc.), sont en effet engagées dans un projet stratégique : Juridictions financières (JF) 2025. Il vise à moderniser l’institution, à la rendre plus agile et surtout, effet plus visible, à produire « des travaux plus diversifiés, plus rapides et plus accessibles, au service des citoyennes et citoyens ».
Rien ne pouvait plus séduire Valérie Renet qui ne rêve que d’une chose : « ouvrir sa juridiction sur l’extérieur ». La quinquagénaire a pris en avril dernier la présidence de la chambre régionale des comptes d’Occitanie. Installée à Montpellier, elle connaît bien le territoire pour l’avoir déjà arpenté en tant que présidente de section au sein de cette même chambre dans le passé.
Cette Bordelaise de naissance, qui a grandi à Lyon, a un profil « atypique » au sein du corps des magistrats financiers. Cette agrégée d’anglais a en effet abrégé une carrière dans l’enseignement pour rejoindre le ministère des Affaires étrangères.
Une carrière riche en expériences
D’abord en travaillant pour l’Alliance française aux Émirats Arabes Unis où elle a suivi son conjoint. La jeune femme, qui déteste « la routine », a la bougeotte. Elle devient par la suite attachée de coopération à l’ambassade de France à Odessa, en Ukraine, puis deux ans plus tard à Saint- Pétersbourg, en Russie. « J’étais attachée linguistique pour la promotion du français », explique Valérie Renet.
Elle travaille en lien avec les écoles et les universités, sur des projets de jumelage, crée un festival de théâtre… Elle garde le souvenir « d’un accueil très chaleureux de la part des Ukrainiens et des Russes. On sentait ce goût un peu désuet pour la langue française, comme un rappel des liens très étroits noués au XVIe et XVIIe siècles. Je m’y suis sentie chez moi, avec un sens de la fête, une chaleur et une spontanéité des habitants qui me plaisaient beaucoup ».
Sur le plan professionnel, elle acquiert des compétences en management et le sens de la diplomatie « que j’utilise aujourd’hui encore dans mes relations avec les élus ou en interne avec l’ensemble de mes collègues des juridictions financières. »
Elle quitte les rives de la Baltique enceinte de son deuxième enfant. Alors qu’elle a été recrutée comme chargée de mission à la direction générale de la coopération internationale et du développement au sein du ministère des Affaires étrangères, la jeune femme décide à 40 ans d’intégrer l’Ena.
Elle n’a toutefois pas de plan de carrière. « Les choses se font de manière spontanée. L’Ena, je n’y avais jamais pensé avant. Je suis issue d’un milieu d’enseignants où on n’avait pas cette idée-là ».
À la sortie de l’école, son classement lui permet de rejoindre les juridictions administratives ou financières. Elle obtient un premier poste de magistrate à la chambre régionale des comptes d’Auvergne-Rhône-Alpes, à Lyon, la ville où elle a ses plus fortes attaches.
Six ans plus tard, l’envie de bouger est toujours là qui la pousse à rejoindre Papeete. Au sein de la chambre territoriale de Polynésie française, elle découvre de nouvelles missions. « En raison des compétences propres de la chambre de Polynésie, nous faisions beaucoup d’évaluations de politiques publiques, une tâche qui jusqu’à présent était réservée à la Cour des comptes. On évaluait ainsi les systèmes éducatif et de santé, des compétences propres de la collectivité de Polynésie. »
Elle passera trois ans aux antipodes. Une expérience « marquante ». Si elle n’est pas fan du climat, elle y a surtout découvert « une autre culture, une société très mixte, avec un sens du temps très différent du nôtre, ce qui permet de prendre du recul », un « côté apaisé qui donne le sentiment qu’on a tout le temps devant nous ».
Dans cette toute petite structure qu’est la CTC (14 personnes), elle apprécie l’ambiance familiale, « et surtout on avait le sentiment d’être utile parce que nos rapports étaient très écoutés par les élus locaux. Ça donne du sens à ce qu’on fait. »
En quête de sens
Cette envie de donner du sens à son action est devenue son leitmotiv. Rentrée en métropole, Valérie Renet, qui a rejoint comme présidente de section la chambre régionale des comptes d’Occitanie, aura l’occasion de le montrer au moment de la crise sanitaire.
« Notre activité au sein de la chambre, à savoir porter un regard à distance sur la gestion passée d’une collectivité, ne me paraissait pas adaptée aux enjeux du moment. J’ai cherché comment je pouvais aider ailleurs. Au même moment, la Cour des comptes proposait à des ministères de mettre à disposition certains de ses personnels qui le souhaitaient pour aller aider. J’ai répondu oui tout de suite. Il se trouvait que le préfet de l’Hérault avait besoin de quelqu’un. Cela n’a duré que six semaines mais cela a été très intense. Il m’a chargé d’élaborer un plan de relance afin d’anticiper la sortie de crise. Certaines filières risquaient en effet d’être fortement fragilisées après la crise sanitaire. Il fallait les identifier et établir un plan de relance en essayant de trouver des financements avec la préfecture de région, les collectivités. Cette expérience a été très intéressante. À la fin des six semaines, j’avais réussi à élaborer un plan de financement pour les conchyliculteurs particulièrement en souffrance. »
« C’est là que j’ai pu mesurer à quel point l’État avait été réactif pendant cette période. C’était gratifiant de voir qu’on était capable de s’ajuster et de travailler vite et bien quand il le fallait. »
« On n’a cependant pas tiré tous les enseignements de cette période. »
En 2021, nouveau changement d’horizon, Valérie Renet prend la présidence de la chambre régionale des comptes de Bourgogne-Franche-Comté, un poste qui lui permet de mettre en pratique son envie de faire bouger les choses.
« Après ce passage à la préfecture, je me suis dit qu’il fallait changer nos méthodes, nos façons de faire. Cela tombait au moment où Pierre Moscovici venait d’arriver à la tête de la Cour des comptes et de lancer son projet JF 2025. On avait demandé à toutes les personnes qui, durant le confinement, avaient été mises à disposition à l’extérieur, de faire un retour d’expérience sur ce qu’elles avaient vécu pendant ces semaines, ce qu’elles avaient appris et ce qu’on pouvait en tirer pour les juridictions. J’en ai profité pour dire tout ce que je pensais et tout ce pourquoi je pensais qu’il fallait renouveler nos approches. Nommée présidente de la CRC de Dijon, j’avais une position où je pouvais enfin mettre en application les idées que j’avais. Du coup, j’y ai pris beaucoup de plaisir ! J’avais le sentiment d’être à ma place. »
Changer les méthodes
Pendant un an et demi, la chambre se transforme, s’ouvre sur l’extérieur, rend des rapports plus courts, travaille sur des enquêtes. « L’idée était d’être le plus utile mais aussi de faire en sorte que chacun se sente bien à l’intérieur de la chambre. Le sens que je trouvais dans notre action, les autres pouvaient le trouver aussi. On a beaucoup travaillé sur la confiance, la transparence, la cohésion… »
Nommée en avril à la présidence de la chambre régionale des comptes d’Occitanie, Valérie Renet est partie à la rencontre les élus de son ressort. « Ils portent globalement un regard positif sur les rapports de la chambre qui sont souvent pour eux un levier. Ils les utilisent pour faire bouger les choses dans leurs organisations par exemple lorsqu’il s’agit de sujets sensibles pour le personnel, comme ce fut le cas avec le passage aux 1 607 heures. » Mais d’autres élus pointent aussi une mauvaise temporalité : le rapport arrive trop tôt ou trop tard. « D’autres encore estiment que nous leur adressons des observations d’opportunité. Or, la frontière est parfois délicate à appréhender. Si c’est le cas, c’est une erreur de droit, nous ne devons pas le faire. Nous avons donc des choses à changer car l’intérêt de notre action, c’est d’être utile pour la collectivité contrôlée comme nous le sommes pour le citoyen. »
Le citoyen est du reste au centre du projet Juridictions financières 2025. La Cour des comptes a créé récemment deux plateformes citoyennes. L’une permet aux citoyens de signaler des irrégularités et la seconde leur permet de faire remonter des sujets potentiels d’enquête.
Elle a reçu 9 000 participations et 330 propositions de contrôle ont émergé. En suivant, la Cour a intégré dans sa programmation certains de ces sujets d’enquête tels que les soutiens publics aux fédérations de chasseurs. La volonté de Valérie Renet d’« ouvrir la chambre sur l’extérieur et ne pas rester dans une tour d’ivoire » est intacte.
Elle projette ainsi d’initier, avec les élus, des réunions publiques sur des sujets qui intéressent les citoyens et qui font l’objet de travaux communs de la part des chambres régionales des comptes tels que les effets du changement climatique sur le littoral, la gestion quantitative de l’eau…
Depuis le 1er janvier, elles se sont vues confier une nouvelle mission : l’évaluation des politiques publiques territoriales. « Nous venons par exemple de lancer, en accord avec la Région, une évaluation de sa politique de rénovation énergétique des bâtiments. Dans le cadre de ces évaluations, notre posture est un peu différente : nous sommes dans une relation de partenariat avec la collectivité qui d’ailleurs peut saisir la CRC pour faire évaluer une de ses politiques publiques lorsqu’elle souhaite savoir si elle dépense efficacement l’argent public », détaille Valérie Renet.
Une nouvelle compétence qui, à moyens constants, s’ajoute aux autres : « Nous ne pouvons pas tout faire, il nous faut cibler et prioriser ». La chambre régionale publiait en moyenne une soixantaine de rapports par an, désormais, c’est plus près de 80.
Parmi les rapports attendus, figurent l’enquête sur les acteurs locaux du tourisme face au changement climatique, notamment les stations de montagne, menée en lien avec la CRC d’Auvergne-Rhône-Alpes, celle sur le littoral et une enquête sur les clubs de rugby… « Mon souhait est que les sujets d’enquête viennent aussi du terrain. C’est ce que nous avons fait en Bourgogne-Franche-Comté avec des enquêtes sur l’eau, compte tenu du problème de sécheresse du territoire, et sur l’adaptation des forêts au changement climatique. Dans le même ordre d’idée, ce qui inquiète aujourd’hui beaucoup les élus, c’est la loi Zéro artificialisation nette. Mais là, c’est un peu trop tôt pour aborder le sujet », conclut Valérie Renet. Pour elle, un autre sujet à suivre…